"Mary said what she said" de David Pinckney : la reine Isabelle, une reine sans divertissement<!-- --> | Atlantico.fr
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"Mary said what she said" de David Pinckney est à voir au Théâtre de la Ville à Paris.
"Mary said what she said" de David Pinckney est à voir au Théâtre de la Ville à Paris.
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Atlanti-Culture

La pièce "Mary said what she said" de David Pinckney est à voir au Théâtre de la Ville à Paris.

Anne-Claude  Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

Voir la bio »

MARY SAID WHAT SHE SAID

De Darryl Pinckney

Musique : Ludovico Einaudi

Mise en scène : Robert Wilson

Avec Isabelle Huppert

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre de la Ville. Espace Cardin,

1, avenue Gabriel

75008 PARIS

01 42 74 22 77

https://www.theatredelaville-paris.com/fr

Jusqu’au 14 mai 2023 Tous les jours à 20h, dimanche à 15h

Notre recommandation : EXCELLENT 



THÈME

Condamnée pour conspiration et à la veille d’être exécutée, la très catholique, Mary Stuart, reine d’Écosse et des îles britanniques, raconte sa vie à ses « amies », à d’autres Mary (ses demoiselles d’honneur disparues), à sa cousine Élisabeth, à son beau-frère Henri III de France et au Ciel. 

Mary évoque son adolescence en France comme jeune épouse de François II, son retour de veuve précoce en Ecosse, l’inimitié de John Knox, meneur des Protestants et ses emprisonnements, en passant par les guerres de religion entre les catholiques et les protestants, sa haine pour Catherine de Médicis, son admiration pour Diane de Poitiers la maîtresse d’Henri II et l’évocation de ses propres amours. 

Remariée avec son cousin Henry Stuart dont elle a un enfant (le futur James Ier d’Angleterre), puis avec James Bothwell, soupçonné d’être le meurtrier du roi, elle est bientôt forcée d’abdiquer au profit de son fils et de fuir en Angleterre. Elle y est emprisonnée pendant 18 ans sur ordre de sa cousine, la reine protestante Élisabeth 1ère, et mourra décapitée à l’âge de 44 ans.

POINTS FORTS

Le monologue fiévreux de Darryl Pinckney est construit comme un puzzle en fragments répétitifs, et délivré dans le mépris le plus total de la chronologie, comme il sied aux souvenirs d’une vie agitée, mêlant le grave et l’anodin, le quotidien et le tragique. 

On admirera la beauté, la puissance articulatoire, la férocité et l’énergie d’Isabelle Huppert. Seule sur le plateau de l’Espace Cardin, frêle mais pourtant solide, elle porte le poids du destin vertigineux de celle qui fut une femme de pouvoir dans un monde gouverné par les hommes. 

Comme sur cette mer que Mary a jadis traversée, les motifs du texte affluent par vagues : il est question de danse et de corps, de beauté, de religion, et de violence. De fierté aussi, celle qu’éprouve Mary Stuart d’être Reine, et de France et d’Écosse, et digne du trône d’Angleterre.

Bob Wilson, qui a le sens et le goût des lumières éclaire tout ceci à merveille, ménageant des arrière-plans aux camaïeux subtils, des colonnes lumineuses  et des contre jours saisissants.

QUELQUES RÉSERVES

Il faut aimer Bob Wilson, ce qui semble assez généralement répandu. Mais on peut rester de marbre devant ses choix esthétiques, d’autant qu’ils ne se renouvellent guère : sur une scène nue cernée par deux néons aveuglants, Mary Stuart n’est plus qu’une poupée mécanique, parfois juste une ombre chinoise, cernée par l’enregistrement rageur de sa voix off, vomissant littéralement par jets hoquetants et répétitifs le récit de sa vie tourmentée. 

Sa voix trop rapide est parfois submergée par une musique belle mais tonitruante, tandis qu’elle gesticule comme un automate, parcourt la scène au gré d’un arpentage géométrique et, démoniaque, grimace saisie par une lumière verte. Une trappe s’ouvre dans le sol, elle s’empare d’une chaussure blanche, puis on la retrouve assise, fantôme muet, noyée dans la brume (écossaise ?) et séparée de l’avant-scène par un écran en voile. 

Certes, on saisit que l’intonation de l’actrice, son phrasé, sa gestuelle rigide, tout ce formalisme, qui est aussi celui d’une chorégraphie lancinante et qui suscite le malaise, a un sens, qu’il est censé provoquer ou nous dire quelque chose. 

Mais on cherche, en vain : que gagne le texte à ce traitement qui, bien sûr met en valeur sa structure brisée et vertigineuse mais qui, aussi, à force d’abstraction forcée, suscite vite une sorte de lassitude agacée ? Que gagne Marie Stuart, malgré sa robe mordorée et sa collerette, et en dépit de l’ironie du texte, à cette dés-incarnation cérébrale et esthétisante et qui ne semble s’adresser qu’à des happy few ?

On peut ne voir dans ces choix qui ne servent aucune autre lecture que celle de la “performance“ - cette maladie du XXIe siècle – où la gratuité le dispute à la vacuité.

ENCORE UN MOT...

Ce traitement dramaturgique indique assez ce qui attend le spectateur venu voir Huppert mise en scène par Wilson : réduit à une passivité confite et dévote, il est condamné à admirer l’audace de l’un, la “performance“ de l’autre, à se laisser bercer par cette expérience visuelle et musicale, mais sans rien comprendre de plus sans doute à la tragédie épique que fut la vie de cette femme deux fois reine et mère impossible, à ne saisir du texte noyé dans un torrent glacial que les saillances répétées. 

Sortant de cette fascination magnétique, le spectateur n’a plus qu’à se lever pour offrir à l’actrice une très parisienne standing ovation. 

UNE PHRASE

« Je suis condamnée à savoir qui je suis et ce que je suis à tout moment. »

« Dieu a décrété que mon fils n’aurait pas de souvenir du visage de sa mère. 

L'AUTEUR

La vie de Mary Stuart a inspiré nombre d’écrivains, à commencer par Stefan Zweig qui fit paraître son Marie Stuart en 1935.

Rien d’étonnant donc à ce que Mary ait suscité l’intérêt du romancier Darryl Pinckney, dont la première œuvre, High Cotton, publiée en 1992, reçut le prix Art Seidenbaum du premier roman du Los Angeles Times. Le dernier livre de ce spécialiste des questions afro-américaines, sujet qu’il a enseigné à Harvard, Yale, à The New School et à The School of the Arts de Columbia, parut en 2022 : Come Back in September, a été finaliste en 2023 du National Book Critics Circle pour les autobiographies. 

Mary said what she said a été créé dans ce même Espace Cardin en mai 2019, dans le cadre des saisons hors les murs du Théâtre de la Ville. La comédienne y retrouvait le metteur en scène qui l’avait dirigée dans Orlando, adaptation du texte de Virginia Woolf déjà réalisée par Darryl Pinckney. Cette pièce, applaudie sur les plus grandes scènes européennes, est reprise aujourd’hui.

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