Manuel Valls : le bilan de ses 100 premiers jours à Matignon<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a prononcé son discours d'investiture devant le Parlement il y a 100 jours.
Manuel Valls a prononcé son discours d'investiture devant le Parlement il y a 100 jours.
©Reuters

Debriefing

L'arrivée de Manuel Valls à Matignon devait redonner un souffle nouveau à l'action gouvernementale. Le Premier ministre a effectivement posé sa patte mais il lui arrive de "mordre la ligne" en contredisant l'avis du président, notamment sur la réforme du travail.

Atlantico : Voilà 100 jours, Manuel Valls a prononcé son discours d'investiture devant le Parlement. De la place Beauvau à Matignon, on le décrivait alors plus lucide que son prédécesseur, et prometteur dans l'efficacité de mise en œuvre de l'action gouvernementale. Il a récupéré plusieurs dossiers réputés sensibles, comme le Pacte de responsabilité, la réforme des rythmes scolaires, celle de la transition énergétique et la réforme pénale. Manuel Valls a-t-il réussi à démontrer son efficacité au fil de l'avancement de ces dossiers ?

Lilian Alemagna : Cela dépend de l’endroit où l’on place le curseur de l’efficacité. La grande différence avec Jean-Marc Ayrault, c’est qu’aujourd’hui Matignon fait de la politique. Manuel Valls agit avec méthode, c’est l’une des qualités qu’on lui reconnaît depuis qu’il est au Parti socialiste. Il considère également les chantiers les uns après les autres et en concertation avec l’Elysée, en ne manquant pas de rappeler qu’il met en œuvre sa politique, c'est-à-dire celle du président de la République.

Mais nous ne pourrons juger de la véritable efficacité de son action que dans plusieurs années. Sur la réforme des rythmes scolaires, on ne peut mettre l’avancement du dossier au crédit de Manuel Valls car c’est surtout Benoît Hamon, qui a succédé à Vincent Peillon, qui a réussi à la désamorcer. C’est à peu près la même chose pour la réforme énergétique où le dossier a été délégué à Ségolène Royale. Mais il est effectivement paradoxal de voir que pour garder une attitude conciliante des écologistes, il a conservé certaines mesures voulues par Cécile Duflot ; en s’empressant, au lendemain de l’annonce du contenu de la réforme, de rencontrer Alstom et de dire que la filière nucléaire était une filière d’avenir en France. Il est assez difficile de le suivre là-dessus. La question est encore ouverte pour la réforme pénale, puisque le Sénat l’a durcie, ou tout du moins reformulée. Concernant le Pacte de responsabilité, ce qui est étonnant entre Valls et Ayrault c’est que l’on attribue son succès au premier alors qu’il s’appuie sur une majorité beaucoup plus fragile que celle de Jean-Marc Ayrault. Il ne peut plus se reposer systématiquement sur le vote des écologistes, et il doit gérer les députés socialistes en désaccord avec la politique du gouvernement.

Le Premier ministre qui voulait il y a quelques années abolir les 35 heures, a-t-il vraiment réussi à débloquer les négociations avec les partenaires sociaux pour le Pacte de responsabilité, là où Jean-Marc Ayrault s'était installé dans des rapports jugés par certains comme trop consensuels pour être efficaces ?

Il a effectivement du mal à déterminer s'il est un social-démocrate ou un social-libéral. En faisant un geste en faveur du patronat pour la conférence sociale, il établit un rapport de force positif avec ce dernier. Il est étonnant que cela ne soit pas le cas avec les syndicats de salariés, or être social-démocrate implique une conception de l'Etat impartiale lors des négociations.

Le dossier du Pacte de responsabilité, tout comme la réforme du code du travail est aujourd'hui la chasse gardée du président. Tout comme pour Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls ne pourra pas interférer là-dessus et ne fera qu'appliquer la politique de François Hollande.

Et concernant la relation avec la majorité parlementaire?

Aujourd’hui, Manuel Valls détient une certaine autorité, ou en tout cas une possibilité de discussion avec l’Assemblée nationale alors qu’il n’en a aucune avec le Sénat. On le voit bien avec la réforme pénale, où il peut utiliser la pression médiatique pour orienter le sens des décisions. Le Sénat, quant à lui, fait cavalier seul, et n’a pas hésité à repousser à plus tard la réforme territoriale. Mais comme pendant les débats sur le Pacte de responsabilité, on a un Manuel Valls qui est un très grand défenseur de la Vème République, et est dans le respect du dialogue, mais il tient à la logique selon laquelle l’exécutif doit décider et le législatif doit suivre. Or il se retrouve avec une majorité du non-cumul des mandats qui ne veut plus se contenter d’enregistrer les lois, qui veut aussi les faire. C’est sur ce point qu’il aura du mal dans ses rapports avec les députés, contrairement à Jean-Marc Ayrault et à son approche plus consensuelle.

Finalement, Manuel Valls ne peut compter que sur une majorité fragile, et peut donc être mis en difficulté, à la différence de Jean-Marc Ayrault. Sans compter que le candidat socialiste pour les élections de 2017 devra compter avec le soutien des écologistes, que ce soit lui ou François Hollande. Il doit le prendre en compte, ce qui limite sa marge de manoeuvre. 

Quelles sont les dossiers sur lesquels Manuel Valls a repris la charge, alors qu'ils étaient gérés jusque-là par François Hollande ?

Difficile de le dire car Manuel Valls fait justement très attention à ne pas mordre la ligne. Il ne l'a fait de manière flagrante que sur la question sociale, et notamment la réforme du travail et les seuils sociaux et par l'intermédiaire de sa tribune dans les Echos (voir ici), l'Elysée n'a pas apprécié que ces questions reviennent sur la table, dans un contexte explosif. Il a essayé de se mettre en avant là-dessus, et de montrer une singularité, mais il n'est pas sûr qu'il aille au-delà. Encore une fois il fait très attention à ne pas se mettre en concurrence avec le Président.

Mais s'il est une charge qui demeure la prérogative du président de la République, c'est celle concernant l'Europe. François Hollande est attentif à ce que lui dit Manuel Valls qui a compris que pour desserrer l'étau de Bruxelles, il faudrait le faire en concertation avec les autres présidents européens, mais c'est toujours François Hollande qui détient la possibilité d'action.

Michel Sapin avait tenté une comparaison entre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, en déclarant que le premier était une "cotte de maille", recevant les coups, et que le deuxième était un "bouclier", garantissant un espace de sécurité. En quoi, au regard de l'action de ces trois premiers mois à Matignon, cette métaphore médiévale est-elle justifiée ?

C'est une bonne métaphore pour décrire l'attitude des deux Premier ministres pour défendre l'action du président. On voit depuis Manuel Valls qu'il y a plus de discussions entre les politiques, avec Matignon, l'Assemblée et le groupe socialiste, sans oublier l'Elysée. Chacun est dans son rôle et discute. Matignon n'a pas peur de discuter avec ses interlocuteurs socialistes. Manuel Valls incarne aussi mieux l'autorité, ce que les Français semblent apprécier en ce moment, ce qui lui permet de mieux s'en sortir que Jean-Marc Ayrault, qui pouvait paraître moins représentatif et plus "éxecutant". 

Qu'en est-il de la cohérence du binôme Président-Premier ministre ?

Jean-Marc Ayrault était une copie conforme de François Hollande. Avec Manuel Valls, on a quelqu'un qui incarne et assume la politique économique et sociale qu'il met en œuvre. Mais il peut aussi devenir un concurrent sérieux du président, et il devra donc envisager comment se révéler en tant que candidat, se démarquer de ses concurrents comme François Hollande, sans pour autant briser le tandem entre les deux. 

L'esprit d'équipe qui règne au sein du gouvernement est-il vraiment le fait d'une plus grande autorité de la part de Manuel Valls, ou bien est-ce la conséquence normale de la sortie des ministres Europe Ecologie-Les Verts ?

Il y a plus de communication aujourd'hui entre les ministères et Matignon, et donc moins de ministres qui se sentent mis de côté. C'est la raison principale du fait qu'il y ait moins de "couacs". Et cela vient aussi du côté méthodique de Valls qui sait remettre chacun à sa place. Il y a aussi une autre raison, c'est que le gouvernement a subi deux échecs électoraux très importants, et qu'il est préférable pour chacun de ses membres de faire preuve de solidarité. Est-ce que l'université d'été réveillera les ambitions de chacun ? C'est une affaire à suivre. 

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