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"Hadopi devait être une procédure de masse, ce n'est désormais plus qu'un symbole"
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Net avec quelques bavures

A l'occasion d’une rencontre avec la presse, Martine Aubry a donné cette semaine les grandes lignes de son programme autour du numérique. Avec l'abrogation de la loi Hadopi en ligne de mire, elle a proposé un prélèvement sur les abonnements internet pour financer la création musicale. Mais le plan couvre-t-il tous les aspects du téléchargement illégal ?

Juan  Branco

Juan Branco

Juan Branco est l'auteur de Réponses à Hadopi (Capricci, mai 2011).

Il est le fondateur d'un collectif de cinquante artistes et producteurs cinématographiques (C.Deneuve, C.Honoré, Louis Garrel...) militant pour la mise en place de solutions alternatives, il poursuit sa réflexion au sein de la plateforme Création Public Internet.

Il a par ailleurs exercé des fonctions auprès du Procureur de la Cour pénale internationale.

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Atlantico : Que pensez-vous de la proposition de Martine Aubry de prélever un euro sur les abonnements Internet afin de financer la création musicale ?

Juan Branco : C’est une sorte de contrepartie à l’éventuelle abrogation d’Hadopi. Il y a 22 millions de foyers équipés d’internet, cela ferait donc un montant d’à peu près 240 millions d’euros par an. A en croire les déclarations, cela serait uniquement destiné à la musique. En ce qui concerne les autres secteurs, la réponse est : « On verra, pour l’instant on ne sait pas. »

Même s’il est clair que les conséquences sur le cinéma sont moindres par rapport au secteur de la musique, il ne faut pas oublier que le cinéma s’appuie beaucoup sur la salle, mais aussi, et là est le fondement de l’exception culturelle française, sur le préfinancement par les chaines de télévision qui achètent et produisent les œuvres. Si on légalise le téléchargement, ces préfinancements de centaines de millions d’euros disparaissent (par exemple, 800 millions d’euros pour canalplus). Les chaines de télévision penseront sûrement qu’il est inutile de dépenser tant d’argent pour des œuvres qui sont disponibles gratuitement sur la toile.

Pour l’instant les propositions de Martine Aubry à ce sujet ne sont pas suffisantes. Elle ne considère pas que le cinéma soit une priorité. Il ne faut absolument pas en rester là. Si on se dirige vers ce type de programme, il faut avoir le courage d’y aller vraiment. En l’espèce, nous sommes un peu inquiets de voir cet entre-deux qui aidera peut-être la musique mais qui ne règlera pas grand-chose pour le cinéma. Cela va mécontenter les professionnels du secteur.

Faire payer tous les utilisateurs d’internet (même ceux qui ne téléchargent pas) vous parait-il injuste ?

Je ne pense pas. Nous avons demandé avec la quadrature du net et un collectif de cinéastes, la mise en place d’un système de licence globale qui couvrirait aussi bien le cinéma que la musique et qui se base sur un montant plus élevé de 5 euros. D’ailleurs ce projet a été initié par UFC Que Choisir, qui n’est pas supposé aller à l’encontre des intérêts des consommateurs. Pour x euros par mois, avoir accès à l’ensemble des produits culturels c’est largement moins que ce que dépensent aujourd’hui les ménages, même les plus défavorisés, en produits culturels. Ceux qui n’utilisent pas le téléchargement aujourd’hui l’utiliseront certainement demain. Du moment où ils payent pour un service, cela les poussera à profiter de l’offre.

Les chiffres de fréquentation des salles de cinéma publiés par Médiamétrie remettent-ils en cause le principe d’Hadopi ?

Ces résultats confirment les chiffres de beaucoup d’organismes professionnels sur la fréquentation des cinémas qui ont établi trois records successifs entre 2006 et 2009. On a dépassé la barre des 200 millions d’entrées par an, ce qui est tout à fait énorme. Les jeunes portent littéralement la fréquentation en salle aujourd’hui. Ils sont 95% à fréquenter les salles de cinéma alors qu’ils sont, évidemment, le public qui télécharge le plus. On peut donc voir un indice de corrélation positif entre le fait de télécharger et celui de consommer des produits culturels légaux. C’est d’ailleurs une corrélation qui a été établie par plusieurs études universitaires depuis un certain nombre d’années, notamment une étude de la Harvard Business School qui montrait bien que les plus gros téléchargeurs étaient aussi les plus gros consommateurs de produits culturels.Ce fait est nié par des effets de logique et de systématisation qu’utilisent les industriels pour obtenir plus de subventions.

Cela remet clairement en cause la loi Hadopi et sa logique qui est de dire que le téléchargement est négatif pour les industriels, en particulier sur le cinéma.

Quel est, à l’heure d’aujourd’hui, le bilan de la loi Hadopi ?

Le cout estimé est très variable. Si on prend en compte l’ensemble de la chaine et pas seulement ce que coûte Hadopi en tant qu’administration, on peut évaluer le tout entre 100 et 150 millions d’euros par an.

La loi a été mise en place en septembre dernier. Beaucoup d'e-mails de prévention ont été envoyés mais seulement quelques recommandés ont été expédiés (deuxième étape d’Hadopi). Maintenant, on arrive à la phase de convocation d’un certain nombre d’usagers (un peu moins d’une dizaine). Hadopi les a seulement convoqués pour discuter avec eux et voir, dans quelles mesures, leurs cas étaient litigieux. Pour l’instant aucun dossier n’a été transmis aux juges, alors que c’était censé être une procédure automatisée qui devait traiter le problème à sa vraie dimension, huit millions de personnes qui téléchargent.

On voit bien que la réponse n’est pas du tout à la hauteur du problème. Quelques lettres envoyées, trois ou quatre convocations, pour une centaine de million d’euros, c’est complètement aberrant.

La loi Hadopi, quel que soit le résultat à la présidentielle, est-elle destinée à disparaitre ?

Les socialistes ont pris un engagement très net sur ce sujet. Ils ont dit plusieurs fois qu’ils abrogeraient cette loi et ils devraient le faire s’ils sont élus en 2012.

A l’UMP beaucoup de personnes ont exprimé des réticences de plus en plus grandes vis-à-vis d’Hadopi. Jean-François Copé a même exprimé des regrets. Un groupe de réflexion des jeunes de l’UMP a même élaboré un rapport sur ces questions qui prenait position, non pas contre Hadopi, mais pour des solutions alternatives. On voit bien que la tendance va à l’encontre de ce dispositif.

Il est évident que si Nicolas Sarkozy est réélu, il ne viendra pas abroger ce projet tel quel. Ce qui est sûr c’est qu’il y aura des modulations qui seront mises en place, comme actuellement. Au départ Hadopi était destinée à être une procédure de masse, on est en train de la réduire à quelque chose de symbolique parce que l’on sent bien que cela pose des problèmes. L’idée est de réduire le champ d’action et les marges de manœuvre de la loi pour la mettre un peu de côté.

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