Marine Le Pen peut-elle avoir confiance en la justice de son pays ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Marine Le Pen peut-elle avoir confiance en la justice de son pays ?
©GERARD JULIEN / AFP

Expertise controversée

Marine Le Pen a été convoquée pour une expertise psychiatrique dans le cadre de sa publication sur Twitter des images des exactions de Daech.

Marine Le Pen vient d’être convoquée pour être examinée par un psychiatre dans l’affaire dite des tweets.

Rappelons qu’en décembre 2015 elle a diffusé sur le réseau Twitter des photos d’exactions de Daesh, en réplique sans doute quelque peu polémique, à une mise en cause implicite d’un journaliste faisant un parallèle, sans doute tout aussi polémique, entre le parti Front National et l’État islamique.
Trois photos d’horreurs commises par Daesh ont ainsi été diffusées par la Présidente du FN avec la mention « Daesh c’est ça ! »
Face au tollé médiatique qui s’en est suivi le ministre de l’intérieur de l’époque, adversaire politique de la twitteuse avait demandé la mise en œuvre de poursuites judiciaires.
A l’aulne du syndrome dit de justice/émotion (qui veut qu’une émotion suscite dans la foulée une réponse judiciaire) le Parquet de Nanterre a le jour même ouvert une enquête préliminaire.
Ce tweet, quel que soit le jugement qu’on porte sur son contenu, sa légitimité, s’est inscrit dans un débat politique qui relève de la liberté d’expression.
A supposer une poursuite nécessaire, il eut été logique qu’elle soit fondée sur les dispositions de la loi sur la presse seules à même d’apporter des limites à la liberté d’expression.
Or, le Parquet de Nanterre s’est bien rendu compte que la loi sur la presse ne permettait pas de poursuivre ce tweet qui n’était ni injurieux, ni diffamatoire, ni constitutif d’une fausse nouvelle, ni même d’une provocation à la haine ou de tout autre délit du même ordre.
Mais puisqu’il fallait poursuivre, il fallait un texte.
Le choix s’est porté in fine sur l’article 227-24 du code pénal qui réprime « le fait de (...) diffuser (...) un message à caractère violent est puni de 3 ans d’emprisonnement et 75000 € d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur (...) ».
Le choix de ce texte pénal est-il légitime quand on sait qu’il est inséré au sein du code pénal dans la section intitulée « De la mise en péril des mineurs » ?
Pour mener une réflexion d’ordre juridique, je propose, afin d’apaiser les tensions, d’éviter tout parti-pris, et de dépassionner les débats, de poursuivre en anonymisant le nom de la principale intéressée que nous appellerons dorénavant Madame X.
Le choix du fondement de poursuites suscite donc une légitime interrogation.
Initialement, le Parquet a même imaginé poursuivre sur le fondement du texte incriminant le « happy slapping », c’est-à-dire la diffusion d’image de violence à d’autres fins que l’information du public.
Au final, et en désespoir de cause, le Parquet a choisi de retenir la diffusion de messages violents, pornographiques ou portant atteinte à la dignité humaine en direction des mineurs, infraction prévue dans la partie du Code Pénal qui contient d’autres infractions toutes en lien avec les risques pesant sur les mineurs.
Comme celles de privation de soins reprochée aux parents d’un mineur, de non-inscription scolaire, de provocation à un mineur au trafic ou à la consommation de stupéfiants, de provocation à la consommation excessive d’alcool par un mineur, d’atteintes sexuelles par ascendant, etc..
La limite d’un tel choix se manifeste avec éclat avec la mise en œuvre de la convocation de Madame X en vue d’une expertise psychiatrique.
Cette mesure est prévue par les dispositions des articles 706-47 11° et 706-47-1 du code de procédure pénale relatives aux « infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes ».
Ainsi toute personne poursuivie, avant le jugement au fond, doit être soumise à une expertise médicale sur l’opportunité d’une injonction de soins.
Madame X doit donc être entendue par un médecin psychiatre qui devra s’interroger sur l’utilité d’éventuelles mesures comme celle « de traitement inhibiteur de libido » !!
Si, si, c’est bien prévu par le texte.
L’exercice de la liberté d’expression peut donc conduire dorénavant à la nécessité d’une expertise psychiatrique visant à traiter des problèmes de déviance sexuelle.
Comprenne qui pourra !
A suivre la logique du Parquet, le tweet litigieux avait pour but d’adresser un message violent à l’attention des mineurs, ce qui dénoterait chez son auteur un problème de déviance sexuelle qui ne dirait pas son nom.
La liberté d’expression est donc criminalisée au plus haut degré de ce que l’on pourrait imaginer puisqu’à terme c’est l’asile psychiatrique qui, à défaut de toute possibilité de soins, devrait accueillir Madame X pour avoir commis ce tweet.
On se souvient de l’usage des hôpitaux psychiatriques par des régimes autoritaires pour bâillonner la parole, les lecteurs ayant à l’esprit notamment l’hospitalisation du dissident Sakarov par le régime soviétique.
Pour tenter de justifier une telle situation, il a été objecté que cette expertise était rendue obligatoire par les textes eux-mêmes.
Certes mais ce n’est pas le caractère obligatoire de l’expertise qui pose problème, c’est avant tout le choix de la poursuite de Madame X sur la base d’un texte inadapté et sans relation avec les faits objets de la poursuite.
D’aucuns pourront objecter qu’il y avait peut-être dans le code pénal d’autres textes pour poursuivre Madame X.
Certains ont même suggéré le délit de provocation ou d’apologie du terrorisme prévu par l’article 421-2-5 du code pénal.
La difficulté étant que les propos de Madame X qui accompagnent les photos de Daesh sont sans aucune ambiguïté sur la présentation des exactions de Daesh comme étant des monstruosités et des horreurs.
De plus, Madame X est difficilement soupçonnable de complaisance à l’égard de l’Etat Islamique.
Quelle est donc cette curieuse époque qui veut que tout propos doit automatiquement faire l’objet d’une incrimination ?
Dans un débat d’idées (de haut ou de bas niveau peu importe), il faut pour avoir raison obtenir l’imprimatur judiciaire.
J’ai raison parce que le tribunal m’a dit que j’avais raison et j’ai tort pour les mêmes raisons...
C’est la fin de la rhétorique et du débat.
Nous assistons impuissants à la judiciarisation folle du débat politique alors que la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle sans cesse que la liberté d’expression suppose que le débat d’idées ne puisse pas faire l’objet de poursuites quand bien même les opinions exposées  n’ont pas l’heur de plaire à la majorité ou à ceux qui prétendent détenir la vérité.
Quelles sont donc les raisons qui conduisent aujourd’hui à un tel déchaînement face à Madame X ?
L’explication n’est pas juridiquement rapportée.
Pour répondre peut-être est-il temps de recourir aux modalités inverses de celles choisies initialement pour mener une réflexion juridique sereine et désanonymiser Madame X.
Dès lors pourquoi poursuivre Marine Le Pen ?
Et soudain les réponses et les justifications affluent tout naturellement : il faut la poursuivre parce que c’est elle. CQFD. 
La morale ne fait pas bon ménage avec le droit !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !