Manifestation contre l’A69 : ces 50 nuances de mobilisation des écolos radicaux avec lesquelles il va falloir apprendre à vivre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Ce que les manifestants revendiquent, dans le cadre de la mobilisation contre l’autoroute A69, c’est le refus d’une artificialisation des terres naturelles, et notamment agricoles au profit de ce projet routier.
Ce que les manifestants revendiquent, dans le cadre de la mobilisation contre l’autoroute A69, c’est le refus d’une artificialisation des terres naturelles, et notamment agricoles au profit de ce projet routier.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Manifestation locale

Entre 4 500 et 6 700 personnes ont défilé samedi contre le projet de construction de l’autoroute A69, reliant Toulouse et Castres.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

Voir la bio »

Atlantico : Entre 4 500 et 6 700 personnes ont défilé hier contre le projet de construction de l’autoroute A69, reliant Toulouse et Castres. Que reprochent les manifestants à ce chantier, au juste ?

Eddy Fougier : Ce que les manifestants revendiquent, dans le cadre de la mobilisation contre l’autoroute A69, c’est le refus d’une artificialisation des terres naturelles, et notamment agricoles au profit de ce projet routier. Celui-ci survient d’ailleurs dans une région où il est assez étonnant de constater l’absence d’une autoroute entre les principales villes du département.

Dans les faits, il est assez intéressant d’observer la médiatisation de cet événement qui n’a fondamentalement rien de très nouveau. Pour autant, il intéresse particulièrement la presse, alors même qu’il aurait pu s’agir d’un non-événement national… somme toute assez typique de l’action de collectifs locaux divers. Cette manifestation, fondamentalement très locale, apparaît assez observée par la presse nationale.

Ce projet autoroutier, comme la contestation qu’il engendre de la part des associations écologiques, est assez classique . Les militants critiquent l’artificialisation des sols et on retrouve parmi eux les différents mouvements qui, aujourd’hui, se présentent comme les défenseurs du vivant, en résumé. Cela comprend évidemment la Confédération paysanne, Attac, des groupes locaux ou les anciens des Soulèvements de la Terre, récemment dissous sur décision du gouvernement [la dissolution a été annoncée, mais n'est pas effective : en réalité, elle ne devrait pas se faire].

Que dire du déroulement de la manifestation ? Particulièrement dans le contexte actuel, où les rassemblements peuvent parfois devenir le théâtre de violences ?

La mobilisation contre la construction de l’A69 s’est déroulée dans le calme, ce qui n’est pas très surprenant : il n’y avait pas, me semble-t-il, de raison que la manifestation s’avère violente. Bien sûr, il y avait une attente du côté des médias, puisque c’était la première sortie des mouvements qui s’étaient précédemment réunis à Sainte-Soline, mais il ne faut pas penser qu’il y aura de la violence à chaque fois.

La plupart du temps, la violence qui peut surgir dans ces manifestations est liée à des dimensions techniques : très souvent, et c’était le cas à Sainte-Soline, il y a une zone protégée par les forces de l’ordre que les opposants veulent atteindre. C’est ce qui provoque les affrontements.Pour qu’il y ait un assaut de ce type, il faut initialement un endroit à défendre, à tenir ou à prendre. Pour l’heure, il n’existe pas encore de lieu bien spécifique, dans le cadre du chantier à venir de l’A69, que les militants pourraient occuper ou pénétrer. Il n’y avait donc pas matière à ce qu’il y ait des affrontements directs, du corps-à-corps entre les forces de l’ordre et des éléments radicaux.

La construction d’un mur de parpaing sur la route constitue un cas assez typique d'obstruction, avec l’idée de bloquer un lieu et d’empêcher, assez symboliquement, le trafic habituel. Cela relève bien davantage de la désobéissance civile que du sabotage ou de la destruction comme cela a pu être le cas à Sainte-Soline. C’est assez logique : ce ne sont pas les mêmes enjeux et sans doute pas le même degré de gravité aux yeux des militants. Puisque ce n’est rien d’autre qu’un projet autoroutier parmi d’autres, là où Sainte-Soline était perçue comme un emblème du nouvel enjeu de l’accès à l’eau en contexte de réchauffement climatique, la symbolique n’a pas non plus le même poids. La construction de l’A69 est perçue comme un projet anachronique par ces manifestants. Mais la situation n’a pas la même profondeur que ne pouvaient l’avoir d’autres cadres d’intervention.

Gardons cependant en tête que, pour les opposants à de tels projets, l’objectif principal consiste bien souvent à monter en généralité et à nationaliser ce type de lutte. Il est question de faire en sorte qu’un projet local, ici la construction d’une autoroute entre Toulouse et Castres, devienne un sujet national, fasse débat à l’échelle de la nation entière. Reprenons l’exemple de Sainte-Soline : il n’y est pas question, au fond, de ne parler que de la possibilité pour les agriculteurs locaux de pouvoir puiser dans les réserves d’eau en cas de sécheresse… Il s’agit aussi de poser la question de l’eau, des conflits d’usage, de l’adaptation au changement climatique, du "modèle agricole". Des sujets bien plus larges que les seuls besoins d’agriculteurs locaux, donc. 

Le problème est le même dans le cadre de ce projet autoroutier : il s’agit aussi d’évoquer le sujet du transport routier, du bétonnage, de l'artificialisation, des émissions de gaz à effet de serre en lien avec les véhicules automobiles, entre autres. Au fond, nous en revenons donc à de véritables choix de société et à des éléments qui relèvent davantage de valeurs que d’une dimension purement technique.

Si les médias s’y intéressent autant, je pense, c’est en raison de la dissolution des Soulèvements de la Terre. Se faisant, cette manifestation constitue le premier rendez-vous physique de celles et ceux qui défendent ce mouvement, que l’on a pu voir notamment via des tribunes ou des réunions comme celle à laquelle a participé la climatologue Valérie Masson-Delmotte dernièrement. Bien sûr, plus les médias et les politiques s'intéresseront à ce sujet, plus le risque de dérapage violent sera élevé. 

Le pouvoir devrait-il politiquement craindre la récurrence de ce type d’événements ? Quid des riverains, dont le confort de vie pourrait éventuellement être malmené ?

La multiplication de mouvements de ce type, c’est-à-dire d’obstruction et dans certains cas de détérioration, d’occupation voire de destruction, est un phénomène qui s’observe depuis quelques années. On pourrait citer Notre-Dame des Landes ou Sivens, par exemple. A l’évidence, cependant, il faut maintenant s’attendre à une accélération : c’est une volonté assumée de la part de différents mouvements, en particulier des Soulèvements de la Terre, et le degré d’urgence climatique ainsi que le sentiment d’inertie des gouvernements et des acteurs économiques, aux yeux de ces organisations du moins, poussent en ce sens. Sans oublier, bien sûr, la grande déception éprouvée à l’égard du “Monde d’après”. De nombreux militants se sont considérablement investi pour que celui-ci soit plus écologique et souffrent désormais de la grande désillusion en réalisant que cela ne donnera pas les résultats escomptés. Des mouvements, comme Extinction-Rébellion, s’interrogent d’ailleurs sur le mode d’action, désormais.

Ces actions, il faut s’y attendre, vont se multiplier et deviendront plus spectaculaires. Il faut évidemment s’attendre à des affrontements. La multiplication du nombre d’acteurs engagés pour la cause climatique, y compris des scientifiques, a-politique pour certains d’entre eux, en dit long. Tant sur l’état de la situation du pays, par rapport à la transition écologique mais aussi vis-à-vis de la montée en puissance des ces organisations.

Autre point important à noter, bien identifié par ces militants : les grandes manifestations, comme celles observées dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites, n’ont pas eu les effets escomptés. En revanche, les mobilisations et les occupations localisées ont connu plus de succès. En témoignent les abandons des projets Europa City ou de Notre-Dame des Landes. Ce mode opératoire est jugé efficace. Nous allons au devant de situations qui vont donc se multiplier. Il suffit de se rendre sur certains sites internet écologistes pour constater qu’il y a recensement des sites contestés. Ils sont extrêmement nombreux et devraient le devenir davantage alors que la question de l’adaptation au changement climatique gagnera en puissance.

Les riverains, de leurs côtés, sont souvent assez partagés. Il leur arrive de soutenir les oppositions quand le projet est jugé nuisible pour une raison ou une autre (dérangement sonore, odeurs, baisse du prix de l’immobilier…). Quand, en revanche, ce projet implique la création d’emplois dans des régions économiquement sinistrées, ils peuvent s’avérer moins convaincus par les mobilisations. La plupart du temps, les militants cherchent à agréger les riverains, les élus locaux et les agriculteurs mais tout dépendra finalement de la nature des enjeux.

Bien sûr, il y aussi un risque concernant l’impact sur le confort de vie des riverains, quand ceux-ci sont pris entre deux feux, exposés à la menace que peut théoriquement représenter la présence d’éléments radicaux dans la région… mais aussi par la forte présence de gendarmes qui auront donc tendance à  multiplier les contrôles et à rendre la vie des populations locales plus compliquée. Cela s’est notamment vu à Bure, par exemple dans le contexte de l'opposition au projet d'enfouissement des déchets radioactifs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !