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Mères absentes : les conséquences d'une carence affective sur l'adulte qui en a souffert
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Bonnes feuilles

Les hommes et les femmes qui ont manqué de soins maternels et qui n’ont pas pris ainsi le meilleur départ dans la vie sont souvent, à l’âge adulte, en proie à des luttes intestines profondes, en partie à cause de ces besoins non satisfaits durant l’enfance. Ce livre vous aide à comprendre ce qui vous a psychiquement et affectivement manqué dans vos jeunes années. Extrait de "Les Mères absentes", de Jasmine Lee Cori, publié chez Ixelles (2/2).

Jasmin Lee Cori

Jasmin Lee Cori

Jasmin Lee Cori est psychothérapeute, spécialisée dans l’accompagnement d’adultes victimes d’abus ou de négligence pendant l’enfance. Durant son par-cours professionnel, elle a longtemps travaillé avec des services sociaux et en-seigné la psychologie en écoles spécialisées. Elle est l’auteur de nombreux ar-ticles scientifiques et de 4 précédents livres.

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Qu’est-ce qu’un traumatisme lié à l’attachement ?

Il existe de nombreuses situations liées aux parents ou à d’autres figures d’attachement qui peuvent traumatiser un enfant. Par exemple, il est traumatisant pour un jeune enfant de rester seul. Ou de subir une séparation insupportable. Une discontinuité importante dans la relation d’attachement ou la perte d’une figure d’attachement sont également des situations traumatisantes. De même que des violences physiques ou des abus sexuels commis par une figure d’attachement.

Se sentir abandonné au moment où l’on en a le plus besoin est très traumatisant pour un enfant et provoque des blessures d’attachement. Imaginez que vous allez dire à un parent que l’un de vos parents vous maltraite et que ce parent auquel vous vous confiez ne vous croit pas, ignore ou minimise ce que vous lui racontez et ne vous protège pas. Rappelez-vous que vos relations avec des figures d’attachement sont censées vous apprendre que le monde est un endroit sûr. Un attachement sécurisant passe par la satisfaction de vos besoins. Ne pas vous sentir protégé ou vous sentir négligé dans une situation d’urgence résonnera en vous comme un abandon, voire comme un viol.

Quel que soit l’âge, un traumatisme est dévastateur, mais lorsqu’il est associé à une figure d’attachement, sa marque est quasiment indélébile.

Peut-être n’ai-je pas bénéficié d’un attachement sécurisant à ma mère, mais n’est-il pas injuste de la tenir pour responsable ?

Bien que les enfants viennent au monde avec des différences significatives, tout le monde s’accorde à dire que le comportement de la personne qui prend soin d’eux est déterminant dans la formation d’un attachement sécurisant. Si un nourrisson a un parent sécurisant et un autre insécurisant, nul doute qu’il possède la capacité à s’attacher au parent sécurisant qui répond à ses besoins.

Il est prouvé que former les mères pour les aider à devenir plus à l’écoute des besoins de leur enfant et plus aptes à les satisfaire peut modifier le schéma d’attachement. On constate très rapidement qu’une amélioration de la capacité de la mère à satisfaire les besoins de l’enfant permet à ce dernier de développer un attachement à sa mère de plus en plus sécurisant.

Tenir notre mère pour responsable de notre attachement insécurisant ne veut pas dire la considérer comme une mauvaise mère ou une mère peu aimante. Son comportement peut présenter de nombreux aspects positifs. Par exemple, elle peut aimer son bébé mais prendre peur et avoir envie de le repousser à chaque fois qu’elle sent qu’il a besoin d’elle. Malheureusement, ce comportement crée souvent un cercle vicieux parce que plus la mère se met en retrait et refuse de prendre soin de son enfant, plus le bébé multiplie les signaux pour lui exprimer ses besoins, alors que ce sont justement ces signaux d’appel à l’aide qui l’effraient. D’autres facteurs peuvent aller dans ce sens, parmi lesquels une mère peu douée pour interpréter les signaux de son bébé ; une mère préoccupée, dépassée par les événements ou déprimée ; une mère angoissée et hypersensible au rejet ; enfin, une mère qui a été elle-même insuffisamment maternée. En effet, si elle a eu une mère qui prenait soin d’elle à contrecoeur, n’était pas à l’écoute de ses besoins ou se montrait trop occupée ou trop distante, ce schéma est ancré en elle et elle le répète à son insu. On a souvent du mal à accepter qu’une autre personne reçoive ce dont on a tellement manqué dans l’enfance, et les mères ne font pas exception à cette règle.

Vous aurez l’occasion de parvenir à une compréhension plus objective de ce qui s’est passé avec votre propre mère plus tard dans ce livre, mais pour l’instant il est préférable de lui attribuer votre style d’attachement initial et d’éviter de vous interroger sur votre responsabilité dans l’histoire. Même si vous savez bien que chacun est co-responsable de la relation, et notamment d’une relation aussi complexe que celle d’une mère et de son enfant, en interaction permanente (on peut aller jusqu’à dire que chacun reflète le repli ou le rejet de l’autre), c’est la mère, en tant qu’adulte, qui est la plus apte à prendre conscience de la situation et à changer la donne.

Puis-je encore développer des attachements sécurisants si j’en ai manqué dans le passé ? Cela m’aiderait-il et, si oui, en quoi ?

Même si vous n’avez jamais bénéficié d’un attachement sécurisant, il n’est jamais trop tard pour en développer un. Car un attachement sécurisant offre de nombreux avantages :

• il vous donne un ancrage dans le monde, un endroit où vous êtes connecté ; • il vous donne une image plus positive des êtres humains et vous fait voir votre vie de manière plus optimiste ; • il vous aide à développer un sentiment de sécurité indéfectible, où que vous soyez et quoi que vous fassiez ; • il vous offre un endroit où vous reposer, où vous n’êtes pas seul mais soutenu par l’autre ; • il favorise vos sentiments positifs, renforce votre estime de vous-même et votre confiance en vous ; • il augmente vos chances de vous tourner vers les autres pour leur demander de l’aide ; • il renforce des circuits neuronaux qui vous sont favorables et stimule votre développement cérébral ; • il améliore votre capacité d’autorégulation (p. 27) ; • il vous donne des ressources dans lesquelles vous pouvez puiser pour surmonter les vicissitudes de l’existence.

Il est important de développer des attachements sécurisants avec des personnes dignes de confiance pour guérir les carences liées à un maternage insuffisant.

Identifier des figures d’attachement

À l’âge adulte, nos figures d’attachement privilégiées sont souvent nos partenaires amoureux, mais elles peuvent aussi prendre la forme de thérapeutes ou d’autres professionnels de la relation d’aide, de substituts maternels ou d’amis intimes. Certains enfants ont des amis imaginaires susceptibles de combler une partie de leurs besoins, et de nombreux individus – enfants et adultes – trouvent dans leurs animaux de compagnie une proximité et un réconfort.

Si vous vous demandez qui peut ou pourrait faire office de figure d’attachement dans votre cas, voici quelques questions à vous poser :

►►Vers qui est-ce que je me tourne en toute confiance lorsque je vais mal ? Qui puis-je aller voir en cas de besoin ? ►►Qui, selon moi, se soucie réellement de moi et de savoir comment je vais ? Qui se soucie de moi pour ce que je suis vraiment (et pas dans un but intéressé) ? ►►Si j’étais en situation de totale dépendance (par exemple, après un accident ou une maladie grave), de qui est-ce que je rechercherais la compagnie ? ►►Sur qui puis-je compter dans toutes les situations ? Qui sera toujours là pour moi ?

Vous pouvez aussi réfléchir à votre enfance et sur qui vous pouviez compter à l’époque.

Quel est mon style d’attachement ?

Si vous n’avez pas encore identifié votre style d’attachement, je vous conseille de lire les descriptions suivantes et de voir laquelle vous correspond le plus. Notez que ces descriptions s’appliquent plutôt à des relations à l’âge adulte qu’à la relation mère-nourrisson.9 J’ai également limité chaque style à trois aspects majeurs. Il existe des résultats de recherche beaucoup plus détaillés, mais ce petit échantillon peut vous donner un aperçu général du style auquel vous appartenez.

Style A : • J’ai souvent peur que mes partenaires amoureux ne m’aiment pas vraiment ou ne veuillent pas rester avec moi.• Parfois, mon désir de proximité fait fuir l’autre. • Dans une relation amoureuse, c’est souvent moi qui souhaite davantage de proximité.

Style B : • Je n’aime pas devoir dépendre des autres. Je trouve que c’est le meilleur moyen d’être blessé. • Je préfère ne pas montrer ma vulnérabilité à l’autre. D’ailleurs, je préférerais ne pas me sentir vulnérable ! • Je ressens un stress lorsque quelqu’un s’approche trop près de moi.

Style C : • Dépendre des autres et savoir que les autres dépendent de moi ne me pose aucun problème. • Il m’est relativement facile d’être dans la proximité avec l’autre. • J’ai confiance en l’autre ; je sais qu’il sera là (la plupart du temps) si j’ai besoin de lui.

Style D : • Je tisse un lien de proximité avec l’autre en répondant à ses besoins. • Je pense que si je satisfais la plupart des besoins de l’autre, il ne m’abandonnera pas. • Il ne semble pas y avoir de place pour nos besoins à tous les deux.

Même si cela vous paraît évident, le style A correspond au style préoccupé, le style B au style autonome, le style C à l’attachement dit sécurisé et le style D au style « caretaker ».

Puisque l’attachement désorganisé est l’absence d’un style clairement établi, il est beaucoup plus difficile de l’identifier à l’aide d’un questionnaire de ce type..

Il existe de multiples façons d’étudier votre style d’attachement de manière plus approfondie, et je vais mentionner quelques autres aspects que vous pouvez observer dans votre vie actuelle.

Un indice intéressant est la manière dont vous réagissez à un abandon perçu. Les premières recherches menées sur les styles d’attachement mettaient en scène des mères qui quittaient leur enfant âgé d’environ 1 ans pendant un laps de temps assez court, puis revenaient auprès d’eux (la fameuse « situation étrange »). Les enfants qui manifestaient le comportement le plus évitant et le plus détaché (style autonome) étaient ceux qui avaient le plus de mal à se reconnecter à leur mère à son retour. Souvent, ils se contentaient de l’ignorer. Ces enfants voulaient dire : « Tiens, c’est toi. Mais tu n’es pas importante pour moi. » Et ils se focalisaient sur ce qu’ils étaient en train de faire.

Réfléchissez à la manière dont vous réagissez lorsque quelqu’un à qui vous êtes attaché s’en va. Vous sentez-vous trop vulnérable pour montrer à la personne aimée qu’elle vous manque (comme c’est le cas du style autonome) ? Avez-vous du mal à supporter son départ ? Avez-vous du mal à retrouver votre entrain lorsqu’elle revient ? Êtes-vous tellement obnubilé par la perte qu’il vous est difficile de faire comme si rien ne s’était passé lorsque la personne aimée revient (ce qui est typique du style préoccupé/ambivalent) ? Voulez-vous la punir d’être partie (typique du style préoccupé/ ambivalent) ? Dans le cadre des expériences de situation étrange menées par les chercheurs, c’était davantage la réaction des jeunes enfants au retour de leur mère que leur réaction à son départ et à la séparation qui était la plus révélatrice de leur style d’attachement.

Je suis convaincue que notre sécurité ou notre insécurité fondamentale se reflète également dans notre réaction à la déception et à la souffrance dans des relations qui comptent pour nous. Que ressentez-vous quand quelqu’un vous a déçu ? Peut-être vous attendiez-vous à recevoir une marque de reconnaissance à l’occasion d’un événement important dans votre vie et l’autre n’a-t-il pas répondu à cette attente parce qu’il a oublié, tout simplement. Vous sentez-vous accablé ? Vous fermez-vous à l’autre ? Voulez-vous le punir un minimum ? Essayez-vous de minimiser l’événement et de cacher votre déception ou êtes-vous capable de montrer votre déception à la hauteur de ce qu’elle est ? Les attachements sécurisants augmentent notre résilience et nous permettent une expression plus libre. Les styles autonomes ont tendance à dissimuler leur déception et leur souffrance (ainsi que leur désir de proximité), tandis que les styles préoccupés ont plutôt tendance à accentuer, voire à exagérer leur déception et leur souffrance, culpabilisant l’autre si nécessaire, dans leur tentative pour créer une relation plus sécurisante. (Je me concentre sur ces deux styles d’attachement insécurisant car ce sont eux qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’études.)

Extrait de "Les Mères absentes", de Jasmine Lee Cori, publié chez Ixelles, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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