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"Massoud n’a jamais demandé que l’OTAN vienne occuper son pays !"
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J'ai combattu avec le lion du Panshir

Un ancien officier français qui a combattu avec Massoud - mort il y a exactement 10 ans - dresse un constat d'échec dans la lutte menée actuellement par les alliés en Afghanistan contre les Taliban.

Johan Freckhaus

Johan Freckhaus

Johan Freckhaus a été officier de l’Armée française. Il a démissionné en 1999 pour rallier de sa propre initiative le commandant Massoud. Impliqué après 2001 dans la reconstruction du pays, il a été l’otage des Taliban pendant trois semaines en 2008.

 

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(Préambule : la première partie de cette interview a été publiée ce vendredi dans Atlantico)

Atlantico : Vous qui avez combattu auprès de Massoud contre les Taliban entre 1999 et 2001, diriez-vous que l’intervention des Alliés poursuit les objectifs du Lion du Panshir en Afghanistan contre les Talibans ? 

Johan Freckhaus : En 2001, Massoud demandait de l’aide, c’est certain. Mais il n’a jamais demandé que l’OTAN vienne occuper son pays ! Il demandait d’ouvrir les yeux, en particulier sur la propagande pakistanaise relayée par le lobby occidental des affaires. Dans un éditorial de l’hebdomadaire The Economist, on prétendait que la meilleure manière de changer le comportement des Taliban était de lever les embargos et de faire du business avec eux. Heureusement qu’à cette époque, il y avait un autre lobby, décrié comme « idéaliste », qui luttait au nom des femmes et des droits de l’homme pour que cela n’arrive pas !

Massoud connaissait bien les conditions de la stabilité : il me les a apprises. Elles sont simples : le pouvoir doit demeurer dans les mains du peuple – c’est la démocratie – et le pays doit retrouver sa neutralité –comme nous le demandions d’ailleurs quand c’était les Soviétiques qui occupaient le pays. Or depuis 2002, la communauté internationale fait exactement l’inverse : nous avons construit un pouvoir centralisé et autoritaire, peu démocratique, nous l’avons confié à un président qui est censé comprendre et défendre nos intérêts, nous l’aidons à gagner les élections et nous lui finançons une armée et une police afghanes pléthoriques. De plus, sous couvert d’alliance atlantique, nos soldats meurent pour que vive un « partenariat stratégique » entre les États-Unis et l’Afghanistan.

Massoud cherchait la défaite des Taliban. En s’appuyant sur l’Islam qui favorise déjà et depuis longtemps la cohabitation des ethnies, il demandait le soutien de son peuple pour son projet démocratique.  A la communauté internationale, il demandait le soutien diplomatique nécessaire pour tenir à l’écart les voisins de l’Afghanistan.

Malheureusement, en occupant le pays et en y envoyant toujours plus de troupes, nous avons jeté le peuple dans les bras des Taliban. Nous avons créé un rejet, une insurrection. Et dans l’échec, pressés de partir, nous travaillons aujourd’hui de front sur toutes les options qui mènent inévitablement à l’échec : un Etat policier, un partenariat stratégique, l’implication des voisins de l’Afghanistan, la négociation avec les Taliban, etc.

Il n’y a qu’une voie possible : la démocratie et la neutralité. Il faut pour cela décentraliser le pouvoir, le rendre au peuple afghan, et réunir une conférence internationale pour un retrait rapide et complet. Cela brisera, croyez-moi, le soutien dont profitent les Taliban dans la population. Il restera des rebelles, mais il n’y aura plus d’insurrection.


Que reste-t-il de Massoud ? Le "Massoudisme" existe-t-il ?

Le « Massoudisme » n’existe pas car Massoud n’a jamais cherché à inventer quoi que ce soit. C’était un conservateur éclairé, un islamiste des lumières. Il connaissait intimement la religion et l’histoire de son pays. Il écoutait et respectait la parole des anciens. Il trouvait dans le message de Dieu tout ce qu’il faut pour construire une société de paix et la protéger. Il trouvait dans les siècles d’histoire régionale tout ce qu’il faut pour construire une société de concorde, stable et ouverte au monde.
Il défendait les fondements de l’Islam, qui sont à ma connaissance les mêmes fondements que ceux du Christianisme et du Judaïsme. Je considère personnellement qu’il était en cela un « fondamentaliste » alors que le mot est aujourd’hui utilisé pour ceux qui, au contraire, sont dans le superficiel et l’imitation, la forme plutôt que le fond. Mahomet a montré la voie et Massoud a suivi le chemin, alors que bien d’autres restent encore à regarder comment est tendu le doigt du Prophète, comment est replié son pouce et jusqu’où arrive sa manche.


Pensez-vous que les Alliés réussiront à pacifier l'Afghanistan ? Quels seraient vos conseils à l'Otan pour réussir en Afghanistan ?

La réussite ne peut être que la paix et la stabilité, conditions nécessaires au développement. Pour réussir en Afghanistan, il faut changer de cap rapidement. Ceux qui vous disent que les choses s'arrangent vous mentent ou se trompent. La situation sécuritaire est chaque année pire depuis neuf ans. La paix reviendra avec le départ des étrangers et la preuve par l’action, sans demi-mesure, qu’il n’y a pas de notre part d’« agenda cachés ». La stabilité reviendra quand le peuple reprendra le pouvoir et s’organisera selon son propre modèle pour le faire fonctionner.

Les experts ne font que rajouter de la complexité pour nous cacher qu’ils ne comprennent rien. Ils nous peignent un tableau avec toutes les couleurs ethniques, nous rajoutent de la drogue, de la Ligne Durand, du Cachemire, de l’expansion chinoise, du nucléaire iranien, des ressources naturelles, de l’arc de crise, du conflit de civilisation et que sais-je encore.

Il est temps de s’élever un petit peu ! Voilà l’erreur d’Obama en 2009 que de croire que ce sont les militaires sur le terrain qui vont trouver la solution. Les militaires de tous les pays sont en échec en Afghanistan. Ils ont déjà tout essayé ! Les généraux sont certainement brillants mais ils n’ont pas les outils du succès. La solution est politique et géopolitique : décentralisation, réelle démocratie, neutralité.

La France qui peine là-bas sur 2% du territoire avec 3% des effectifs déployés, ferait mieux de reprendre sa place de puissance diplomatique sachant inspirer les Nations-Unies, plutôt que d’essayer de tenir sa place de puissance militaire bien alignée derrière les États-Unis.


Mais peut-on perdre une guerre, en sauvant la face ?

Oui, devant l’insurrection suisse qui suivie l’occupation française, Napoléon n’avait pas pris plus de cinq ans, de 1798 à 1803, pour se rendre compte de son erreur, faire le deuil de la « République helvétique » issue des idées « progressistes » de la Révolution française et revenir au modèle suisse éprouvé de décentralisation politique et de neutralité stratégique. Le progrès n’a pas été empêché d’arriver finalement dans ce pays, et la France n'a pas été empêchée, par ailleurs, de continuer ses guerres en Europe et dans le monde.

Dans quel contexte avez-vous été amené à combattre auprès de Massoud ?

En 1999, j’étais un officier de l’Armée de Terre frustré. Je n’avais pas connu le début de carrière que j’espérais et j’avais vécu une série de déceptions professionnelles, ce qui m’a conduit à démissionner. Quelques jours après avoir été rayé des cadres, je suis parti à Douchanbé, au Tadjikistan, avec un photographe de guerre, qui m’avait été présenté par un ami, et me faisant moi-même passé pour un journaliste. C’est comme ça qu’au début du mois d’août 1999, j’ai débarqué d’un hélicoptère dans le Pandjshir avec quelques humanitaires et journalistes alors qu’une offensive des Taliban dans la plaine de Chamali, au nord de Kaboul, venait de bousculer la ligne de front les jours précédents, et de pousser des dizaines de milliers de réfugiés derrière les gorges de cette vallée au cœur de la résistance.
Un Afghan était là pour nous accueillir, nous héberger, répondre à nos questions, faciliter notre travail. Il parlait anglais et je lui ai confié immédiatement que je n’étais pas un journaliste, que je ne voulais pas repartir dans quelques jours avec un reportage mais rester et me rendre utile aux forces du commandant Massoud, ayant à proposer une expérience de huit ans dans l’armée française.

J’ai d’abord accompagné les journalistes dans leur travail puis rapidement, celui qui était en fait son beau-frère m’a fait rencontrer Massoud. Autour d’un thé, de quelques biscuits et en présence de son chef du renseignement, il m’a simplement dit « vous pouvez parler français, je vous écoute ». A ce moment-là, il me prenait, je pense, pour un agent secret. Mais je n’étais envoyé par personne, je n’avais pas de message particulier. Je n’étais là que par désir de combats et parce que certainement se bousculaient dans mon imaginaire un mélange d’intérêts pour les aventures d’Alexandre le Grand, de Gengis Khan et de « l'Homme qui voulut être roi », sous l’intention plus lucide de servir celui que Christophe de Ponfilly continuait de défendre en France, devant ses contradicteurs parisiens toujours aussi nombreux…

Je me souviens avoir parlé lentement et en articulant, n’étant pas sûr de son niveau de compréhension. Dans ce que j’ai raconté de moi, quelque chose l‘a immédiatement intéressé. Il y a en France une qualification militaire que j’avais obtenue et qui s’appelle « instructeur commando ». Massoud avait une garde rapprochée de jeunes guerriers, pour sa protection personnelle et les opérations spéciales, qui s’appelait les commandos et qui était par ailleurs un vivier de futurs commandants. Quelques jours plus tard, ils avaient été rassemblés dans un camp d’entrainement et j’avais carte blanche pour leur enseigner ce que je voulais.

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