Gaëtan Gorce : "Mi soviétique, mi vaticane, Martine Aubry a réinventé une monarchie élective pour sa succession à la tête du PS"<!-- --> | Atlantico.fr
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Martine Aubry, Première secrétaire du PS, a réinventé une succession élective pour sa succession à la tête du parti.
Martine Aubry, Première secrétaire du PS, a réinventé une succession élective pour sa succession à la tête du parti.
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Le roi est mort, vive le roi !

"Il y a une petite contradiction entre la manière dont on a vanté la préparation des primaires et cette forme de désignation plus ou moins obscure", a déclaré Julien Dray, mercredi, sur LCI à propos de la nomination du prochain premier secrétaire du parti socialiste.

Gaëtan Gorce

Gaëtan Gorce

Gaëtan Gorce est sénateur socialiste de la Nièvre.

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Atlantico : Julien Dray a critiqué ce mercredi sur LCI le mode de désignation du premier secrétaire du parti socialiste. Il a dénoncé une situation "un peu ubuesque" et une "forme de désignation plus ou moins obscure", qui contraste radicalement avec le fonctionnement transparent des primaires. L'élection est-elle jouée d'avance ?

Gaëtan Gorce : Le problème c'est justement qu'il ne s'agit plus d'une élection. A l'initiative de Lionel Jospin, le Premier secrétaire était élu par les militants au suffrage universel avec des candidatures libres. Désormais il n'y a plus d'élection, mais une confrontation entre motions. Le leader de la motion arrivée en tête devient automatiquement Premier secrétaire.

Mais, il y a pire... La motion constituée par Jean-Marc Ayrault réunit la quasi totalité des ministres et des parlementaires et obtiendra forcément une majorité écrasante. Celui qui sera désigné tête de liste de la motion majoritaire sera automatiquement Premier secrétaire. Il sera désigné par le bon plaisir de quelques personnes, pour ne pas dire celui de Martine Aubry seule. On tombe dans un système de cooptation très étroit en contradiction totale avec la logique de rénovation entamée avec les primaires.

Julien Dray a donc raison de parler de système "ubuesque". Il faut revenir à une élection de Premier secrétaire directement par les militants au suffrage universel, peut-être d'ailleurs en l'élargissant aux sympathisants, pour que ce soit un acte démocratique au même titre que les primaires l'ont été. C'est une régression démocratique que de laisser à une seule personne un tel pouvoir. Cela a existé à l'époque de François Mitterrand qui avait nommé Lionel Jospin, mais on a changé d'époque !

Aujourd'hui, même l'UMP avec sa culture du chef, se sent obligée d'organiser un vote. Les Français ne veulent plus être placés devant le fait accompli. Ils ne comprennent pas ces mécanismes opaques à partir desquels quelqu'un est désigné simplement parce qu'il appartient à une coterie. C'est un mécanisme de la rente dans lequel certains petits rentiers du pouvoir se partagent la responsabilité et les attributs de la responsabilité. Ce système est contraire à l'esprit démocratique et encore plus à l'esprit socialiste !

Martine Aubry verrouille-t-elle le parti ?

Elle a un pouvoir exorbitant ! Et comme le disait Montesquieu : "Quiconque a du pouvoir est tenté d'en abuser, il faut donc que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir." Là où il y a du pouvoir, il faut des contre-pouvoirs. 

Il est normal que Martine Aubry participe aux choix des candidats, mais elle ne peut pas décider seule qui sera le prochain Premier secrétaire. C'est un choix politique qui engage l'ensemble du parti. Si on veut que la légitimité du prochain secrétaire soit forte, il faut qu'il soit élu et non pas désigné par le Premier secrétaire sortant.

Le processus engagé par Martine Aubry rappelle les mécanismes de succession que l'on connaissait dans des régimes disparus. On invite les socialistes à se masser sur la place rouge pour voir sortir la fumée blanche du Kremlin. On mélange la méthode vaticane et la méthode soviétique de désignation.

La Première secrétaire du PS cherche-t-elle à peser face au gouvernement ?

Martine Aubry est dans un rapport de force implicite avec François Hollande et veut jusqu'au bout faire valoir l'autorité et le pouvoir qui sont les siens. L'héritage qu'elle laisse, elle souhaite le confier à quelqu'un qui ait sa pleine confiance. Martine Aubry est une femme qui a du caractère. Elle sent qu'il n'y a pas de résistance en face d'elle, que les dirigeants socialistes se comportent plutôt comme une cour attendant sa décision que comme des interlocuteurs politiques qui vont poser des conditions, notamment celle de la démocratie...

Finalement, ce n'est pas à Martine Aubry qu'il faut faire des reproches. Elle a un pouvoir, elle veut l'exercer. Elle teste ce pouvoir sur des dirigeants qui ne réagissent pas, qui fonctionnent comme des édredons. Je connais Martine Aubry : quand elle a un édredon en face d'elle, elle le traite comme tel. Si elle avait en face d'elle des partenaires politiques forts, elle se comporterait d'une manière différente car c'est quelqu'un qui a du sens politique. Il s'est installé dans ce parti une mentalité de coterie. Les gens n'ont plus le courage de réagir en fonction de principes de base. Et le principe de base, c'est la démocratie !

En outre, ce mode de désignation n'est pas dans l'intérêt du parti socialiste. Cela va beaucoup décevoir les militants. Et l'opinion publique remarquera que le processus n'a pas été très transparent. Plus grave, le premier secrétaire sera privé de sa légitimité et donc de sa capacité politique. Il sera beaucoup plus faible que s'il avait été élu par les militants dans le cadre d'une compétition électoral normale.

Aujourd'hui, il n'y a pas de corps électoral, pas de base de dépôt de candidature, pas d’appel à candidature. On ne sait même pas qui vote. Il semble que le vote soit laissé à quelques grands électeurs et même à un seul grand électeur qui serait Martine Aubry...Comme on le faisait sous la monarchie élective dans le Saint-empire germano-romain !

François Hollande doit-il intervenir ?

Non, il a raison de vouloir rester à l'écart. Ce n'est pas son rôle de se mêler des affaires partisanes. 

Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis sont-ils les deux seuls candidats possibles ?

Leurs qualités et leurs compétences ne sont pas en cause. La vraie question c'est pour faire quoi faire !? Le Premier secrétaire sera désigné par la faveur d'un seul sans avoir à présenter son programme. C'est ahurissant !

Allez-vous proposer votre propre motion ?

Personnellement, je suis hostile au mécanisme des motions que je trouve obsolète. Je suis pour un vrai débat d'idée autour de vrais candidats. Ce que je défend, ce n'est pas ma candidature personnelle, c'est un principe : l'idée qu'il doit y avoir une compétition ouverte et loyale. Si pour faire vivre ce principe, il faut déposer une motion, c'est un paradoxe !

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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