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"Le système politico-médiatique reste concentré sur Paris, et on ne prête pas ainsi attention à ceux qui détiennent réellement le pouvoir, c’est-à-dire ceux qui sont à Bruxelles."
"Le système politico-médiatique reste concentré sur Paris, et on ne prête pas ainsi attention à ceux qui détiennent réellement le pouvoir, c’est-à-dire ceux qui sont à Bruxelles."
©Reuters

Les coulisses du pouvoir

Christophe Deloire, co-auteur de "Circus Politicus", souligne l'attention excessive portée à certains dirigeants politiques et lieux de pouvoir au détriment des vraies instances décisionnelles en Europe.

Christophe Deloire

Christophe Deloire

Christophe Deloire est journaliste, auteur et éditeur.

Diplomé de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) en 1994, il travaille comme journaliste pour l’hebdomadaire Le Point de 1998 à juin 2007, au service Société puis au service Politique. De 2006 à 2009, Christophe Deloire est directeur de collection au département littérature générale de Flammarion. Depuis 2008, il dirige le Centre de formation des journalistes (CFJ), l’école de journaliste de la rue du Louvre à Paris. Il est le directeur général de Reporters Sans Frontières depuis juillet 2012.

Auteur de plusieurs livres, Christophe Deloire est aussi co-auteur du documentaire Chirac intime , réalisé avec Laurent Delahousse et Erwan L'Eléouet, diffusé sur France 2.

Bibliographie

  • 1998 : Omar Raddad, Contre-enquête pour la révision d'un procès manipulé
  • 2001 : Histoires secrètes des détectives privés
  • 2003 : Cadavres sous influence
  • 2003 : L'Enquête sabotée
  • 2004 : Les islamistes sont déjà là
  • 2009 : Sexus politicus
  • 2009 : La Tragédie de la réussite
  • 2012 : Circus politicus (coécrit avec Christophe Dubois)
Voir la bio »

A lire aussi des extraits de "Circus Politicus" :

- Proches, si proches... Les liens secrets entre la CIA et les pères fondateurs de l'Europe Schuman et Monnet

- Mais qui assiste à Bilderberg, ce mystérieux rendez-vous de l'oligarchie dirigeante mondiale ?

Atlantico : Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont donné lundi soir une interview conjointe aux chaines de télévision France 2 et ZDF. Vous venez de publier "Circus Politicus" (co-écrit avec Christophe Dubois) dans lequel vous dénoncez l'attention excessive portée à certains lieux de pouvoir politique au détriment des vraies instances de décision. Dans ce cadre, comment percevez-vous la rencontre Sarkozy/Merkel ?

Christophe Deloire : Ce qui est clair, c’est qu’il y a eu une présentation relevant de la communication. Cette présentation déforme la réalité en laissant penser que l’idéal démocratique se résume à une discussion entre chefs d’État et de gouvernement. Or ces discussions à huis clos ne permettent pas de savoir si ce sont les responsables élus qui prennent les décisions, dans quelles circonstances, et s'il existe la possibilité d’en débattre.

L’Europe fait face à un problème médiatique. Cela se traduit par une incapacité des citoyens à regarder au bon endroit. La preuve en est que personne ne connaît les personnes les plus importantes au niveau européen. Qui connaît Joseph Daul, le président du groupe du PPE (Parti populaire européen) et l'une des rares personnes à pouvoir appeler Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sur leur portable ? Qui connaît Jean-Paul Gauzès, le coordinateur de la position du groupe PPE au sein de la commission des affaires économiques et monétaires ? Tous deux sont plus importants que les responsables politiques français, sur lesquels on peut lire de nombreux articles.

L’idée que nous développons dans notre livre Circus Politicus est effectivement que la politique se joue ailleurs. Ainsi, l’un des grands lieux de pouvoir aujourd’hui est le Conseil européen où les chefs d'État et de gouvernement se réunissent à huis clos. On ne connaît de ce qui s’y déroule, mais uniquement ce qu’ils veulent bien nous en dire. Dans notre ouvrage, nous nous appuyons ainsi sur des compte-rendus de négociations européennes qui permettent de prouver de manière irréfutable que ce qui se passe au sein d’une séance de Conseil n’a pas grand-chose à voir avec ce qui est présenté en conférence de presse. On a ainsi vu, une fois encore en lisant le compte rendu d’une réunion, que lors d’une séance où Nicolas Sarkozy prétendait à la sortie avoir dirigé la réunion, sur le verbatim, seules 13 lignes relataient ses propos.

D’autres compte-rendus montrent que, lors des sommets d’élaboration des plans de sauvetage de la Grèce, les chefs d’État et de gouvernement, le président de l’Eurogroupe ou le Gouverneur de la BCE affirment clairement que la présentation publique de l’événement ne correspondra pas à ce qui s’est dit en séance. Le fait que les débats ne soient pas publics est un vrai problème d’un point de vue démocratique. En démocratie, il y a certes une part de secret pour préserver la souveraineté et l’action du pouvoir exécutif. Mais, puisqu’il s’agit de décisions qui vont nous engager tous, éventuellement pendant des années, il n’est pas normal que celles-ci ne fassent pas l’objet de débats au préalable.  

Pour revenir plus précisément à la rencontre Sarkozy/Merkel, une phrase de Nicolas Sarkozy m’a interloqué : «J’engage la parole de la France ». Ce type de propos souligne une dérive de l’ensemble de l’architecture du pouvoir. On se trouve finalement devant un homme seul qui décide pour nous tous sans le moindre débat, sans qu’on sache comment la décision a été prise.

Cet « homme seul » a toutefois été élu démocratiquement au suffrage universel direct. Il dispose ainsi d’une certaine légitimité…

Certes, mais il ne représente qu’une partie du corps électoral, il a été élu avec seulement 53% des voix. A cet égard, il n’y a pas de parallélisme entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel qui, à son retour à Berlin, doit faire face au Bundestag, le Parlement allemand. Outre-Rhin, un parlement, où diverses sensibilités politiques sont représentées, discutent. En France, on a simplement une approbation de députés.

Finalement, ce que vous remettez en cause, c’est le système présidentiel français. Mais notre pays ne se trouve-t-il pas dans une situation différente de celle de ses voisins, du fait de l’élection au suffrage universel direct de notre Président de la République et de l’inversion du calendrier électoral décidée par Lionel Jospin ?

Le débat politique doit encore avoir sa place. Autrement dit, on se contente d’une élection tous les cinq ans et on cesse toute discussion entre temps. Je n’ignore pas que la Constitution française confère au Président des pouvoirs importants comparé à ce que l’on trouve chez nos partenaires européens. Il n’en demeure pas moins qu’on constate une vraie hypocrisie – présidentielle et gouvernementale – entre le discours tenu à Bruxelles (à l’issue des conseils des ministres) et celui tenu à Paris.

Par exemple, Nicolas Sarkozy, depuis quelques jours, se posait en héros de la démocratie au motif qu’il avait empêché le placement quasi sous tutelle de la Grèce. Dans notre ouvrage, nous révélons le contenu du Conseil européen où le Président français appuyait Angela Merkel sur la possibilité de suspendre les droits de vote d’un pays au Conseil européen. Suspendre les droits de vote, cela signifie qu’un pays qui aurait enfreint les règles budgétaires se verrait interdit de voter sur toutes les questions relevant de la compétence européenne, au-delà des questions budgétaires. Là encore il y a un double discours. Or la démocratie ce n’est pas d’admettre qu’un dirigeant prétende faire quelque chose alors qu’il ne le fait pas.

Selon vous, où se situe alors le pouvoir décisionnel "réel" en Europe ?

La régulation bancaire se fait au Comité de Bâle où se réunissent les gouverneurs de Banque centrale, indépendants de leurs États. Ils édictent des textes repris éventuellement par le G20 puis adoptés par l’UE et transposés en droit national. Nous avons interrogé Christian Noyer, le Gouverneur de la Banque Centrale, sur la différence entre le texte du Comité de Bâle et le texte adopté par le Parlement français : il a eu l’honnêteté de répondre qu’il n’y avait pas de différence.

Ce qui est en jeu, c’est la souveraineté des électeurs. Le problème aujourd’hui, c’est que l'on vit dans la fiction que tout le pouvoir est à Paris alors que ce n’est pas le cas. Le système politico-médiatique reste concentré sur Paris, et on ne prête pas ainsi attention à ceux qui détiennent réellement le pouvoir, c’est-à-dire ceux qui sont à Bruxelles, dans des institutions dites indépendantes et qui ne relèvent pas de responsabilité politique.

Comme lieu de pouvoir, on peut citer la réunion du collège de la commission européenne où se réunissent les 27 commissaires : il faut se souvenir que c’est elle qui détient le monopole de l’initiative législative à Bruxelles. Or personne ne regarde leur travail en amont. Le Commissaire français, Michel Barnier, est peu connu du grand public, peu de gens connaissent son nom.

La responsabilité des électeurs est engagée. Mais celle des dirigeants politiques également, ainsi que celle des journalistes qui doivent pouvoir indiquer où se situe le vrai pouvoir et de ne plus faire semblant que tout se passe à Paris. Il s’agit de ne plus laisser les politiques prétendre pouvoir résoudre des problèmes alors que, depuis longtemps ce ne dépend plus d’eux.

Quelles solutions préconisez-vous face à une telle situation ?

La première serait de regarder au bon endroit : on ne peut pas contrôler les détenteurs du pouvoir si on les ignore ; le contrôle commence avec la lucidité des électeurs et des citoyens. Tant que l'on reste dans ce théâtre d’ombre, il n’y a pas de possibilité de se réapproprier la démocratie. Pour ce faire, il faut connaître ceux qui détiennent le pouvoir, faire en sorte que ces personnes soient responsables devant les électeurs.

La démocratie ne consiste pas en l’existence d’une petite oligarchie de hiérarques, élus nationalement mais qui ne statuent pas seulement sur leur pays. Si demain Angela Merkel impose au Conseil européen une décision, qu’est-ce qui nous permet, nous Français, de nous y opposer si l’on n’est pas d’accord ? Ou à l’inverse si Sarkozy impose une décision à l’Allemagne ? Le problème est finalement qu’il existe une déconnexion entre la responsabilité des politiques et les électeurs. Comprendre l’idée démocratique, mettre en lumière la dérive antidémocratique du système européen, c'est l’objectif de notre livre. Ca n’en fait pas pour autant un livre anti-européen, bien au contraire.

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