Moins de 29 ans : ni plus ni moins intéressés par la politique qu’avant mais plus radicaux<!-- --> | Atlantico.fr
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40% des 18-24 ans disent s’intéresser beaucoup ou assez à la politique.
40% des 18-24 ans disent s’intéresser beaucoup ou assez à la politique.
©Reuters

Jeunes et cons ?

Les Jeunes Socialistes, qui regroupent des adhérents de 15 à 29 ans, tiennent leur 11e congrès ce weekend à Saint-Etienne. L'occasion de s'interroger sur le rapport des jeunes à la politique.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Les Jeunes Socialistes tiennent leur 11e congrès jusqu'à demain au Centre des Congrès de Saint-Etienne. Les jeunes s'intéressent-ils toujours à la politique aujourd'hui ?

Vincent Tournier : Contrairement à une idée reçue, l’intérêt des jeunes pour la politique ne change guère au cours du temps. En gros, 40% des 18-24 ans disent s’intéresser beaucoup ou assez à la politique, contre 45% pour l’ensemble des Français. Ces proportions peuvent fluctuer selon la conjoncture (notamment en période électorale) mais elles sont globalement stables depuis plusieurs décennies. La moindre politisation des jeunes est assez logique car ils ne sont pas encore des citoyens actifs, ils ne sont pas encore impliqués dans la vie professionnelle et familiale.

Cela dit, on pourrait prendre la question sous un autre angle : compte tenu des transformations sociales et des facilités actuelles, il est finalement assez étonnant que le niveau de politisation des jeunes n’ait pas augmenté. Après tout, les jeunes d’aujourd’hui font plus d’études que ceux d’autrefois, ils ont un accès plus facile à l’information, ils sont plus incités par le système scolaire à devenir des citoyens actifs, la communication politique a fait des progrès, etc. Et pourtant, la situation ne change pas. Au contraire. L’engagement politique des jeunes a plutôt tendance à baisser. On le voit bien avec la participation électorale, qui est finalement un indicateur plus important que le simple intérêt pour la politique. Certes, les jeunes ont toujours été plus abstentionnistes que les autres tranches d’âge. Par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2002, l’abstention a atteint 28% dans l’ensemble de la population et 37% chez les 18-24 ans. En 2012, l’abstention est retombée à 20% dans la population générale et à 28% chez les jeunes.

Toutefois, l’élection présidentielle est peut-être l’arbre qui cache la forêt : il s’agit d’une élection particulière car très visible et très mobilisatrice. En revanche, le problème de la participation se pose pour les autres élections, à commencer par les élections législatives, qui sont au moins aussi importantes sur le plan politique que les présidentielles. Or, en juin 2012, l’abstention des 18-24 ans a atteint 66% (contre 43% pour l’ensemble de la population). Par comparaison, les jeunes étaient 44% à s’abstenir en 2002 et 30% en 1981. En 30 ans, l’abstention des jeunes a donc quasiment doublé. Cette baisse de la participation ne concerne pas que les jeunes, mais elle n’en reste pas moins préoccupante car elle montre que le sens du vote a changé. Plusieurs observateurs l’indiquent : le vote n’est plus perçu comme un devoir civique (par comparaison, 25% des 60 ans et plus ont voté aux dernières législatives). Il existe donc un malaise, qui se manifeste par exemple dans le fait que les jeunes font plus souvent leur choix dans les tous derniers jours du scrutin, signe que la décision électorale devient plus difficile (ou moins importante) pour eux.

Leur engagement politique prend-t-il des formes différentes. Celui-ci passe-t-il forcément par des structures partisanes ?

En France, l’engagement dans les partis politiques n’a jamais été très important et il a fortement baissé au cours des dernières décennies, en raison notamment du déclin des grandes idéologies mobilisatrices et de la quasi-disparition du Parti communiste. Les jeunes n’ont jamais été très présents dans les partis politiques car ils comprennent mal cet univers, qui leur paraît représenter des valeurs archaïques, en opposition avec les valeurs contemporaines. Ce n’est pas totalement nouveau, mais la distance s’est sans doute accrue en raison d’une évolution plus profonde du rapport à la politique, laquelle n’est plus perçue comme permettant aux individus de se réaliser en tant que citoyens. En somme, la vraie vie est ailleurs. Parallèlement, il existe aussi une forme de résignation ou de désillusion face à la politique. Cette désillusion constitue l’un des grands paradoxes de notre temps. Car comment expliquer cette étrange conjonction : d’un côté, des libertés individuelles qui n’ont jamais été aussi grandes, de l’autre le sentiment de ne pas pouvoir peser sur le cours des choses, de ne plus maîtriser son destin ?

Il faut ajouter que le faible engagement des jeunes dans les partis politiques se retrouve aussi pour les syndicats et les associations, ce qui est plus étonnant car les valeurs sont ici davantage en adéquation avec celles que disent soutenir les jeunes. Pourtant, même les associations antiracistes sont souvent des coquilles vides. Il s’agit donc d’un problème plus général, qui concerne la crise de l’engagement traditionnel.  

La tendance est donc à privilégier des formes d’engagement moins coûteuses en temps et en énergie, des mobilisations plus ponctuelles, moins idéologiques. Les spécialistes parlent d’un engagement non conventionnel ou protestataire. C’est par exemple le recours aux pétitions ou aux manifestations, deux activités qui ont fortement augmenté depuis une trentaine d’années. Ce type d’engagement peut être efficace, mais force est de constater qu’il valorise une attitude essentiellement défensive ou d’opposition : on se mobilise contre quelque chose, contre un projet, contre une réforme. Cela permet à la société civile de garder une sorte de « droit de veto » sur les projets qui, à ses yeux, vont trop loin. Mais ce type de mobilisations n’est pas sans poser problème car, d’une part il intervient tardivement, une fois que les projets sont ficelés, d’autre part il instaure une logique d’affrontement entre les citoyens et les élites. L’engagement sur Internet et les réseaux sociaux peut conduire à amplifier cette évolution vers un engagement négatif : ce qui se développe, c’est bien la pratique du dénigrement, de la critique radicale, de la condamnation sans appel, souvent sous le couvert de l’anonymat.

Vers quels partis se tournent-ils majoritairement ? Alors que le Front national de la jeunesse (FNJ) revendique désormais 10 000 adhérents âgés de 16 à 30 ans, le FN séduit-il particulièrement les jeunes ?

En France, les organisations de jeunesse n’ont jamais été des organisations très importantes. Le FNJ revendique 10.000 adhérents, tandis que le MJS (mouvement des jeunes socialistes) en revendique 7.500. Les Jeunes populaires de l’UMP déclarent qu’ils sont « des milliers », sans précision, ce qui signifie que leur effectif ne dépasse probablement pas celui des jeunes socialistes. Ces chiffres ne sont certes pas très élevés, mais à l’échelle des partis politiques français, ils sont loin d’être négligeables.

Il faut dire que les partis entretiennent une relation ambigüe avec ces structures de jeunesse. D’un côté, ils ont besoin des jeunes adhérents, lesquels constituent à la fois de précieux relais vis-à-vis de l’opinion et des centres de détection pour recruter les futurs cadres ou les futurs élus. La plupart des anciens responsables du MJS ont ainsi suivi une carrière politique, comme Benoît Hamon, qui a été le premier président du MJS en 1993.

D’un autre côté, les partis se méfient de ces organisations car elles peuvent être difficiles à contrôler. Les clivages internes sont également importants. Chaque chapelle tente d’y développer sa propre filière, son propre réseau.

Rien ne dit d’ailleurs que les partis soient désireux de recruter massivement chez les jeunes. C’est tout le problème de la transformation des partis politiques dans la période récente : pour les appareils, les militants ne constituent pas une ressource vitale. Certes, avoir des militants dévoués est toujours nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du parti, mais désormais les partis dépendent surtout du financement public, donc de leurs résultats aux élections.

La Manif pour tous a attiré beaucoup de jeunes. Peut-on imaginer quelle sera un vivier pour les partis politiques ?   

Les grandes mobilisations collectives ont toujours été l’occasion de constituer des viviers de recrutement pour les partis politiques. Participer à un mouvement collectif est une expérience marquante. C’est une période riche en émotions, c’est le moment où les opinions se cristallisent, où l’on développe une certaine conscience politique. C’est le moment où l’on multiplie les échanges, où l’on apprend, mais aussi où l’on rencontre des gens politisés. Les études sociologiques ont montré que l’entrée dans un parti politique est souvent tributaire d’une rencontre avec un « mentor », avec celui qui va introduire dans un réseau militant.

Il faut aussi souligner les effets à plus long terme. A la Manif pour tous, beaucoup de gens sont venus en famille, avec leurs enfants. La gauche a critiqué cette présence des enfants : on se souvient notamment de Manuel Valls qui a demandé aux manifestants de venir sans les enfants. Mais c’est oublier que c’est presque un rituel, dans les manifestations, de venir en famille, d’« initier » les jeunes. Cela tient au fait que la manifestation fait partie des rituels républicains, que ce soit pour la gauche ou pour la droite, qui ont toutes les deux leurs grandes heures de manifestations dans la rue, leurs légendes dorées.

Alors que les jeunes sont les premiers à souffrir du chômage, assiste-t-on à une radicalisation politique de la jeunesse ? Quelle forme prend-t-elle ?  

Il est clair que, sur le terrain de l’emploi, la situation s’est dégradée, à la fois dans la population générale et chez les jeunes. Le taux de chômage des moins de 25 ans est ainsi passé de 17% au début 2008 à 25% aujourd’hui, ce qui crée forcément des tensions et des inquiétudes, à la fois pour les jeunes et pour les parents.

Il convient toutefois de nuancer ce chiffre puisque, lorsqu’on parle du chômage des jeunes, on parle du nombre de chômeurs par rapport à la population active, donc par rapport aux jeunes qui ont quitté le système scolaire. Or, jusqu’à l’âge de 20 ans, les jeunes sont encore majoritairement scolarisés. Donc, quand on dit que 25% des jeunes sont au chômage, il s’agit en fait de 25% des jeunes parmi ceux qui ne sont plus scolarisés, ce qui concerne une population assez spécifique, celle qui est sortie précocement du cadre scolaire et dont l’insertion professionnelle est par définition plus problématique.

Si on calcule par rapport à l’ensemble de la classe d’âge, c’est environ 9% des jeunes qui sont aujourd’hui au chômage. C’est évidemment beaucoup, mais cela ne permet pas de parler d’une « génération perdue » comme on le lit parfois dans la presse. Cela permet aussi de relativiser les effets politiques du chômage, même si un phénomène minoritaire peut avoir des répercussions plus que proportionnelles. Le chômage entre probablement dans ce cas de figure. La hausse du chômage, doublée par les inquiétudes qui s’expriment dans les médias, confortent l’opinion publique dans l’idée que les gouvernements sont impuissants, voire que les promesses ne sont pas tenues, par exemple les promesses concernant les conséquences qui étaient supposées heureuses de l’intégration européenne. L’Europe était censée prémunir contre ce risque, elle devait relancer la croissance, mais cela ne se vérifie pas.

Au-delà de ce malaise général, les effets politiques de la crise sont difficiles à évaluer. Pour l’instant, curieusement, la vie politique continue son bonhomme de chemin comme si de rien n’était. La dernière séquence électorale de 2012 l’a bien montré : rien n’a changé, les rapports de force sont toujours les mêmes, les partis de gouvernement ne se sont pas effondrés, les extrêmes n’ont pas su capitaliser, notamment l’extrême gauche, dont on pouvait penser qu’elle était la mieux placée pour engranger les bénéfices de la crise en faisant valoir qu’elle avait annoncé tout cela. Chez les jeunes, le silence est encore plus étonnant : aucune manifestation d’envergure pour dénoncer la crise, les banquiers, la mondialisation, la finance. Faut-il s’inquiéter de ce statu quo ? Est-ce le signe d’une désillusion totale ? Est-ce le calme avant la tempête ?

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