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Mesures pour les banlieues et (absence de) réduction des dépenses publiques : le condensé saisissant des forces et des faiblesses du macronisme
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Grandeur et décadence

Après avoir renoncé au plan Borloo, Emmanuel Macron a pu présenter un plan banlieue au lendemain de son discours du Congrès au cours duquel il a pu renoncer à ses ambitions antérieures sur la question de la dette en annonçant un objectif de "baisse de la hausse". En quoi le macronisme souffre-t-il d'un décalage entre ses ambitions et ses annonces, et une réalité qui semble plus proche du "monde d'avant" que d'un réel "nouveau monde" ?

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Après avoir renoncé au plan Borloo, ce qui fut un acte politique en soi, après avoir annoncé un "monde nouveau" durant la campagne notamment en pointant la "fainéantise" des anciens dirigeants dans leur gestion du pays -avec la question de la dette en toile de fond, Emmanuel Macron a pu présenter un plan banlieue au lendemain de son discours du Congrès au cours duquel il a pu renoncer à ses ambitions antérieures sur la question de la dette en annonçant un objectif de "baisse de la hausse". En quoi le macronisme souffre-t-il d'un décalage entre ses ambitions et ses annonces, et une réalité qui semble plus proche du "monde d'avant" que d'un réel "nouveau monde" ?

Jacques Bichot : Le « macronisme », c’est-à-dire le style de gouvernance propre à Emmanuel Macron, tient beaucoup à sa formation et à son expérience. J’ai le sentiment - je parle de « sentiment » parce que je suis loin de disposer des informations requises pour faire une véritable analyse – qu’Emmanuel Macron est en quelque sorte assis entre deux chaises, intellectuellement et du point de vue de son expérience.
Intellectuellement, il possède un esprit brillant, mais sa capacité conceptuelle me paraît être limitée. Il peut de ce fait innover, mais pas de façon radicale ; il peut changer des éléments du système, mais pas le système lui-même. Or, pour réaliser de grandes ambitions, il faut être capable de voir les choses de manière entièrement nouvelle. Ce n’est pas ce dont est capable un très bon élève comme Macron, « fort en thème » comme on aurait dit jadis, mais ne disposant pas d’une intelligence assez indépendante et créatrice pour innover en profondeur. Il en restera sans doute pendant tout son mandat à essayer de faire du neuf avec du vieux, et comme il est assez intelligent pour s’en rendre compte, cela lui sera très pénible.
Prenons quelques exemples. Le redressement financier de l’Etat français doit, pour être mené à bien, s’appuyer sur des analyses en profondeur. Par exemple, pourquoi avons-nous d’énormes effectifs de fonctionnaires, et des services publics qui ne sont pas d’une grande qualité ? Il y a deux raisons principales à cette mauvaise productivité des services publics : un déficit de management et des missions dont beaucoup sont définies de manière totalement bureaucratique, déconnectées des réalités. Pour y remédier, il faut tenir les deux bouts de la chaîne : d’une part analyser le fonctionnement des services avec l’esprit d’observation et de méthode qu’avait par exemple un sociologue de l’activité administrative tel que Michel Crozier ; et d’autre part analyser l’entassement incroyable de nos textes et règlements de façon à en supprimer une proportion considérable, peut-être la moitié ou les trois quarts. Les hommes doivent être dirigés par des chefs, pas par des textes !
Un autre exemple, dans un domaine sur lequel je travaille en tant qu’économiste, c’est le sens même des recettes et des dépenses de l’Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Tant qu’on n’a pas compris que, comme l’écrit Philippe Nemo dans sa Philosophie de l’impôt, les citoyens achètent des services par leurs impôts et cotisations, les réformes n’iront jamais bien loin. Il faut avoir une conception extensive de l’échange, qui engobe les services publics.
Les contribuables et cotisants paient pour disposer de bons services ; l’échange ne se réduit pas au marché, il englobe les rapports entre les citoyens et l’Etat. Il y a quelques cas où l’Etat doit savoir être autoritaire ; les banlieues, notamment, ont le besoin le plus urgent de cette autorité, actuellement défaillante ; et il y a un grand nombre de cas où les fonctionnaires devraient se concevoir comme au service de leurs clients. 
Il n’est pas possible de développer dans une interview toute la philosophie politique moderne requise pour rénover la France ; je dirai seulement, puisque nous parlons de l’actuel président de la République, qu’il n’a probablement pas cette philosophie. Mais ne pleurons pas trop : le bol est certes à moitié vide, mais du temps de son prédécesseur il l’était aux neuf dixièmes.       

Dans quelle mesure le degré de "réformisme" mis en place se rapproche-t-il plus de ce qui a pu être vu lors du quinquennat de François Hollande que des déclarations de campagne d'Emmanuel Macron ?

Grosso modo, on attendait Bonaparte au pont d’Arcole, et on a eu la laborieuse avancée de Napoléon à travers les immenses espaces russes. Le plan Banlieues est symptomatique de cet enlisement : là où il aurait fallu un véritable stratège, et un dynamiseur d’hommes capable d’insuffler un esprit de conquête de ces territoires perdus de la République, nous avons eu un banquier comptant les milliards à investir, envisageant de les confier à une sorte d’inventeur du fusil à tirer dans les coins, et se rendant compte in extremis qu’il n’a personne de sérieux sous la main pour obtenir un retour sur investissement. 
Le problème des banlieues est très délicat, très complexe dans ses détails, mais il répond probablement à la formule utilisée par Charles de Gaulle dans ses mémoires de Guerre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». Et, bien sûr, les idées du Général ne s’exprimaient pas en millions ou milliards d’unités monétaires ! Les banlieues ne s’achètent pas, elles se pacifient et se séduisent par un alliage adéquat de force et de délicatesse. La force pour rassurer et sécuriser des millions de personnes victimes de quelques dizaines de milliers de loubards, comme on disait jadis, et la délicatesse pour qu’une fois l’ordre rétabli – au prix, n’en doutons pas, d’opérations quasi militaires - la douceur de vivre germe à nouveau dans les quartiers. 

Quels sont les risques qu'encourt le pays à voir ces ambitions réformistes revues à la baisse ? Que traduit ce décalage entre discours et réalité ?

Notre Président a été formé à discourir, et il est un as aussi bien dans les joutes verbales que dans les discours classiques. Mais si cela est suffisant pour ne faire qu’une bouchée d’une malheureuse Marine Le Pen sur un plateau de télévision, et pour briller devant un auditoire d’étudiants américains, ce n’est pas suffisant pour affronter la réalité. Surtout si on ne dispose pas de l’arsenal conceptuel et analytique suffisant pour choisir de bonnes réformes composant un ensemble cohérent. La parodie de service national pour les grands adolescents est typique du choix de mesures symboliques qui montrent une gentille velléité plutôt qu’une forte volonté. Les symboles sont importants, et c’est justement à cause de cela qu’il ne faut les utiliser qu’à bon escient, sinon vous les dévaluez – et vous avec.
La parole présidentielle gagnerait à être plus rare et plus opérationnelle. Emmanuel Macron veut trop en faire en matière de communication, et le résultat est qu’il dévalue ses propos, et probablement aussi les directives qu’il donne à ses collaborateurs. Il doit insuffler un esprit de sérieux, voire de rigueur, au sein d’un monde politique et administratif qui est largement déboussolé, qui manque de directives claires et se réfugie soit dans des propositions qui sentent l’amateurisme à trois lieux à la ronde, soit dans l’application tantôt paresseuse, tantôt trop pointilliste, de règlements courtelinesques. Et pour cela il serait bon qu’il parle moins et qu’il étudie et agisse davantage. 
Une réforme comme celle de la SNCF a-t-elle été correctement pensée ? Le recrutement hors statut était nécessaire, mais la concurrence n’a guère d’autre intérêt que de se plier à de sottes règles européennes. Une réforme comme celle des retraites a-t-elle été correctement conçue, et sa préparation avance-telle assez vite ? Comme spécialiste de cette question, je ne peux répondre positivement. Sur un tel sujet, nous allons refaire dix ou vingt ans plus tard ce que les Suédois, les Allemands et les Italiens ont fait avant nous, alors qu’une innovation radicale serait nécessaire. 
Et c’est sur ce point que je terminerai, car il est peu d’exemples aussi énormes du décalage entre le discours (le discours commun, pas spécialement celui du président de la République) et la réalité : attribuer des points de retraite au prorata de cotisations qui sont immédiatement transmises aux retraités, et que donc les cotisants ne reverront jamais, c’est mettre l’autorité de l’Etat au service d’une escroquerie analogue à celle qui a envoyé Bernard Madoff en prison, c’est confondre la capitalisation et la répartition, et c’est mener une lourde opération sans en profiter pour changer fondamentalement un système économiquement absurde. Quel dommage, alors qu’en réfléchissant un petit peu plus, en relisant Alfred Sauvy, on pourrait doter la France d’un système vraiment nouveau qui constituerait pour elle un atout formidable.   

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