Marcel Gauchet : "La résilience n'est pas un projet politique, la lucidité et le courage devraient l'être"<!-- --> | Atlantico.fr
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11 novembre résilience Emmanuel Macron
11 novembre résilience Emmanuel Macron
©ludovic MARIN / POOL / AFP

11 Novembre

Emmanuel Macron commémore l'anniversaire de l'Armistice de 1918 et préside l'entrée au Panthéon de l'écrivain Maurice Genevoix en cette journée du 11 novembre. La résilience est l'un des mots mis en avant par le président de la République à l'occasion des commémorations du 11 novembre.

Ulysse Manhes

Ulysse Manhes

Ulysse Manhes est journaliste.

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Marcel Gauchet

Marcel Gauchet

Marcel Gauchet est philosophe et historien, directeur d'études à l'EHESS.

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Ulysse Manhes : Cher Marcel Gauchet, la résilience est l’esprit de reconstruction ou de rebond : l’art de faire d’un échec une force, « l’art de naviguer entre les torrents » (B. Cyrulnik). Le concept de « résilience » est subitement revenu sur la scène publique ce lundi 9 novembre, lors de la commémoration du cinquantième anniversaire de la mort du Général de Gaulle, puis aujourd’hui, mercredi 11 novembre, anniversaire de l’Armistice de 1918. Le Président Macron invoque donc, à ces occasions, l’esprit de résilience. Ne serions-nous pas passés d’une mythologie de la résistance à celle de la résilience ?

Marcel Gauchet : Je vous avoue que ce mot à la mode de résilience ne me dit rien qui vaille dans son emploi politique. Accordons à Boris Cyrulnik qu’il a sa pertinence sur le plan psychologique pour désigner la capacité étonnante de certains êtres de survivre aux pires épreuves. Mais en politique ? On n’attend pas de savoir si un pays est résilient. On s’organise pour faire face à l’épreuve. Je crains en effet que le mot soit là pour se souhaiter bonne chance sans être trop sûr du résultat. Mieux vaut la volonté de résistance que l’attente de la résilience…  

Voir le rapport au monde comme un acte de résilience, n’est-ce pas voir l’être humain ou, au moins, les sociétés occidentales comme des victimes définitives d’elles-mêmes ? Cette vision défaitiste, voire péjorative de l’homme moderne, vous paraît-elle partagée par tous ?

Non, je la crois même minoritaire par rapport à une conception classique, mais éprouvée, des vertus de la lucidité et du courage. Qui ignore vraiment que les choses ne se font pas toutes seules, sur la base d’une disposition privilégiée, dans le domaine collectif ?

Faire de la résilience un carburant politique vous semble-t-il être une décision judicieuse ? Il est pourtant bien des problèmes actuels où la résilience ne résoudra rien, comme l’écologie par exemple, qui réclame bien plus des membres actifs et décidés que des victimes ressuscitées…

Je crois avoir déjà répondu à votre question. L’appel à des ressorts profonds et miraculeux est de l’ordre du constat, pas d’un projet. Admettons à la rigueur qu’un pays puisse se montrer résilient. On le verra après coup. En attendant l’intérêt de tous est de se mobiliser comme s’il ne fallait pas compter sur ladite résilience.

En Panthéonisant Maurice Genevoix, un grand écrivain français témoin de la Première guerre mondiale et de l’engagement des Poilus, Emmanuel Macron célèbre symboliquement certaines valeurs bien identifiables : le courage, le dévouement à la patrie, la sublimation de soi par l’abnégation, et la place essentielle de la littérature dans notre histoire. N’y voyez-vous pas, précisément, des valeurs sinon opposées, du moins bien éloignées du sentiment de résilience ?

Entièrement d’accord. Autrement dit débarrassons-nous au plus vite de cette notion qui fait joli et moderne, mais qui ne sert à rien dans le meilleur des cas et qui égare dans le pire.

Propos recueillis par Ulysse Manhes

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