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Mario Draghi, Janet Yellen ; ce que les deux personnalités les plus puissantes de la planète financière mondiale ont dit à Jackson Hole, cette grande messe annuelle de l’économie
©Reuters

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A chacun ses messages, parce qu’à chacun ses problèmes, mais avec un destinataire commun : le Président Donald Trump. Janet Yellen, puis Mario Draghi, ont en effet parlé à Jackson Hole ce vendredi 25 août, mais pour dire ce qui importait le plus à chacun, pas ce qu’ils allaient faire dans les deux à trois mois qui venaient sur les taux d’intérêts et leurs ventes (aux Etats-Unis) ou achats (en zone euro) de bons du trésor. Evidemment, chacun a parlé à la suite d’un partage des tâches, pour être chacun plus efficace.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Janet Yellen a parlé de la nécessité de maintenir un niveau de sécurité financière adéquat pour maintenir la croissance, avec en ligne de mire Gary Cohn, qui pourrait être son successeur en février 2018. L’idée est que l’on peut toujours chercher à simplifier la finance, mais qu’il faut le faire sans jamais oublier les avantages et surtout les risques de cette opération. Derrière Gary Cohn, il y a Donald Trump. Mario Draghi a signalé que, pour lui, la question centrale était le ralentissement de la croissance des pays de l’OCDE. Elle passe à 1% actuellement, contre 2% en 2000. Si la croissance n’est pas soutenue, par la productivité, et donc par l’innovation et par l’ouverture aux échanges, elle ne pourra que faiblir, accentuant les tensions sociales et financières dans des pays qui vieillissent et qui s’endettent. Il dit ainsi : « les gens se demandent si l’ouverture est juste, si elle est sûre et si elle est équitable ». Pour lui elle l’est, sous conditions bien sûr. Et on aura compris que « les gens » sont Donald Trump (et ses électeurs).

On ne saura donc pas si la Fed montera ses taux de 0,25% en septembre ou en décembre, et commencera ses ventes de titres obligataires (selon un volume déjà annoncé) à partir de décembre ou début 2018 ! Mais on sait que tout sera graduel et expliqué. On ne saura pas plus, avec Mario Draghi, quand il va cesser d’acheter des bons du trésor des divers pays de la zone euro et moins encore selon quelle logique et quel calendrier il va les vendre. Les deux n’ont pas parlé de leurs décisions à court terme, mais de leur autre objectif fondamental : « la stabilité financière » dans la durée, la solidité et la résilience du système financier. Cet objectif s’inscrit à parité à côté de « la stabilité monétaire » : l’inflation à 2% à moyen terme. Janet Yellen mettra l’accent sur la stabilité dans le strict domaine de la finance, Mario Draghi sur les conditions de sa durée.

On aura compris que pour Janet Yellen, de même que pour son numéro deux Stanley Fischer, qui s’est exprimé encore plus nettement ces derniers jours, notamment au Financial Times, l’essentiel, est de consolider le système bancaire et financier américain. Il s’agit de prolonger la reprise – déjà très longue sans être très forte, de freiner autant que possible les tendances à l’emballement du crédit et de permettre au système financer d’absorber un retournement, pour ne pas dire une récession (mot proscrit). Janet Yellen s’inscrit donc dans l’histoire de ces dix dernières années, en mettant en avant cette crise bancaire et financière qui n’avait pas été vue, même par les experts de la Banque. Le rapport Fed au Jackson Hole, cuvée 2007, qu’elle cite était en effet assez optimiste sur le logement. « Les banques centrales peuvent prendre des mesures pour préparer des baisses possibles des prix des maisons ou d’autres actifs et d’assurer qu’ils ne vont pas sérieusement affecter l’économie » disait ainsi Frederic Mishkin, à l’époque Gouverneur de la Fed. Nous étions fin août-début septembre 2007….

Janet Yellen en appelle donc à la prudence et à la patience. Elle n’annonce évidemment pas un krach bancaire ou boursier, mais elle tire les leçons de l’étrange cycle de l’économie américaine. C’est en effet un des plus longs, modérés, avec plein emploi et sans inflation salariale. La concurrence mondiale et la révolution technologique en cours pèsent donc de tout leur poids sur le marché du travail. Ceci conduit la Banque centrale américaine à normaliser très lentement la situation financière en montant très doucement ses taux et en gérant très graduellement aussi son portefeuille de titres publics. Il s’agit aujourd’hui, pour la Fed, de faire monter lentement les taux courts et longs en soutenant la croissance, avec l’idée de chercher un taux de chômage inférieur encore à 4,3%.  Pas facile pour une vieille et lente reprise !

Vouloir aller plus vite en besogne en simplifiant l’accès au crédit pour les entreprises, les logements ou les automobiles, en réduisant les contrôles et les normes bancaires, comme les lobbies le demandent, peut être fait, mais avec mesure. Et permettre aux grandes entités financières de placer sur leurs marchés une part de leurs fonds propres, par assouplissement de la Volker Rule peut être aussi mené, mais avec plus de circonspection encore. Les commentateurs financiers ont donc été déçus devant ce qu’ils ont vu comme une leçon d’histoire ! C’était une leçon d’histoire des crises bancaires et financières à destination des politiques, et plus précisément d’un seul.

Mario Draghi reprend alors le flambeau de la croissance par l’ouverture et des risques de dislocation des échanges mondiaux, où le protectionnisme deviendrait alors la réponse la plus « naturelle », avec tous ses effets négatifs. Il poursuit en indiquant que la poursuite de la croissance de la productivité passe autant par les politiques nationales que par les structures internationales. Il revient à ces dernières de mener des régulations convergentes, par exemple en matière fiscale, de renforcer la confiance mutuelle et d’avancer dans la régulation financière mondiale… Tiens !

Mario Draghi continue sa démarche de la croissance par la productivité en indiquant qu’elle est d’autant plus forte que les pays les plus avancés, au bord de la frontière technologique, échangeront le plus. On aura reconnu les Etats-Unis. Le protectionnisme menace donc surtout la productivité, donc la croissance, des plus avancés… Tiens !

Il ajoute, prenant l’exemple de la zone euro, que les échanges, débats et structures de la zone permettent d’en mieux réguler les diverses composantes, d’éviter les comportements opportunistes et le dumping social, en renforçant les lois sociales. C’est ainsi que l’ouverture fonctionne, de manière soutenable et équitable… Tiens !

La conclusion de Mario Draghi est nette : l’ouverture internationale avec une régulation financière qui diminuerait est un danger majeur, d’autant plus si les taux d’intérêt sont bas. Pour les pays avancés, la croissance passe par la productivité, la productivité par l’ouverture, et l’ouverture par des structures multilatérales, que ce soit pour les règles sociales, alimentaires, sanitaires, financières… Tiens !

Jackson Hole 2017, avec Janet Yellen (prudente) et Mario Draghi (moins), c’était une leçon d’économie politique et sociale internationale à destination des responsables politiques, et plus précisément d’un seul.

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