Municipales : quelques pistes sur les messages que les Français ont vraiment voulu faire passer<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Un électeur portant deux broches qui représentent le drapeau national français et l'hôtel de ville de Henin Beaumont alors qu'il va voter lors du premier tour des élections municipales françaises de Henin Beaumont dans le Nord de la France, le 23 Mars 201
Un électeur portant deux broches qui représentent le drapeau national français et l'hôtel de ville de Henin Beaumont alors qu'il va voter lors du premier tour des élections municipales françaises de Henin Beaumont dans le Nord de la France, le 23 Mars 201
©Reuters

Une bouteille à la mer

Une percée du Front national, un taux d'abstention record, des scores décevants pour le Parti socialiste. Contrairement à ce qu'en disent certaines analyses, les résultats du premier tour des élections municipales n'ont rien à voir avec une droitisation de l'électorat.

>>> Les Français sanctionnent un système et le vide du politique <<<

Laurent Chalard : L’abstention constatée lors de ce premier tour des élections municipales peut être qualifiée de différentielle. Cela signifie qu’elle a été plus importante dans l’électorat traditionnel de la gauche. Elle est la traduction du mécontentement de cette partie de l’électorat.

Si une partie des Français choisit d’exprimer son mécontentement en s’abstenant, l’autre le fait en votant pour l’extrême droite. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’abstention ne bénéficie pas au Front national. Car les communes dans lesquelles le parti frontiste réalise de beaux scores ne sont pas celles qui connaissent les taux d’abstention les plus élevés.

Parmi l’électorat de droite, l’abstention a été moins importante et le mécontentement des sympathisants de droite se manifeste généralement davantage à travers un vote d’extrême droite. Aux élections locales, les électeurs préfèrent voter pour les notables locaux et font moins attention à l'étiquette politique. Manifestement, une partie de l'électorat a voulu dire son mécontentement national dès le premier tour de ces élections locales.

Par ailleurs, les "affaires", la corruption, aussi bien au parti socialiste qu'à l’UMP, entraînent un rejet de la classe politique. Et le seul parti qui capte ce rejet c'est le FN car ce n'est pas un parti de gouvernement. Le tout, dans un contexte économique qui n'est pas favorable.

Gil Mihaely : Le message du peuple est énigmatique. Tout le monde essaye de comprendre mais on ne sait pas exactement ce qu’il essaie de nous dire. Mais lorsque près de quatre personnes sur dix ne se sont pas déplacées, cela ne peut pas exprimer un énorme enthousiasme ni un esprit civique sans borne. Cela signifie-t-il qu’ils ne croient plus à la politique ? Voulaient-ils envoyer un message au gouvernement actuel ? C'est possible mais, c'est probablement beaucoup de choses à la fois.

Jérôme Sainte-Marie : Il s’agit moins d’un vote-sanction que d’une forme de boycott des urnes par des électeurs de François Hollande perplexes et inquiets. La crise de résultats, mais aussi le nouveau cours initié en 2014 autour du Pacte de responsabilité déstabilise la gauche. Cependant, certains scores du Parti de gauche, allié à d’autres, attirent aussi l’attention, à Grenoble ou à Rennes par exemple. Comme cela avait été le cas lors des régionales de 1992, certains ont déserté le vote socialiste tout en restant dans le périmètre de la gauche. Une part du mécontentement a trouvé ce canal, mais l’essentiel s’est déversé dans le vote Front National, et dans celui de l’UMP aussi. La focalisation médiatique sur le parti de Marine Le Pen ne doit pas faire oublier les 45% des suffrages obtenus dans les villes de plus de 10 000 habitants par la formation de Jean-François Copé. C’est bien l’UMP qui est le principal vainqueur du premier tour, et qui va engrangé très probablement dimanche prochain des dizaines de villes gagnées.


>>> Les institutions représentatives ne sont plus considérées comme légitimes <<<

Laurent Chalard : Aujourd'hui l'électeur français est déboussolé. Il se trouve dans une logique de mécontentement généralisé et de rejet du système politique tel qu’il existe depuis le début de la Ve République. Nous sommes face à une crise de la démocratie représentative. Les gens ont l'impression de voter pour des hommes politiques, qui, quel que soit leur bord, ne prendront pas les bonnes décisions. On valorise de plus en plus la démocratie participative sur le modèle suisse dans lequel le recours au référendum est fréquent. Mais attention, cela est possible en Suisse car le territoire est plus petit.

Gil Mihaely : Les Français croient modérément à la politique, ou plutôt au jeu politique actuel. Et cela est, entre autres, lié au fait que le soutien de la population pour le parti frontiste ne se traduit pas dans les institutions représentatives. Si depuis une dizaine d’années, 10 à 15% de l’électorat soutient le FN, le parti ne compte que deux députés sur 577. Les électeurs ont ainsi le sentiment que les institutions représentatives ne sont pas légitimes.

Lorsque les gens s’abstiennent, c’est une façon de dire : “A quoi bon ?”. Pour eux, le jeux n’en vaut pas la chandelle.

>>> Un succès du Front national mais pas un triomphe <<<

Dans les villes où il s'est présenté, le parti frontiste a réalisé un score moyen de 16,50% des voix. Néanmoins, au niveau national, il n’engrange que 5,94 % des suffrages exprimés.

Laurent Chalard : Il n’est pas exagéré de parler de succès du Front national. Car le FN a présenté des listes dans des villes relativement peuplées qui ne sont pas les territoires d’implantation traditionnels du parti. Ce n’est pas là que se trouve la majorité de son électorat. L’ancrage du FN se trouve dans ce que Christophe Guilluy appelle "la France périphérique".  

Gil Mihaely : La définition même d'un parti politique est d'accéder et de se maintenir au pouvoir. Comme le centre et François Bayrou, le FN bénéficie d’un soutien dans la population. Mais contrairement au centre, le parti frontiste parvient à transformer cette énergie et à obtenir des élus.

Le grand compromis de la Ve République est de supprimer la représentativité pour privilégier la gouvernabilité. Il est ainsi compliqué pour de nouveaux acteurs, d’autant plus lorsqu'ils ne sont pas dans une stratégie d’alliances, d’obtenir des villes. Donc, il s’agit bien d’un succès.

Jérôme Sainte-Marie : Même si cela ne fait pas du Front National le vrai gagnant des municipales, ses scores sont un vrai succès. Il faut rappeler que seuls 30% des Français avaient l’opportunité de voter pour une de ses listes. La comparaison doit donc être faite avec les 1% qu’il avait obtenu en 2008. C’est dû à deux réussites politiques cumulatives, la capacité à former des listes paritaires dans plus de 500 communes, au lieu d’une centaine il y a six ans, et celle de se crédibiliser en une alternative à "l’UMPS" dénoncé.

>>> Pourquoi ce résultat n’a rien à voir avec une droitisation de l’électorat <<<

Selon un sondage Ifop pour Atlantico 55% des sympathisants de l'UMP et 62% de ceux du FN souhaiteraient un rapprochement aux élections locales. Faut-il y voir une droitisation de l'électorat français ou plutôt un changement des grilles d'analyse traditionnelles ?

Laurent Chalard : On voit bien que l'électorat du FN est divisé. On a deux types d'électorat. Un électorat d’extrême droite qui est totalement contre le système mais dans lequel on trouve des gens qui ont déjà pu voter à gauche. De l'autre côté, un électorat de la droite dure attaché à une droite traditionnelle. Mais l’expression “droitisation de l'électorat”, n’est pas adéquate. En effet, on ne voit pas de regain religieux, ni même de valeurs plus traditionnelles, conservatrices, on constate même plutôt une tendance à plus de tolérance dans la population. La crise se situe davantage au niveau identitaire et culturel avec un rejet de la mondialisation et un repli sur soi. Mais ce repli n’est pas spécialement de droite ou de gauche. Par exemple, la volonté de sortir de l’euro n’est pas une proposition intrinsèquement de droite. Aujourd'hui on dépasse les clivages partisans, nos grilles de lecture traditionnelle entre la droite et la gauche ne sont plus valables. Les symboles des clivages explosent et perturbent les partis républicains qui n'ont pas encore totalement saisi ces évolutions. Cela se voit avec l’électorat issu de l'immigration, traditionnellement acquis au Parti socialiste mais qui ne s’est pas déplacé lors de ce scrutin en raison des réformes sociétales entreprises par le gouvernement. Ces recompositions sont en cours et elles ne sont pas terminées.

Gil Mihaely : Ce qui est intéressant, c’est la capacité du Front national à attirer les électeurs qui viennent de la gauche. Les gens sont déçus, perdus, angoissés et les étiquettes ne les dérangent pas. Ils ne s'empêchent pas d'essayer quelque chose car pour eux il s'agit de leur dernier espoir. Le FN est une soupape de sécurité. Et si dans trois ou cinq ans s'installe le consensus que le FN au pouvoir ne fait pas mieux, que restera-t-il ? A ce moment la démocratie française se trouvera devant un mur, une falaise. Le FN propose aux gens de voter pour un programme politique. On peut les critiquer, penser que c'est une erreur mais il joue un jeu politique avec une défiance envers la droite et la gauche. C'est un parti qui va payer le prix de son succès.

Si, à l’issue de ces élections, le Front national obtient plusieurs villes, ils devront lors de la prochaine présidentielle et des prochaines législatives, défendre un bilan. Ce qui risque de priver le parti d’une de ses cartes majeures. Même si le FN a déjà géré plusieurs villes, depuis 2011, les citoyens pensent qu’ils ont affaire à un nouveau FN. Une victoire pourrait assainir la démocratie, le FN représente aux yeux des Français le dernier espoir politique.

>>> L’efficacité passe avant les considérations morales <<<

Le site d'information Slate.fr a recensé 26 maires de villes de plus de 10 000 habitants se présentant à leur succession et ayant été condamnés ou qui sont actuellement mis en examen. Les démêlés que certains élus locaux peuvent avoir avec la justice ne semblent pas empêcher les Français de voter pour eux.

Laurent Chalard : Manifestement, il y a une contradiction. L’électorat se plaint de la corruption et sanctionne au niveau national. Autant au niveau local, on a l'impression que tout est pardonné. Simplement, parce que l'on reste dans une république très clientéliste. L'électorat est un peu déconcertant, y compris pour l'analyste, parfois la corruption est condamnée, parfois pas du tout. Auprès de certains électeurs, la qualité de la gestion de la ville passe avant toute autre considération. Cela pourrait notamment expliquer la réélection d'Alain Juppé à Bordeaux.

Gil Mihaely : La plus grande faute d'un leader et d'un élu aux yeux de ses administrateurs, c'est le manque de résultat et d’efficacité. Dans une ville comme Levallois, pour prendre un exemple connu, ce qui compte pour les gens c'est que la ville soit bien gérée, bien administrée. C'est face à l'impuissance et au manque de résultat que la demande de moralité s'élève. Si vous êtes à la fois corrompu et incompétent, vous serez grillé.

Jérôme Sainte-Marie : Depuis les affaires ayant mis en cause des maires dans les années 1990, il est apparu une grande sévérité des citoyens quand leurs élus étaient soupçonnés de détournement d’argent public, mais pas pour ceux mis en cause pour d’autres motifs. Lorsqu’il y a présomption d’enrichissement personnel aux dépens de la collectivité locale, les électeurs sanctionnent. Donc il faudrait faire le tri entre le motif des mises en examen. Parfois, et sans citer de nom de ville ou d’élu, il y a même profit électoral pour eux quand l’objet de leur mise en cause peut paraître profitable aux intérêts des habitants, comme par exemple la défense de l’emploi dans leur ville. Nul moralisme donc dans l’attitude de nos concitoyens, et parfois un peu de calcul utilitariste.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !