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En refusant d’écouter et de prendre en compte cette opposition populaire, les dirigeants politiques donnent un signal de mépris qui n’a guère de précédent à un tel niveau.
En refusant d’écouter et de prendre en compte cette opposition populaire, les dirigeants politiques donnent un signal de mépris qui n’a guère de précédent à un tel niveau.
©Michel Euler / POOL / AFP

Monopole de la responsabilité

Concernant la réforme des retraites, Emmanuel Macron en appelle à la "responsabilité des oppositions", un mot d’ordre devenu un élément de langage pour défendre cette réforme.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Concernant la réforme des retraites, Emmanuel Macron en appelle à la "responsabilité des oppositions", un mot d’ordre devenu un élément de langage pour défendre cette réforme. A quel point la prétention au monopole de la responsabilité est-elle démocratiquement toxique ?

Maxime Tandonnet : Nous avons aussi l’exemple d’une députée de la majorité présidentielle ayant affirmé dans un tweet que les parlementaires de « l’arc républicain » ne pouvaient pas ne pas voter en faveur de cette réforme. Cette attitude s’explique par le contexte. En l’absence d’une argumentation valable pour faire adopter cette réforme, le pouvoir politique a recours à l’anathème. Si vous refusez de suivre le droit chemin, vous franchissez une ligne rouge pour entrer dans le champ du mal, populiste, complotiste, irresponsable, anti-républicain, aux côtés des maudits que sont le RN et la Nupes. On est dans une logique d’excommunication qui exclut le débat d’idées, la confrontation des arguments. Tout ceci est d’autant plus grave que, selon de multiples enquêtes d’opinion convergentes, 75% des Français et 90% des actifs sont hostiles à cette réforme.  En refusant d’écouter et de prendre en compte cette opposition populaire, les dirigeants politiques donnent un signal de mépris qui n’a guère de précédent à un tel niveau. Tout ceci est évidemment dramatique pour la confiance des Français en la politique et pour l’avenir de la démocratie.

Au vu de ce qu’est actuellement la proposition de réforme des retraites, serait-il véritablement irresponsable de ne pas la voter ?

Pour poser la question autrement : l’existence d’une opposition est-elle encore légitime ? De fait, cette réforme est profondément contestable. Elle repose entièrement sur une mesure totémique : le report de l’âge de la retraite à 64 ans. Or, ce report, sur lequel repose la communication gouvernementale, ne sert quasiment à rien compte tenu de la règle des 43 annuités obligatoires dès lors que l’âge du premier emploi est bien après les 21 ans dans l’immense majorité des cas. L’unique effet des 64 ans sera d’obliger à travailler au-delà de 43 annuités quelques catégories de travailleurs ayant commencé avant 21 ans donc ayant peu fait d’études, souvent des travailleurs manuels (et échappant aux dérogations prévues pour les carrières longues). Inutile, injuste et ne réglant en aucune façon le problème du déficit des régimes spéciaux dont celui de la fonction publique : et il serait irresponsable ou anti-républicain de critiquer cette réforme ? Mais où allons-nous ?

Lorsque l’on regarde le track record de ceux qui se prévalent de la responsabilité, sous ce quinquennat comme les précédents, les “raisonnables” (et notamment le cercle de la raison) l’ont-ils vraiment été ?

Un jour, il faudra avoir le courage de faire le bilan de dix années de politique prétendument responsable et raisonnable : dette publique à 3000 milliards d’euros (+560 milliards en deux ans) ; désindustrialisation massive se traduisant par un déficit extérieur de 160 milliards en 2022 ; poussée de la violence (+8% des coups et blessures volontaires en 2022) ; aggravation de la pauvreté (9 à 10 millions de pauvres selon l’INSEE), 2,4 millions de personnes secourues par l’aide alimentaire et 2 millions de bénéficiaires du RSA ; crise hospitalière (impossibilité de mobiliser plus de 5000 places de réanimation pendant l’épidémie) ; affaiblissement des moyens militaires (200 chars lourds opérationnels) ; perte de la maîtrise des migrations (320 000 premiers titres de séjour et 150 000 demandeurs d’asile en 2022) ; déclin énergétique du à la fermeture de Fessenheim et l’affaiblissement volontaire de la filière nucléaire ; reprise de l’inflation (+6% en un an) ; effondrement scolaire (France avant dernière au classement TImss en mathématique et 24ème au PISA sur la compréhension de textes et les sciences) ; 3 à 5 millions de chômeurs ; crise démocratique avec 46% de participation aux dernières élections législatives ; affaiblissement international de la France, par exemple en Afrique… Responsables et raisonnables, disiez-vous ?

A l’heure actuelle, que ce soit dans la majorité ou dans l’opposition, l’heure n’est-elle pas au contraire à une forme d’irresponsabilité et d’immaturité ?

Bien sûr l’équipe actuelle n’est pas seule responsable de cette incroyable faillite qui a des racines plus profondes et d’autres pays connaissent de graves difficultés notamment les grandes nations européennes, chacune à sa manière, en particulier le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais la stratégie adoptée par le pouvoir politique en France est la fuite dans l’esbroufe, les provocations, le chaos, le culte de la personnalité, la grandiloquence pour fuir cette sinistre réalité. Plutôt que d’exprimer la vérité et de se mettre au travail, le monde politique globalement donne le sentiment de s’éloigner de plus en plus de la réalité vécue par les Français et de s’enfermer dans ses calculs égocentrés et déconnectés. Et aucun n’échappe à cette logique des postures. Les leaders de LR jouent en ce moment la carte de la respectabilité et de la compatibilité avec le macronisme. La Nupes vocifère et gesticule. Le RN, étrangement discret, est plongé dans une course sans issue à la dédiabolisation. Le monde politique tourné vers l’horizon de 2027, donne l’image d’une cour de récréation indisciplinée. Pendant ce temps, le pays souffre et s’inquiète pour l’avenir de ses enfants et ne voit pour l’instant aucune perspective de redressement du pays.

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