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Née sous X : "le jour où j’ai rencontré ma mère...et l'ai appelée "Madame" "
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Bonnes feuilles

À l’âge de 33 ans, Sabine Menet découvre son adoption cachée. Elle met tout en œuvre pour retrouver l’identité de sa mère biologique, alors que tout ou presque l’en empêche en France. Confrontée aux rouages administratifs entourant l’accouchement sous X, elle se rapproche de milieux associatifs, militants et politiques. Son enquête va durer quatre ans. Extrait de "Née sous X - L’enquête interdite", de Sabine Menet, aux éditions Lemieux 2/2

Sabine Menet

Sabine Menet

Sabine Menet, née en 1974, vit à Gujan-Mestras en Gironde. Ingénieur en chimie et physique, elle a changé de voie pour devenir journaliste. Elle travaille depuis dix-sept ans pour le quotidien Sud Ouest.

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Le jour où j’ai rencontré ma mère, c’était un mercredi. La veille j’avais hésité entre plusieurs tenues. Comme pour un rendez-vous galant, je me suis demandé ce qui me mettrait le plus en valeur sans me travestir. Le jour où j’ai rencontré ma mère, Ève et Françoise étaient avec moi. Évidemment. Cela s’est passé dans le bar d’un hôtel cossu bordelais, à quelques rues de Mériadeck. Encore ce quartier. Nous sommes arrivées en avance et alors que nous fumions une cigarette sur le trottoir, une femme en guenilles, les cheveux jaunes et gras s’est avancée vers nous en titubant. « C’est elle ? » ai-je demandé à Ève pour détendre l’atmosphère. « Bien sûr que non, m’a-t-elle dit. Sinon, je vous aurais prévenue ». Ève était trop tendue pour pouvoir faire de l’humour. Elle m’a fait penser à moi lorsque j’accompagnais Françoise, la première fois, chez Alice.

Regardant s’éloigner la pocharde, j’ai réalisé que je ne savais pas à quoi allait ressembler ma mère. Et qu’elle non plus, ne savait pas à quoi ressemblerait sa fille. Ève a eu beau me la décrire, je demeurais incapable de l’identifier dans la rue. Ève était le catalyseur de notre rencontre, le seul témoin oculaire en mesure de nous réunir. Alors qu’elle attendait dans le hall, je me suis assise à une table au bar. Françoise s’est postée dehors avec mon appareil photo afin de capturer l’image de ma mère. Du coin de l’oeil, j’ai aperçu une femme s’avançant vers Ève et pénétrant à son tour dans la pièce où j’attendais. C’était donc elle…

Quand nous nous sommes vues, nous nous sommes dit bonjour. Je lui ai serré la main et l’ai, évidemment, appe­lée « Madame ». J’avais beaucoup appréhendé ce moment craignant un choc physique. Une sorte de réminiscence cataclysmique de l’accouchement qui, à son contact, me ferait perdre tous mes moyens. Ma main dans la sienne et rien ne s’est produit. J’ai simplement scruté son visage à la recherche du mien. Au départ, je n’ai pas trouvé que l’on se ressemblait beaucoup et puis ensuite si. Énormément. Nous bougions de la même manière, exactement. Nos corps parlaient le même langage.

Nous sommes restées une heure et demie, seules, face à face, assises à une petite table. Ève et Françoise m’attendaient dehors. Son mari faisait les cent pas devant l’entrée. C’était hors du temps, hors de toute réalité. Nous vivions un moment inimaginable. J’étais face à une inconnue qui n’en était pas une. Une femme pour laquelle j’éprouvais une attirance presque animale, aussi inconsciente qu’irrationnelle, et avec laquelle je devisais calmement.

Je lui ai raconté mon combat contre le sous X, le besoin d’être confrontée aujourd’hui à elle. Elle m’a parlé de son choix assumé, de son assurance que dès ma naissance je serais adoptée et aurais une vie normale. Je lui ai dit la mémoire profonde de l’enfant, la connaissance intrin­sèque de son histoire, sa blessure primitive. Je lui ai dit l’orphelinat et j’ai compris aux larmes qui ont voilé ses yeux qu’elle ne s’attendait pas à ça. Je lui ai parlé de mon besoin d’avoir ma place, je lui ai affirmé ma double appar­tenance avec toutes ses limites, adoptives et généalogiques. J’ai verbalisé l’inaudible à ses oreilles : le fait incontestable qu’elle et moi étions liées. Je lui ai dit qu’elle ne pourrait plus parler d’avortement actif.

Le jour où j’ai rencontré ma mère, j’ai découvert une femme avec laquelle l’échange était simple. Évident, natu­rel, intellectuel et parfois même drôle. Nous avons fait de l’humour, c’est à peine croyable. En fait, je dois le recon­naître : je l’ai bien aimée. Et ce, même si elle a refusé de me dire qui était mon père. Même si elle n’a rien voulu savoir de moi. Comme Alice. Comme les autres. Aucune question, aucun risque de s’impliquer. Aucune remise en cause de leur système.

J’ai compris que c’était elle qui m’avait prénommée. Balgue m’avait menti. Cela m’a fait plaisir. À cet ins­tant, mon prénom aussi prenait sens. Quand je lui ai tendu la main pour lui dire au revoir, elle l’a serrée et gardée entre ses deux mains. Le jour où j’ai rencontré ma mère, j’ai su que je la reverrai. Dehors, j’ai retrouvé Françoise contrariée d’avoir échoué dans sa mission. Je lui ai dit que c’était sans importance. Je savais qu’il y aurait d’autres occasions.

Extrait de Née sous X - L’enquête interdite, de Sabine Menet, aux éditions Lemieux, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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