Malgré le procès capital du 29 septembre, pourquoi le contentieux Tapie-Crédit lyonnais vieux de 22 ans n'est pas près de se terminer<!-- --> | Atlantico.fr
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Bernard Tapie s'estime lésé dans la vente d’Adidas en 1993.
Bernard Tapie s'estime lésé dans la vente d’Adidas en 1993.
©Reuters

Péripéties et dénouement

Ce mardi 29 septembre, la Cour d’appel de Paris dira si oui ou non l’ancien président de l’OM a été lésé lors de la vente d’Adidas en 1993. En cas de réponse positive, Bernard Tapie aura droit à réparation du préjudice. La Cour pourra soit diminuer son montant, soit confirmer les 403 millions d’euros. Mais elle peut tout aussi bien confirmer l’annulation de la sentence du Tribunal arbitral.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Ce mardi 29 septembre, la Cour d’appel de Paris examine - au civil- l’ensemble du contentieux qui oppose Bernard Tapie au CDR, la structure chargée de gérer les actifs douteux du Crédit lyonnais.
  • La Cour pourra également dire si Bernard Tapie, conformément à sa décision du 17 février 2015, doit rendre les 403 millions d’euros que lui a attribués le Tribunal arbitral en 2008.
  • Parallèlement, se poursuit l’information judiciaire sur les soupçons de fraude qui semblent avoir été établis par la Brigade financière et les juges lors de la désignation du Tribunal arbitral en 2007.
  • Dans ce volet pénal, les juges tournent autour de l’Elysée, du temps du mandat de Nicolas Sarkozy. Ils s’interrogent sur le rôle qu’aurait pu jouer Claude Guéant et l’ancien président dans les préparatifs de l’arbitrage favorable à Bernard Tapie.
  • Le volet instruit par la Cour de Justice de la République (CJR) s’annonce plutôt bien pour Christine Lagarde. Mise en cause pour n’avoir pas intenté un recours contre la sentence favorable à Tapie, le procureur général a requis un non-lieu en sa faveur.

Coucou ! Bernard Tapie est de retour ce mardi 29 septembre. Ce jour-là, il sera présent pour une audience capitale de la Cour d’appel de Paris. Au cours d’une journée tout entière, celle-ci aura à se prononcer, une nouvelle fois, sur une question qui hante l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais : l’ancien président de l’OM, lors de la vente d’Adidas en 1993, effectuée via une filiale du Crédit Lyonnais, la SDBO a-t-il été, oui ou non, lésé ? S’il l’a été, pourra-t-il recouvrer les 403 millions d’euros dont la Cour d’appel de Paris l’a privé dans sa décision du 17 février 2015 ? Ce mardi 29 septembre, la haute juridiction aura à dire si l’arbitrage initial devait être international ou national. Tapie estime que ce dernier ne peut être du ressort d’un tribunal français, puisque Adidas n’est pas français… Mais là où il y a problème, c’est que l’arrêt de la Cour d’appel du 17 février 2015, qui a annulé l’arbitrage fait l’objet d’un pourvoi en cassation qui pourrait être examiné d’ici la fin du mois de décembre ou au début de l’année 2016. C’est dire que le casse-tête juridique de cet ahurissant feuilleton qui dure depuis 20 ans, est peut-être loin d’être terminé…Car Bernard Tapie, à plus de 70 ans, n’est pas prêt de lâcher prise. C’est un battant. Son adversaire, en l’espèce le Consortium de réalisation (CDR), structure chargée de gérer les actifs défaillants du Lyonnais le sait. L’ancien député des Bouches-du-Rhône se battra d’autant plus qu’il est mis en examen pour escroquerie en bande organisée dans le volet pénal de ce dossier multiformes. Un dossier qui trouve son origine dans les omissions dont aurait fait preuve l’arbitre Pierre Estoup, ancien premier président de la Cour d’appel de Versailles, mis en examen comme Bernard Tapie, son avocat, Me Maurice Lantourne, ou l’ancien directeur du cabinet de Christine Lagarde, ex-ministre de l’Economie, Stéphane Richard…

Tantôt Bernard Tapie gagne, tantôt il perd

Pour s’y retrouver dans toutes ces procédures -aussi inédites qu’incroyables-, un retour en arrière s’impose. Nous sommes en avril 1992. François Mitterrand qui ne cache pas son admiration et sa sympathie pour Bernard Tapie, self made man entreprenant, souhaite le nommer ministre de la Ville du gouvernement que s’apprête à former Pierre Bérégovoy. Mais à une condition : qu’il mette entre parenthèses ses affaires. Ce qu’accepte bien volontiers l’intéressé. C’est ainsi que Tapie donne mandat au Crédit lyonnais pour vendre Adidas qu’il avait rachetée en 1990. Or, c’est le Lyonnais qui rachète indirectement la firme allemande pour la revendre avec une substantielle plus-value à Robert-Louis Dreyfus, futur président de l’OM… comme Tapie. Furieux de l’apprendre, ce dernier persuadé qu’il a été floué – ce que le Crédit Lyonnais- a toujours démenti- saisit le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation. Soit le montant de la plus-value qu’il n’aurait pas perçu : près de 230 millions d’euros. Bien joué. Le Tribunal, s’il ne fait droit qu’en partie à l’audacieux homme d’affaires, lui octroie tout de même en 1996, 91,5 millions d’euros. Dès lors la guerre judiciaire ne s’arrêtera plus entre Tapie et le CDR. Deux ans après sa victoire, le camouflet : la Cour d’appel annule le jugement du Tribunal de commerce. Chacune des parties commence à se rendre compte que cette guerre n’a pas de sens et qu’il faudra bien l’arrêter un jour. Pour ce faire, à la fin 2004, on sollicite la médiation d’un magistrat au profil impeccable, Jean-François Burgelin qui vient de prendre sa retraite de procureur général près la Cour de cassation. Las ! il doit abandonner. Un an plus tard, nouveau coup de théâtre : la Cour d’appel de Paris condamne le CDR à payer 135 millions d’euros à Tapie….Affaire terminée ? Pas le moins du monde, puisqu’en 2006, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour. Résultat : Tapie peut dire adieu à ses 135 millions ! Cela fait près de dix ans que le contentieux Tapie-CDR revient périodiquement dans les prétoires de la République. Tantôt l’homme d’affaires en sort vainqueur, tantôt vaincu. Que faire pour solder enfin cette histoire ?

La solution miracle, le recours à un Tribunal arbitral ?

Le CDR propose la constitution d’un Tribunal arbitral qui rendra une sentence définitive. Les deux parties acceptent. C’est ainsi qu’en 2007, le Tribunal est mis sur pied. A sa tête, l’ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud. Il sera assisté de Jean-Denis Bredin, célèbre avocat, agrégé des Facultés de droit, membre de l’Académie française et Pierre Estoup, ancien premier président de la Cour d’appel de Versailles. Un an plus tard, le 7 juillet 2008, le trio rend sa sentence. Il condamne le CDR à verser 285 millions d’euros à Bernard Tapie, dont 45 millions à titre de préjudice moral. Au total, avec les intérêts qui courent depuis 1994, l’homme d’affaires devrait toucher 403 millions d’euros. Pour justifier cette sentence, le Tribunal s’appuie sur deux arguments : 1-Le Lyonnais a manqué de loyauté à l’égard de Tapie en ne l’informant pas qu’elle céderait Adidas pour un montant plus élevé que prévu 2- Le Lyonnais a commis une faute en se portant indirectement acheteuse d’Adidas. Aussitôt connu, ce verdict suscite des interrogations du côté de la classe politique, notamment au sujet des 45 millions versés au titre du préjudice moral. Du jamais vu ! Un recours est-il possible contre cette décision jugée trop favorable à l’ancien ministre de la Ville ? La réponse est oui. Elle appartient à la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. Le 28 juillet, elle fait savoir qu’elle ne déposera pas de recours. Pourtant, ses services, notamment l’Agence des participations de l’Etat(APE) lui avaient fortement conseillé de contester la sentence… La position de la ministre surprend. Après tout, c’est son droit. Pourtant, une atmosphère brumeuse semble se dégager à propos de la sentence du 7 juillet 2008. A telle enseigne, que dès le mois d’août, le député de la Marne Charles de Courson, quelques membres du Modem et du PS saisissent le Tribunal administratif de Paris pour contester la décision du Tribunal arbitral sur trois points essentiels : 1- Le montant exorbitant du préjudice moral 2- La décision de Christine Lagarde de ne pas d’opposer au recours à l’arbitrage décidée par le CDR. 3- Le refus de cette dernière de former un recours en annulation contre la sentence arbitrale du 7 juillet 2008. Dans la foulée, la commission des Finances de l’Assemblée nationale, soucieuse d’en savoir un peu plus sur les dessous de cet arbitre, entend du 3 au 23 septembre 2008, tous les protagonistes du feuilleton, y compris Bernard Tapie. A dire vrai, le public présent reste sur sa faim. Tout au plus retiendra-t-il les interventions mordantes de quelques députés, parmi lesquels François Bayrou, Charles de Courson, François Goulard ou Jérôme Cahuzac à propos de cette faveur -la fameuse sentence-… Tout au plus retiendra-t-on, lors d’une ultime audition, les larmes versées par Tapie, dont le nom, dit-il, est sali depuis des années. Un an plus tard, bonne nouvelle pour l’ancien ministre de la Ville : le Tribunal administratif déboute Charles de Courson et les autres plaignants. (Le jugement sera confirmé par un arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 2011).

Plus le temps passe, plus pense-t-on, les chances de l’annulation de la sentence arbitrale sont minces. L’ancien ministre de la Ville peut dormir sur ses deux oreilles. Les 403 millions d’euros qu’il a perçus en 2008 lui semblent définitivement acquis. Prudent, Tapie en a investi une part dans une maison à Saint-Tropez, le Rebom, un yacht de 74 mètres, une résidence secondaire à Combs-la Ville (Seine-et-Marne) et un appartement à Neuilly-sur-Seine etc… (Ses biens ont depuis, été saisis dans le cadre du volet pénal de l’affaire.)

Le démarrage du volet pénal du dossier en 2011 et 2012

C’est sans compter avec l’initiative, en mai 2011, de plusieurs députés socialistes parmi lesquels le futur Premier ministre, Jean- Marc Ayrault, qui demandent au procureur général près la Cour de Justice de la République (CJR), Jean-Louis Nadal d’engager des poursuites contre Christine Lagarde. Pour ce faire, les parlementaires invoquent l’abus d’autorité commis par la Ministre en acceptant l’arbitrage puis en refusant de former un recours contre la sentence arbitrale… Dans l’entourage de la ministre, on rappelle avec ironie qu’en 2004, Nadal, alors procureur général près la Cour d’appel de Paris, dans une note, s’était déclaré favorable à un compromis… Autre temps, autre mœurs… Finalement, une information judiciaire sera ouverte pour faux et complicité de détournement de fonds publics. Une qualification tout de même osée, qui se transformera, au fil de l’instruction devant la CJR, en négligence reprochée à l’actuelle directrice du FMI… Laquelle pourrait à son tour déboucher sur un non-lieu, ainsi que l’a requis le procureur général près la Cour de justice de la république, Jean-Claude Marin.

Outre le volet civil examiné ce mardi 29 septembre, Bernard Tapie se bat encore sur un autre front : le volet pénal de l’arbitrage puisque le parquet de Paris a ouvert en septembre 2012, une information judiciaire pour usage abusif de pouvoirs sociaux et recel de ce délit, pour être essentiellement axée sur une escroquerie en bande organisée. Laquelle sous-entend plusieurs questions : l’arbitrage Tapie-CDR a –t-il été truqué ? Les arbitres avaient-ils partie liée avec Bernard Tapie ? L’un d’entre eux, en l’espèce Pierre Estoup a-t-il manqué à son devoir d’indépendance en favorisant l’ancien patron de l’OM ? Bref, tout était- il joué d’avance en faveur de Bernard Tapie ? Enfin, quel rôle a pu jouer le pouvoir politique de l’époque, alors que Nicolas Sarkozy était président de la République, dans cette histoire d’arbitrage qui recèle des zones d’ombre ? Après trois ans d’enquête, les trois juges d’instruction, Serge Tournaire, Guillaume Daieff et Claire Thépaut ont multiplié perquisitions, gardes à vue et mises en examen. De leurs investigations, il ressort quelques faits bruts. A savoir que, du côté du Tribunal arbitral, cachotteries et manquements ont bien eu lieu. C’est ainsi que Pierre Estoup, avant d’accepter sa désignation en juillet 2007, a négligé d’écrire, dans sa déclaration d’indépendance, qu’il avait été désigné comme arbitre, dans d’autres dossiers, par Me Maurice Lantourne, avocat de Bernard Tapie. Une désignation qui a eu lieu en 1999, 2001 et 2002. C’est ainsi que Bernard Tapie et Pierre Estoup ont toujours affirmé ne pas se connaitre avant 2008. Or, la Brigade financière a saisi sur l’agenda du haut magistrat pour l’année 2006, la mention d’un rendez-vous avec Bernard Tapie le mercredi 30 août 2006. C’est aussi cela, l’affaire Tapie-CDR, un mélange de non-dits, d’oubli, de décisions hasardeuses. Et aussi de rendez-vous intrigants dont on tire parfois des conditions hâtives…

Quand les juges tournent autour de l’Elysée du temps de Nicolas Sarkozy

Ainsi, les juges sont intrigués par cette fameuse réunion du 24 ou 25 juillet 2007 à l’Elysée qui réunissait Claude Guéant, le secrétaire général, François Pérol, le secrétaire général adjoint, Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, Jean-François Rocchi, le président du CDR et Bernard Tapie. Une réunion qui a lieu quelques jours après la constitution du Tribunal arbitral… Sans une confidence de Stéphane Richard distillée aux juges d’instruction, personne n’aurait jamais rien su de cette rencontre destinée, visiblement, à demeurer secrète. Certes, secret ne signifie pas commission d’un délit, complot ou coup tordu…Mais interrogations. C’est ce qu’ont font également les magistrats lorsqu’ils apprennent que Jean-François Rocchi, déjà épinglé par la Cour de discipline budgétaire, a pesé de tout son poids au sein du CDR pour que les 3 arbitres retiennent un plafond de 50 millions d’euros pour le préjudice moral subi par Bernard Tapie. Interrogations encore lorsque les juges voudraient bien savoir ce que se disaient Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie lors de leurs multiples entretiens. En tout six entre le 8 janvier et le 28 avril 2007… Evoquaient-ils l’hypothèse de l’arbitrage ? Pesaient-ils le pour et le contre de la poursuite des procédures devant les tribunaux ordinaires ? Ou parlaient-ils tout simplement de la campagne présidentielle ? Ces rendez-vous sont consignés dans les fameux agendas de Nicolas Sarkozy saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt. Or, visiblement, l’ancien patron de l’OM se moque de leur contenu, puisqu’il ne les a pas réclamés. Aujourd’hui, l’information judicaire arrive petit à petit à son terme. Il n’est pas exclu que des confrontations soient organisées entre quelques protagonistes de ce feuilleton. Ainsi, entre Tapie et Pierre Estoup. Entre Tapie et Claude Guéant pour lequel le parquet a requis la mise en examen. Ou entre Estoup et les deux autres arbitres. Ou encore entre Estoup et Me Lantourne… Et après ? L’imbroglio juridique n’est sans doute pas terminé. Imaginons les scénarios suivants : renvoyé en correctionnelle, Bernard Tapie est relaxé, tandis que la sentence du Tribunal arbitral est définitivement annulée. Que se passe-t-il ? A l’inverse, que se passe-t-il si Tapie est condamné sur le plan pénal, mais considéré par une juridiction civile – de façon définitive- comme ayant été berné lors de la vente d’Adidas ? Quant à la Brigade financière qui enquête sur commission rogatoire des juges, elle s’en tient à ses propres découvertes. Dans le rapport de synthèse de l’automne 2014, révélé par Le Monde, ses enquêteurs concluaient : "les faits ayant pu être établis par les investigations ne permettent pas de donner crédit à la thèse de M. Tapie et aux conclusions des arbitres. M. Tapie et son conseil ont produit des attestations qui s’avèrent inexactes, voire mensongères. […] le raisonnement des arbitres reposaient sur des documents non conformes à la réalité."                                          

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