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Médecines d'ailleurs : des piqûres d'abeilles pour soulager de la cicatrice de césarienne aux articulations douloureuses
©Reuters

Bonnes feuilles

Bernard Fontanille, médecin urgentiste, parcourt le monde à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui prennent soin des autres, sauvent des vies et parfois inventent de nouvelles manières de soigner et de soulager. Le livre, coécrit avec la journaliste Alice Bomboy, apporte un éclairage scientifique complémentaire sur ces pratiques médicales. Extraits de "Médecines d'ailleurs - Rencontre avec ceux qui soignent autrement", aux éditions de La Martinière 2/2

Bernard Fontanille

Bernard Fontanille

Bernard Fontanille est médecin urgentiste, habitué aux interventions en terrains difficiles. Grand voyageur,

sensible et passionné, il parcourt la planète pour diverses missions médicales qu'il s'agisse d'encadrer des équipes ou de soigner les autres, les protéger, les réparer et soulager leurs douleurs. Ses moteurs : une profonde humanité et une curiosité qui le poussent à rencontrer autrui, à découvrir et à expérimenter.

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Alice Bomboy

Alice Bomboy

Alice Bomboy est journaliste scientifique. Après une enfance en pleine nature jurassienne et des études de biologie et de géologie, elle a eu envie de transmettre sa passion pour le monde vivant et le voyage.
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À l’ombre d’arbres fruitiers, penché sur ses ruches, le docteur Eugen Stefan va m’initier aux subtilités de l’apithérapie. Il a le crâne rasé et porte une chemise de lin blanche à col mao : il paraît plus fidèle à l’idée que je me fais d’un moine bouddhiste qu’à celle d’un apiculteur roumain ! Son visage détendu, sa voix calme et posée comme s’il craignait d’effrayer inutilement ses abeilles ajoutent à la sérénité qui semble se dégager de mon hôte. Dès notre arrivée, il tient à ce que nous visitions son rucher. Je n’y connais vraiment rien en apiculture, mais sa passion est contagieuse. À ses côtés, je découvre un univers fascinant. Je n’imaginais pas que, dans ces boîtes de bois grouillant de dizaines de milliers d’insectes, vivait une société si bien organisée, où les butineuses dansent pour indiquer aux autres abeilles la direction et la distance où trouver les sources de subsistance, où les jeunes ouvrières restent à l’intérieur pour nourrir le couvain, où la reine née d’une larve parmi d’autres acquiert son statut du seul fait qu’elle a été élevée à la gelée royale. Je suis surpris par la facilité avec laquelle le docteur Stefan travaille auprès de ses petites protégées : certes, nous portons tous les deux un habit d’apiculture et des gants qui nous prémunissent des piqûres, mais les abeilles ne s’affolent manifestement pas quand, d’un geste doux, il ouvre le toit des ruches et en sort des cadres alvéolés où le miel commence à s’accumuler. Je suis fasciné. Dès que mes voyages à travers le monde se feront un peu moins fréquents, c’est sûr, je me ferai apiculteur.

Plus tard, dans sa modeste maison, Eugen Stefan m’explique pourquoi il s’est tourné vers la pratique de l’apithérapie. Je comprends qu’au-delà de la passion qu’il voue aux abeilles, il a aussi été très déçu par la médecine moderne. Je ne partage pas toujours son avis sur les questions médicales, mais je sens un homme brillant, travailleur, et son engagement force le respect. Une jeune femme lui rend visite cet après-midi, désireuse de faire atténuer une large cicatrice de césarienne. Jamais je n’avais vu pareil traitement. À côté de la table de consultation sur laquelle elle est allongée, une petite boîte grouille d’une dizaine d’abeilles vivantes. Le docteur Stefan en attrape une avec une pince à épiler puis l’approche de la cicatrice… jusqu’à ce qu’elle pique la patiente ! Puis il recommence. Malgré une douleur certaine, la jeune mère ne bronche pas. Elle vient pourtant de se faire piquer une dizaine de fois. Je suis stupéfait. N’est-ce pas un peu risqué ? En tant que médecin, je connais bien les réactions extrêmes que peut déclencher une piqûre d’abeille, de guêpe ou de frelon. Le docteur Stefan, qui a déjà piqué ses patients des milliers de fois, se veut rassurant : il affirme que la dose létale n’est atteinte qu’au seuil de mille cinq cents piqûres.

Je suis dubitatif. Mais force est de constater que les patients, eux, en redemandent. Plus tard dans la journée, une dame âgée reçoit près de quarante piqûres pour soulager ses articulations douloureuses. Habituée à cette thérapie, elle précise même au docteur Stefan les parties de son corps où elle souhaite les recevoir. Son attitude me fait penser à une légende qu’on m’a racontée avant mon départ : si les vieux apiculteurs roumains restent souples et toniques malgré leur âge, c’est grâce aux multiples piqûres que leur pratique leur a values. Je ne sais pas trop quoi penser de ce genre de thérapie. La réaction inflammatoire provoquée par les piqûres d’abeille est-elle vraiment capable d’aider à soigner certains maux ? Peu de preuves scientifiques ont été apportées jusqu’à présent, qui démontreraient que le venin frais d’abeille serait au moins aussi efficace que les traitements proposés habituellement. En revanche, le venin d’abeille fait fureur à plus de 13 000 kilomètres de là, en Australie, où il est en train de s’imposer comme un « Botox naturel » pour combler les rides. Pratique arriérée ou avant-gardiste ? La vérité se situe probablement un peu entre les deux. Je suis en réalité plus touché par une autre conséquence de cette pratique : lorsqu’on force une abeille à piquer un patient, elle meurt… Son dard, pour qu’il reste dans les chairs, doit s’arracher de l’abdomen de la butineuse, entraînant avec lui les viscères de la pauvre petite abeille… Les abeilles souffrent-elle comme nous ? Même si ce n’est pas le cas, un tel traitement est-il bien nécessaire ?

Le lendemain, je décide de rencontrer une autre apithérapeute. Ilinca, avec son tablier qui me rappelle celui de nos grands-mères et son fichu sur la tête, rayonne d’un air jovial et accueillant. Comme le docteur Stefan, elle m’ouvre grand la porte de sa petite demeure pour m’initier à sa pratique. Avec elle, je prends la mesure du fléau qui affecte l’apiculture : alors qu’Ilinca, il y a quelques années encore, entretenait plusieurs ruches dans lesquelles elle prélevait quelques abeilles au fur et à mesure des besoins de ses patients, elle n’en possède aujourd’hui plus aucune. Les abeilles ont déserté, et, trop pauvre, elle n’aura pas les moyens d’acquérir de nouveaux essaims avant quelque temps. Son collègue, le docteur Stefan, avait lui aussi évoqué le désastre : seules quatre de ses ruches sont encore actives, contre une petite vingtaine auparavant.

Pour quelle raison ? Le « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles », comme l’ont nommé les scientifiques, touche les essaims du monde entier, des États-Unis à l’Europe et jusqu’en Asie. En Roumanie, sur les premières pentes des Carpates, on accuse volontiers les pesticides, et on n’a certainement pas tort : des chercheurs ont déjà montré que lorsque les abeilles butinent des produits phytosanitaires, elles perdent, entre autres, toute capacité d’orientation et deviennent incapables de retourner à la ruche. Je suis ému par la situation que traverse Ilinca : une apithérapeute sans abeilles, quel crève-coeur ! La guérisseuse roumaine n’est pourtant pas du genre à se laisser abattre : ses patients comptent sur elle, et elle fait tout pour leur venir en aide. Alors, à chaque fois qu’ils la demandent, elle part sur les chemins et marche jusqu’aux prés où poussent les fleurs qui ont le plus de nectar. Délicatement, elle attrape quelques abeilles, juste le nombre dont elle a besoin.

Extraits de "Médecines d'ailleurs - Rencontre avec ceux qui soignent autrement", de Bernard Fontanille et Alice Bomboy, publié aux éditions de La Martinière, 2015. Pour acheter ce livre, cliquezici.

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