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Mort de Kate Spade : comment le suicide des stars impacte les passages à l’acte
©Zack Seckler / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Psychologie

La styliste américaine Kate Spade a été découverte morte à son domicile new-yorkais le 5 juin. Son suicide a été confirmé et le lendemain, sa soeur a révélé qu'elle souffrait de dépression depuis des années.
 Maniaco-dépressive, Kate Spade était fascinée par le suicide de Robin Williams depuis 2014.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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La styliste américaine Kate Spade a été découverte morte à son domicile new-yorkais le 5 juin. Son suicide a été confirmé et le lendemain, sa soeur a révélé qu'elle souffrait de dépression depuis des années.
 Maniaco-dépressive, Kate Spade était fascinée par le suicide de Robin Williams depuis 2014. Comment le suicide d'une star peut-il déclencher le passage à l'acte ?  Est-ce fréquent ? 

Je me permettrai tout d’abord de rappeler certains chiffres statistiques. En France, c’est environ 12 000 suicides annuels qui sont répertoriés, soit 1 suicide toutes les 50 minutes. Cela représente 2% de l’ensemble des 540 000 décès annuels.

Pour autant, face à 1 million de crises suicidaires par an, alors que nous devons gérer 12 millions de personnes ayant des troubles psychiatriques, nous sous-estimons 160 000 tentatives de suicide. Le suicide reste la 3ème cause de mortalité prématurée (9,7%), équivalent aux accidents de la circulation, après les tumeurs (30%) et les maladies cardio-vasculaires (12,1%). Même si le suicide concerne 3 hommes pour 1 femme, les tentatives de suicide concernent 2 femmes pour 1 homme.

Au delà de ces chiffres, il nous incombe de réaliser ce que nous nommons une « autopsie psychologique », précisément comprendre le passage à l’acte fatal. Nous savons sur un plan psychopathologique qu’il existe des corrélations entre le suicide et l'alcoolisme, le chômage, la précarité, la pression professionnelle, le relâchement des liens familiaux et sociaux.

Plus précisément, nous avons établi trois grandes catégories de facteurs de risque.

1. Facteurs de risque psychosociaux :

. Troubles mentaux

. Alcool et autres troubles d'abus de substances

. Tendances impulsives et/ou agressives

. Histoire de trauma ou abus

. Certaines maladies physiques majeures

. Tentative de suicide antérieure

2. Facteurs de risque environnementaux

. Perte de travail ou perte financière

. Perte relationnelle ou sociale

. Accès facile à des moyens mortels

. Histoire familiale de suicide

3. Facteurs de risque socioculturels

. Manque de soutien social et sentiment d'isolement

. Barrières pour accéder aux soins de santé

. Exposition à d'autres suicides dans l'entourage

Tous ces détails afin de mieux comprendre l’acte de Kate Spade, styliste talentueuse, reconnue, mais qui souffrait vraisemblablement de ce mal qui se nomme la maniaco-dépression.

Ce trouble psychique concerne 1-2% de la population et s’exprime par des mouvements d’humeurs très violents… avec alternance de profonde dépression et crise maniaque mêlant euphorie, hyperactivité et créativité.

Cependant force est de constater que, face à cette pathologie, le risque suicidaire est 30 fois supérieur à la population ordinaire, avec un taux de « réussite » très important.

Peu importe que nous soyons connu, riche, ou autre… Lorsque la souffrance psychique nous étreint, nous sommes capables de tout, et avant tout de mettre un terme à notre souffrance devenue insoutenable, insupportable, invivable.

Nous sommes face à une problématique de l’humeur et du trouble social.

C’est alors que se joue le mécanisme d’identification.

Cette fascination pour Robbie Williams, qui a effectivement porté un masque joyeux derrière une réalité dépressive, est questionnante. Son suicide a marqué les esprits, a soulevé nombre de questions qui n’ont pu qu’attirer une « fascination », en tout cas attirer les regards, la compassion… notamment de personnes s’identifiant en lui.

Nous n’avons pas de chiffres concernant les passages à l’acte mimétiques. Cependant, nous avons pu observer une très forte augmentation d’actes suicidaires, avec un même « protocole » dès lors qu’il y a médiatisation. Ce fut le cas d’actes suicidaires multiples rapprochés au sein d’une grande entreprise française, également d’actes d’immolation multiples, avec le même mode opératoire.

Lorsque la souffrance est telle, nous avons tendance à nous sentir « vivre » et « mourir » comme celle ou celui en lequel il nous semble être identique (car l’autre nous dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas) et qui va « incarner » une sorte de guide de vie… et de mort.

Kate Spade s'est suicidée par pendaison, comme Robin Williams. "Elle n'a cessé de regarder les images (de Robin Williams), encore et encore. Je crois que c'est à ce moment-là qu'elle a échafaudé son plan de suicide, et que cela n'est jamais sorti de sa tête depuis", a indiqué sa soeur. Le mimétisme et la projection sont manifestes. Comment s’organise le "scénario suicidaire" chez les individus ?

Sans doute pouvons-nous déjà tenter de définir le suicide. "On se suicide parce qu'il est quelquefois plus difficile de vivre que de mourir, parce qu'une immense détresse intérieure trouve son issue dans la fuite d'un environnement devenu intolérable." Il est sincèrement impossible de savoir, et vivre l’activité psychique, donc prédire, « scénariser », l’acte suicidaire.

Ces explications sont importantes pour les endeuillés sous le choc d’un suicide qu’ils n’ont pas vu arriver, auxquels ils ne croyaient pas… ajoutant à leur souffrance emprunte de culpabilité et d’absences de réponses.

Mais nous avons pu observer qu’à travers des souffrances pouvant mener au suicide, il existerait une forme « communautaire » du passage à l’acte.

Plus précisément, tout comme nous portons une attirance vers des « personnalités » (les fameux fans) nous amenant à vouloir leur ressembler, créant des vocations…, un même tropisme existerait cette fois-ci pour des mouvements dynamiques délétères.

La souffrance serait telle qu’une forme de dépersonnalisation s’opérerait, menant à une identification envers la « personnalité » devenue étayante… une sorte de fausse bouée de sauvetage. Car dans le cas de suicidants, le déficit identitaire et narcissique est tel que l’autre va finir par dicter notre cheminement de vie. Le suicide reste un acte qui fut longuement interdit, dénoncé, condamné, notamment par les religions. Mais il reste surtout un acte que nous sommes incapables de prévoir réellement. Il est multiforme, est condition de tant de paramètres. Surtout il demande une analyse très neutre et scientifique, en y ajoutant les connaissances psychologiques et sociologiques, et sans le moindre jugement. Nous souhaiterions anticiper, prévenir et empêcher de tels actes d’autolyse.

Ëtre fasciné par le suicide de Robin Williams est un élément de surveillance et de vigilance. La France est très en retard concernant la prévention du suicide. Nous en discutions il y a 15 jours avec Michel Debout, fondateur de l’Observatoire du Suicide. Nous pouvons faire mieux afin de prévenir, repérer, anticiper, empêcher. Et mieux réfléchir sur ce qu’est notre vie propre, et notre mort personnelle.

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