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Michael Bloomberg pourrait-il être celui qui fait dérailler la machine Trump ?
©Mandel NGAN

Présidentielle 2020

L'ancien maire de New York, Michael Bloomberg, intervient de nouveau dans la campagne pour les primaires démocrates, et risque de changer la donne politique aux Etats-Unis.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico.fr : En réaction à des sondages défavorables aux candidats démocrates, la candidature de l'ancien Maire de New York, Michael Bloomberg, a de nouveau été évoquée par ses proches conseillers. L'homme politique s'inquiète de la capacité du parti démocrate actuel de gagner l'élection face à Donald Trump. 

Michael Bloomberg pourrait-il aujourd'hui s'affirmer comme une figure équilibrée pour le parti démocrate ? Quels sont ses qualités par rapport à Joe Biden dont la ligne semble actuellement la plus proche de ses idées ? 

Jean-Eric Branaa : Michael Bloomberg est en effet assez proche de Joe Biden sur le plan des idées, et à l’opposé de candidats comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren. Sa carrière politique a été très sinueuse et, après avoir dominé à New York sous l’étiquette républicaine, il est devenu le leader de la pensée centriste et s’est positionné comme indépendant. Signe qu’il se passait quelque chose, à la fin de l’été 2018, il a de nouveau changé de bord et a adhéré au Parti démocrate. Il a alors justifié cette mutation en rappelant qu’il était déjà démocrate avant de se présenter à la mairie de la Grande Pomme : il bouclait donc la boucle ! 

Bloomberg peut mettre en avant un bilan qui est jugé bon par la plupart des électeurs de gauche. Même lorsqu’il s’opposait à eux, il s’est toujours montré proche de leur camp dans des dossiers tels que les armes à feu, le mariage homosexuel ou le changement climatique et il explique qu’il a quitté le parti républicain lorsque celui-ci a pris un virage réactionnaire. Il dispose donc de pas mal d’atouts pour tenter de séduire les démocrates du pays avant, peut-être, de s’attaquer à l’autre colosse issu lui-aussi de New York. Il sera alors temps, à ce moment-là, de tenter de rallier les plus modérés dans l’autre camp. Avec son influence qui a été sans cesse croissante au sein du Parti démocrate, Bloomberg pourrait conquérir une place prépondérante dans cette course où, mis à part Joe Biden, Elizabeth Warren et Bernie Sanders, les nombreux candidats potentiels manquent d'une offre politique construite et attrayante. 

Bloomberg se plait à penser qu’il est une version de Trump de gauche, mais en mieux. Il entre dans le jeu présidentiel avec son image de centriste et il espère que cela fera la différence à un moment où le pays n’a jamais été autant divisé et où Joe Biden est affaibli.

Ne risque-t-on pas de voir déserter les classes populaires et moyennes, si Michael Bloomberg réussissait son pari ? N'est-il pas sur une ligne trop favorable à la finance de Wall Street et proche de celle de la précédente candidate Hilary Clinton ? 

Son souci n’est pas tant avec les classes populaires qu’avec les plus progressistes dans le Parti, qui n’ont pas oublié qu’il a mis en place autrefois une politique dure vis-à-vis de la criminalité, à New York, du temps où il en était le maire. C’est déjà le reproche qu’ils adresse à Joe Biden. 0 cause de cela, il devrait avoir de la peine à séduire cette aile gauche. Anticipant cette difficulté, il a su bondir au bon moment, lorsque Jerry Brown a réagi au retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris et prendre en marche le train de la lutte contre le réchauffement climatique et des luttes écologistes. 

Son problème est toutefois également réel avec les classes populaires.  Contrairement à ce que Donald Trump a réussi en 2016, à savoir, faire de sa richesse un atout pour séduire les plus pauvres, Michael Bloomberg se trouve dans l’incapacité de réaliser une telle prouesse : d’abord parce que son nom résonne comme un synonyme de grande entreprise, un monde bien éloigné de celui des ouvriers ou de classes les plus en difficultés. 

Pour la plupart des Américains, Bloomberg est en effet également très fortement associé à Wall Street : il sera très difficile au magnat new-yorkais de rallier les troupes les plus radicales, celles qui suivent Bernie Sanders ou ont confiance en Elizabeth Warren. Même parmi les plus à même de le soutenir, on note qu’il y a de vraies résistances à se ranger à ses côtés : en 2016, Bill de Blasio, qui lui a succédé à son poste de maire de New York insistait sur son immense fortune en estimant qu’elle le disqualifiait pour la présidence : « Je ne me rappelle pas qu’il ne se soit jamais penché sur la question des inégalités durant sa carrière politique » faisait-il remarquer. Bloomberg est une technicien, plus froid, plus sérieux que Donald Trump, qui s’est toujours appuyé sur son savoir-faire pour avancer. Donald Trump est plus flamboyant, vantard, braillard, mais terriblement efficace pour ce qui est de retourner le plus sceptique et le convaincre : un bateleur, un vendeur de foire, Donald Trump est la face flamboyante qui manque à Michael Bloomberg.  L’ancien maire de New York a dirigé sa ville dans la rigueur budgétaire, en se positionnant comme un conservateur fiscal. Donald Trump ignore totalement ce que cette notion cela signifie, et ne cherche pas à le savoir.

La réussite dans le monde des affaires de Bloomberg peut-elle lui permettre de se positionner face à Trump et à son aura de businessman pragmatique ? 

Michael Bloomberg est riche, avec beaucoup d’expérience dans le monde des affaires et représente un exemple vivant de la réussite américaine. Bloomberg se considère comme une figure américaine et a toujours souhaité rencontrer un destin national, à la manière de Donald Trump.Ce désir, couplé à son changement récent de parti – il a été maire républicain de New York et il est devenu démocrate au cours de l’été 2018– et à sa fortune personnelle énorme, suggère que Bloomberg est vraiment un candidat sérieux. 

Mais le ploutocrate n’a peut-être pas véritablement compris les raisons de la victoire de Trump ou n’en a tiré que des leçons qui ne sont pas forcément les bonnes. Car si Donald Trump mettait régulièrement en avant sa richesse, ce n’était que pour conforter son message d’incorruptible face aux lobbies, pas nécessairement pour asseoir sa campagne sur une domination par l’argent. C’est pourtant bien à coup de millions de dollars que Michael Bloomberg compte tracer sa route dans cette course folle. Il a consacré 110 millions de dollars au financement des campagnes de divers candidats démocrates lors des élections de mi-mandat de 2018 à travers son comité d’action politique (PAC) : Independence USA. C’est le plus gros investissement par un donateur unique à ce jour. Même Sheldon Adelson, un autre milliardairequi, de son côté, finance les républicains, n’a fait don « que » de 30 millions de dollars.Son apport n’a toutefois pas été gaspillé pour rien : 21 des 24 candidats qu’il a directement soutenus pour la chambre des représentants l’ont emporté ! 

Michael Bloomberg a un avantage certain dans la lutte contre Donald Trump, du fait de la ressemblance des trajectoires que lui et Trump ont suivies dans leur vie : Bloomberg peut opposer au président en exercice qu’il sait ce que c’est que de gérer une entreprise et de créer des dizaines de milliers d'emplois au cours de sa vie. Seulement, en plus, il peut mettre en avant un bilan d’élu, d’autant qu’il s’agit d’un bilan positif de la gestion de la plus grande ville du pays. Ce serait certainement une compétition très équilibrée si les deux hommes devaient concourir l’un contre l’autre, et Bloomberg est persuadé que le statut de président sortant qui avantage Donald Trump ne pèserait pas très lourd face à ses propres atouts. On perçoit pourtant le type de campagne que cela pourrait donner, largement plus féroce que cela ne le fut avec Hillary Clinton. Une attaque évidente pour Trump serait de le traiter de technocrate.

Un des combats porté par Bloomberg est notamment la lutte contre le changement climatique. Les américains, plus sceptiques vis-à-vis de l'écologie que les européens, seraient-ils réceptifs à cette dimension de son combat ? 

Michael Bloomberg a aussitôt rejoint une initiative lancée lorsque Donald Trump a quitté l’Accord de Paris et à laquelle se sont associées plus de mille entités : des villes, des états, des entreprises ou des associations. L’ensemble a été baptisé « We’re Still In ». Cette initiative prétend suppléer à l’absence des Etats-Unis dans le dispositif mondial qui a été acté à Paris en décembre 2016. En parallèle, la fondation Bloomberg Philanthropies, s’est engagée à prendre en charge l’équivalent de la contribution américaine attendue, et qui allait donc désormais manquer (à hauteur de 15 millions de dollars). L'ancien maire de New York Michael Bloomberg fait partie de ceux qui ont choisi de sortir le chéquier pour l'environnement. « L'Amérique a pris un engagement et si le gouvernement ne le tient pas, nous avons collectivement une responsabilité », a-t-il notamment déclaré. « J'ai les moyens de le faire, je vais donc envoyer un chèque du montant des sommes promises. » Mais, en réalité, la question climatique ne permet pas d’engranger des voix, comme on l’a vu avec la candidature malheureuse du gouverneur de l’Etat de Washington, Jay Inslee, qui avait basé toute sa campagne sur cette question et n’a jamais dépassé 1%, avant de quitter le match.

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