Mort d'Hugo Chavez : quel est le réel bilan du Comandante ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Hugo Chavez est décédé mardi soir.
Hugo Chavez est décédé mardi soir.
©Reuters

Disparition

Le dirigeant vénézuelien Hugo Chavez a finalement succombé à un cancer, ce mardi soir, à l'âge de 58 ans. Après 14 ans de pouvoir, quel est son bilan ?

Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Atlantico : Jusqu'à quel point la mort d'Hugo Chavez représente un choc pour le Venezuela ?

Jacobo Machover : Les Vénézuéliens s’attendaient depuis longtemps à la nouvelle de la disparition d’Hugo Chávez. La comparution du vice-président Nicolás Maduro, désigné par Chávez lui-même comme son successeur au pouvoir, devant les plus hautes autorités, gouverneurs « chavistes », membres de la hiérarchie militaire, dirigeants du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), retransmise sur toutes les chaînes de télévision du pays, montre que le pouvoir de facto préparait en catastrophe la population à l’issue inéluctable. Il incitait le peuple à « la prière et à l’action ». Prière pour provoquer un miracle qui ne pouvait survenir, après de longs mois, depuis juin 2011, d’interventions chirurgicales, de soi-disant « guérisons », de transferts en catastrophe à La Havane et de retours en pleine nuit à Caracas. Une grande partie de la population y croyait pourtant, elle qui s’était parfois laissée guider par la compassion envers celui que Maduro qualifiait comme « notre maître, notre père et notre chef suprême ».

Une autre fraction, sans doute minoritaire, constituée essentiellement d’étudiants, réclamait au contraire la vérité sur l’état de santé du dirigeant « bolivarien », en manifestant contre l’opacité des informations distillées au compte-goutte par le gouvernement. C’est sans doute cette fraction-là que le vice-président, sur un ton menaçant, a désigné à la vindicte (« l’action ») des masses en l’accusant d’être manipulée par l’ « impérialisme américain » et même par Israël. Pour lui, d’ailleurs, ce sont les « ennemis » de la révolution qui sont responsables de l’état de santé de Chávez. Il en a d’ailleurs profité pour expulser dans la foulée deux diplomates américains. L’avertissement est clair : la « révolution » doit continuer, en l’absence de  son leader bien-aimé, celui auquel ses partisans, dans un curieux mélange de religiosité et de radicalité politique, accordaient leur confiance, à l’exclusion de tout autre.

Son action politique, souvent critiquée, peut-elle devenir un modèle pour les autres leaders latino-américains ?

Hugo Chávez a réussi à fédérer autour de sa figure bon nombre de dirigeants populistes de gauche en Amérique latine, parmi lesquels le Bolivien Evo Morales, ou l’Équatorien Rafael Correa, ou encore le Nicaraguayen Daniel Ortega et d’autres gouvernants, plus ou moins proches, à coups de subventions dues à la manne pétrolière du pays. Mais son « socialisme du XXIe siècle » n’est qu’une copie, par d’autres moyens, du castrisme triomphant. C’est à La Havane, sous l’égide de Raúl Castro et sous l’inspiration de Fidel, que se prennent les décisions fondamentales concernant le Venezuela, ce que n’ont pas manqué de critiquer les opposants au « chavisme » en dénonçant la perte de souveraineté de leur pays, parfois appelé « Cubazuela ». La caste dirigeante est en effet allée prendre ses consignes dans la capitale cubaine, officiellement pour aller rendre visite à l’illustre malade qui, sans doute, avait le plus grand mal à s’exprimer et à diriger quoi que ce soit. Ce sont les agents du castrisme, membres des services de la Sécurité de l’État, qui, aux côtés des médecins, instituteurs et autres « entraîneurs sportifs », contrôlent les rouages de l’appareil militaire et policier du Venezuela, tout en veillant à la protection rapprochée de ses dirigeants.

Connu pour sa rhétorique anti-Washington, ne peut-on pas dire que cet homme était le dernier chef d'état « bolivarien » ?

Hugo Chávez a utilisé la figure de Simón Bolívar, le  « Libertador », qui avait mené au début du XIXe siècle la lutte pour l’indépendance du Venezuela et d’une partie de l’Amérique du sud contre l’Espagne, dans sa rhétorique anti-impérialiste. Mais les idées de Bolívar n’avaient strictement rien à voir avec les siennes sauf, peut-être, dans sa volonté de se proclamer « dictateur » ou « président à vie ». La République et la Constitution n’ont de « bolivariennes » que le nom : elles sont seulement « chavistes », c’est-à-dire un mélange de fatras idéologique plus ou moins socialisant, propre à séduire un Jean-Luc Mélenchon ou un Ignacio Ramonet, avec des pratiques populistes et autoritaires, héritage de la formation militaire du « Commandant » Hugo Chávez, ancien soudard qui s’est fait connaître en 1992 à la suite d’une tentative de coup d’État raté contre un gouvernement démocratique.

Quelles peuvent être les conséquences régionales de sa mort ?

Pour Cuba, la disparition politique de Chávez est déjà vécue comme une catastrophe. L’île avait vu dans le Venezuela le substitut de l’ex-Union Soviétique. Les près de 125 000 barils de pétrole par jour, concédés à Cuba en échange des programmes sociaux, notamment « Barrio adentro », menés par les Cubains, permettent à l’économie cubaine de tenir tant bien que mal (plutôt mal, d’ailleurs). Cependant, entre Raúl Castro et Chávez, les relations n’ont pas toujours été à l’eau de rose : les nationalisations, constantes et capricieuses, décidées par le « caudillo bolivarien », n’ont pas été du goût du dictateur cubain, qui tente timidement de libéraliser l’économie cubaine pour éviter un marasme total. Cette désorganisation chronique a déteint, d’ailleurs, sur son protecteur économique : les coupures de courant, les pénuries alimentaires ne sont plus l’apanage du système castriste, au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle.

Quant aux autres dirigeants populistes latino-américains, ils observent avec une certaine inquiétude ce qui se passe du côté de Caracas (et de La Havane, où ils se sont pratiquement tous rendus en procession pour rendre visite au dirigeant présenté comme « convalescent »), en espérant, particulièrement dans le cas du président équatorien Rafael Correa, prendre sa place dans le leadership du populisme dans le sous-continent. Mais la situation au Venezuela pourrait dégénérer, en l’absence de toute légitimité constitutionnelle, que la désignation de Nicolás Maduro est loin d’avoir affirmée. Après la dévotion populaire envers le « Commandant » mourant, viendra le temps des questionnements, notamment sur les raisons pour lesquelles il a pu se présenter, dans l’état où il se trouvait déjà alors, à la dernière élection présidentielle d’octobre 2012 et remporter la majorité des suffrages. Les Vénézuéliens auront alors la terrible impression d’avoir été volontairement trompés par ceux qui se posent en successeurs d’Hugo Chávez.

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