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Non, les réformes de l’éducation et l’encouragement à poursuivre des études toujours plus longues n’ont pas amélioré la mobilité sociale
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Idée reçue

L'ascenseur social semble bloqué : les jeunes aujourd'hui connaissent une mobilité sociale moins importante que celle de leurs parents et même que celle de leurs grands-parents, pourtant les étudiants vont chercher leurs diplômes au bout de parcours universitaires toujours plus longs ; on assiste à une saturation de notre enseignement supérieur qui peut être néfaste.

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat est sociologue spécialiste des questions d’éducation, professeur à l’IEP de Paris et chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement et à l’Institut de Recherche en Education (IREDU). Elle travaille sur les politiques éducatives et les inégalités sociales et sexuées dans le système scolaire.

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Atlantico : Environ 80% d'une génération obtient aujourd'hui le baccalauréat et accède à l'enseignement supérieur. Ces études sont plus longues et, en conséquence, la dépendance de cette génération aux revenus de ses parents est toujours plus importante. Pourtant, la mobilité sociale ne s'améliore pas. Peut-on parler d'échec des réformes de l'éducation ou a-t-on atteint un seuil de saturation structurelle en matière d'enseignement supérieur ?

Marie Duru-Bellat : Il est important de préciser en premier lieu que la mobilité sociale ne dépend pas du profil des jeunes. La mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité d’un jeune d’un milieu social d’accéder à un autre milieu social ou la capacité de sortir du modèle de reproduction sociale père-fils, dépend essentiellement des conditions des structures de l’emploi. Par exemple si du temps des pères, il y a 30% d’emplois agricoles, et du temps des fils il n’y a plus que 5%, il est normal qu’il y ait une forte mobilité sociale. C’est de la mobilité structurelle, c’est-à-dire les mutations économiques, qui représente les deux tiers de la mobilité sociale. 

Comme on se rapporte à la période des Trente Glorieuses, il est évidemment facile de montrer que la mobilité sociale de nos grands-parents et de nos parents était plus importante que celle des jeunes d’aujourd’hui. Donc le rôle de l’école est nettement moindre en comparaison à cette donnée économique. 

Après le rôle de l’école existe, et il est essentiel, tout particulièrement au début du parcours scolaire. Car c’est à ce moment-là qu’il y a décrochage et que l’écart social se maintient. Ce problème précoce rend inutile l’allongement des études, car il y a une différence de niveau difficile à résoudre. 

Les étudiants croient s'assurer un avenir professionnel en poursuivant un cursus dans le supérieur, puis découvrent à la fin de leur parcours la grande difficulté d'emprunter l'ascenseur social. Quelles institutions portent cette responsabilité ? (Les politiques gouvernementales ? Les écoles privées qui "vendent" des diplômes ? Les universités qui ne se réforment pas ? Les filières élitistes qui ne s'ouvrent pas ?) 

En effet, si la priorité est l’inégalité précoce, on peut descendre dans la hiérarchie pour s’attaquer aux autres problèmes, le premier étant l’existence de filières d’élites qui sont le verrou d’accès à de meilleures positions sociales. A l’étranger d’ailleurs, personne ne comprend notre position. D’où le fait que les filières sélectives nourrissent une sélection en amont mise en place par les parents les mieux informés qui vont se bagarrer pour faire entrer leurs enfants dans ce cénacle. 

Globalement tout ce système fonctionne du fait de l’importance accordée en France aux diplômes, qui génère certes un marché propre aux études supérieures dans lequel le diplôme devient un critère de sélection. Et les jeunes ne contestent pas ce fonctionnement, loin de là. Et comme tout le monde y croit, cela marche. 

Comme on est dans un pays riche, on peut se féliciter de ne pas avoir à envoyer les jeunes sur le marché du travail à vingt ans. Cette période considérée comme agréable par l’étudiant est généralement prolongée, et c’est compréhensible. 

Depuis une trentaine d'années, on part du principe que toute année d'études supplémentaires correspond à un niveau de salaire supérieur par la suite. Cette logique n'est-elle pas en train de montrer ses limites ? Quelles sont-elles ?

J’ai publié il y a quelques années un ouvrage qui s’intitulait L’inflation scolaire. J’y défendais la thèse, très contestée qu’il y a des effets de saturation, effet que connaissent tous les économistes. C’est la même chose qu’avec la consommation d’eau : pas assez d’eau, c’est dangereux, mais trop d’eau, cela l’est aussi. Les études de la DARES montrent très bien cela. Il y a une frange d’emplois très qualifiés qui se développe, certes, et qui correspond à l’inflation de diplômes. Mais il y a d’autres emplois qui existent toujours et qui demande une compétence humaine, et généralement moins des années universitaires. Cette idée que je défends depuis dix ans est tout à fait à l’opposé de l’opinion sur la question, et va contre les syndicats étudiants qui défendent le droit aux études, contre l’OCDE qui encourage aussi l’allongement de ces études. Tous les économistes considèrent tous qu’il faut plus d’études. Le débat est important. 

Mais dans les faits on a pu observer qu’un titulaire du baccalauréat il y a cinquante ans devenait cadre, et qu’un titulaire d’un bac+5 aujourd’hui peut devenir simple ouvrier !

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