Mais qui sera le plus à gauche ? Quand Hollande, Valls et les socialistes se lancent dans une course à l'échalote pour reconquérir leur électorat<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Manuel Valls partent à la reconquête de leur électorat.
François Hollande et Manuel Valls partent à la reconquête de leur électorat.
©Reuters

A bâbord toute !

Alors que les adhérents socialistes votent pour départager les quatre motions en lice du Parti socialiste, François Hollande et Manuel Valls se lancent à corps perdu dans une grande campagne de "regauchisation", avec l'objectif de faire oublier les trois premières années de quinquennat. Ils militent notamment pour l'antiracisme et l'antifascisme, actions dans lesquelles se retrouvent leurs militants.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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François Bazin

François Bazin

Journaliste indépendant auteur de Les ombres d'un Président (Plon, mars 2015) et du blog Lire la suite. Rédacteur au Point entre 1995 et 1997, il a fait l’essentiel de sa carrière au Nouvel Observateur qu’il a rejoint en 1989 et où il fut rédacteur en chef adjoint de 1997 à 2005 puis rédacteur en chef, chef du service politique de 2006 à 2014.

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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  • En se postionnant sur des réformes typiquement de gauche, comme la réforme du collège, le gouvernement entend réaffirmer ses valeurs et ressouder son camp.
  • Une "regauchisation" qui passe aussi par la désignation claire de ses ennemis, c'est à dire Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, sur fond d'antiracisme et d'antifascisme.
  • A vouloir absolument paraître de gauche, l'exécutif se cantonne à des réformes symboliques qui auront pour but premier de lancer des signaux forts ou faibles à destination de son électorat et non pas d'avoir une efficacité réelle.
  • Un retour aux bases tout aussi indispensable pour Manuel Valls, pour se différencier d'une droite qui ne lui est pas forcément étrangère sur beaucoup de sujets, notamment du point de vue de la sécurité et de l'économie.
  • Une obsession à tirer les lignes vers la gauche que le Président considère comme stratégique en vue de 2017, soutenant l'idée d'un découpage du quinquennat en deux parties : les réformes clivantes, puis une action politique dont la séduction de son électorat serait le principal critère d'action.

Atlantico : Manuel Valls a personnellement défendu la réforme du collège et des programmes, en allant même jusqu'à accompagner la ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem sur le terrain. Les mesures sociales et sociétales sont-elles un moyen pour le Premier ministre de faire oublier son discours habituel, considéré comme libéral en matière économique et très porté sur le sécuritaire ?

Eddy Fougier : L'objectif est de faire valider une fois pour toute la ligne gouvernementale en ayant la majorité absolue de la principale motion, celle de Jean-Christophe Cambadélis. Nous sommes dans une logique de premier tour de présidentielle : on réaffirme des valeurs, on ressoude son camp et on désigne l'ennemi, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. C'est une sorte de pré-campagne électorale avec l'idée de ressouder une gauche éparpillée, comme en témoignent les dernières élections départementales. C'est ce qui avait fait que Lionel Jospin n'avait pas été en mesure d'accéder au second tour en 2002. Il y a donc bien une volonté de rassembler autour des valeurs de gauche mais aussi de limiter les voix dissonantes à gauche et le nombre de candidats concurrents à gauche.

François Bazin : Ce que cherche Manuel Valls, c'est de montrer qu'il est le réformateur sur tous les sujets. Il s'agit de montrer que sur un sujet comme celui de l'école il peut avancer quels que soient les obstacles. Un peu comme le gouvernement avait accéléré à la fin du processus sur le mariage pour tous, il a montré son autorité dans la dernière ligne droite. C'était aussi une façon de revenir sur les valeurs propres du parti, sur de vraies réformes sociétales.

Aujourd'hui, la motivation principale du gouvernement semble donc être de paraître de gauche. N'est-il pas dangereux d'avoir comme principal critère d'action la couleur politique d'une décision plutôt que l'efficacité de celle-ci ?

Eddy Fougier :Dans cette logique-là, on s'oriente vers le fait qu'on s'en tienne à un certain nombre de réformes symboliques qui auront pour but premier de lancer des signaux forts ou faibles à destination de l'électorat de gauche. Ce qui empêchera toute grande réforme d'ici 2017. C’est-à-dire que sur l'essentiel, les questions de sécurité intérieure et les enjeux économiques et sociaux, nous resterons au point mort.

A mon avis, le souci actuel du gouvernement est à la fois d'avoir des résultats, notamment en termes de croissance, donc d'emploi (François Hollande a dit qu'il se présenterait uniquement si la courbe du chômage s'inversait), et de maîtrise des finances publiques, mais aussi d'envoyer des signaux au "peuple de gauche", car beaucoup de militants estiment que non seulement les idéaux et les promesses ont été trahis, mais en plus pour une politique qui ne donne pas de résultats tangibles. Au-delà, ce qui est toujours gênant de la part d'un gouvernement, c'est de donner l'impression de mélanger intérêt général et intérêt électoral, en l'occurrence donner des gages à ses électeurs en prévision des échéances électorales à venir.

François Bazin : Cela aura pour conséquence que l'on ne verra dans les mois à venir que des mesures beaucoup plus ciblées pour l'électorat de gauche, notamment sur les contreparties du pacte de responsabilité ou du CICE. Ce sont des mouvements symboliques, qui sont la plupart du temps à la marge.

Le premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis a récemment qualifié les propos de Nicolas Sarkozy à l'encontre de Najat Vallaud-Belkacem de "xénophobes". La citation en cause : "Dans le combat effréné pour la médiocrité, Christiane Taubira est en passe d'être dépassée par Najat Vallaud-Belkacem". L'antiracisme et l'antifascisme, qui se traduisent aussi par une obsession pour le FN de la part du Parti socialiste, sont-ils le signe d'une volonté de revenir à des combats de gauche ?

Eddy Fougier : L'antiracisme et l'antifascisme sont des postures moralisatrices censées ressouder la gauche. Ce sont aussi des marqueurs idéologiques de différenciation entre la droite et la gauche avec soi-disant une gauche plus morale et une droite plus cynique, aujourd'hui qualifiée de raciste et de xénophobe.

Manuel Valls est très souvent accusé d'être dans une logique de triangulation, c’est-à-dire de faire ce que la droite aurait fait en matière de sécurité ou d'économie. C'est une manière pour lui de "gauchir" son discours et de ressouder ses troupes sans employer de grands moyens. Il faut taper sur Nicolas Sarkozy ou dénoncer des dérapages. L'essentiel étant de se différencier idéologiquement de l'adversaire.

François Bazin : La gauche se veut à la fois ferme sur les questions d'ordre public, libérale sur les problèmes de société et réformiste sur mes questions économiques. Cela tourne sur ces trois piliers-là en fonction des circonstances. Il y a des jeux de rôles dans tous les sens. Tout cela relève de positions qui relèvent plus de la posture que de la politique.

Manuel Valls est déjà plébiscité par les sympathisants de gauche alors qu'il est connu pour faire partie de l'aile libérale de son parti. Qu'espère-t-il gagner à se repositionner à gauche ?

Eddy Fougier : Son point faible est d'être celui qui un jour a voulu changer le nom du Parti socialiste. Il a été perçu comme le "traître de classe". Il est donc toujours important pour lui de montrer qu'il est de gauche. Il y a toujours un soupçon. Il se doit de donner un certain nombre de gages et sa posture assez nette envers le Front national en fait partie. Pour se différencier d'une droite qui ne lui est pas forcément étrangère sur beaucoup de sujets, notamment du point de vue de la sécurité et de l'économie, il devra montrer patte blanche, ou plutôt patte rose voire rouge…

En rendant visite à l'ex-Président cubain Fidel Castro et en montrant qu'il partage les valeurs de la révolution cubaine, François Hollande tente-t-il de se réapproprier les valeurs de gauche qu'incarne la motion B ? 

Christelle Bertrand : François Hollande a déclaré en substance lors de sa visite à Cuba qu'il avait partagé les aspirations de la révolution cubaine, alors que ce n'est pas du tout la gauche qu'il a fréquenté, car elle était beaucoup plus réformiste que cela. Il s'approprie ainsi des valeurs de gauche qui peuvent rapporter quelques voix vers la motion A, la motion majoritaire qu'il défend. Et ce n'est pas un luxe pour lui.

Cela n'est pas pour rien non plus que la réforme du collège est présentée comme une réforme à destination des classes populaires, car là aussi il enclenche une certaine gauchisation. Il y a une certaine obsession à tirer les lignes vers la gauche car c'est la condition sinequanone à sa présence au second tour de la prochaine présidentielle. Il doit aujourd'hui ramener à lui les frondeurs, ceux qui ont défié ses actions.

Assiste-t-on à un tournant du quinquennat, dont les trois premières années ont été consacrées à des réformes douloureuses qui ont coupé l'exécutif de son électorat ?

Eddy Fougier : Il y a trois phases dans le mandat de François Hollande. Comme le disait Nicolas Sarkozy, il fallait d'abord défaire ce qui a été fait dans le mandat précédent. Très vite, dès la rentrée 2012, et notamment au Bourget, le quinquennat de François Hollande a pris une tournure sociale-libérale avec la volonté de renégocier le pacte budgétaire européen, avec plus de contraintes. On arrive maintenant à une dernière phase qui vise à donner des gages à gauche forcée par les derniers résultats électoraux et l'approche de l'échéance de 2017. Les militants sont désemparés par l'évolution du mandat du Président actuel. La gauche se doit de marquer une différence idéologique avec la droite, comme cela a été fait avec la réforme du collège et des programmes.

François Bazin : L'objectif de François Hollande depuis le début était d'utiliser la seconde partie du mandat pour un peu plus de redistribution. Il le disait de façon explicite lors de sa campagne de 2012 : l'effort avant le réconfort. On fait les réformes et on redistribue après. Il est très en retard sur son calendrier car la croissance est arrivée beaucoup plus tard que prévu. Il peut y avoir des signes lancés à l'électorat sur les allégements d'impôts, des augmentations de salaires, etc. Mais il n'y aura plus vraiment de changements majeurs.

Christelle Bertrand : François Hollande a toujours été assez honnête à ce propos, tout comme son entourage. J'ai souvenir d'une discussion avec Aquilino Morelle, à l'époque où il faisait encore partie des conseillers à l'Elysée, où il expliquait que quoi que l'on fasse dans la première moitié du quinquennat, les Français l'oublieront même si cela leur profite. Ce qui compte électoralement, ce sont les actions des deux dernières années du mandat. La conviction du Président et de ses conseillers était de réformer comme ils l'entendaient, comme ils pensaient que cela aller redresser la France, quitte à déplaire et à baisser dans les sondages, avant de renouer avec leur électorat pendant les deux dernières années. Cela a été programmé dès la campagne électorale.

En quoi le Congrès du PS, qui commencera le 5 juin prochain, est-il crucial pour François Hollande ? 

Eddy Fougier : C'est une première étape avant la présidentielle mais aussi l'occasion de graver dans le marbre la ligne gouvernementale et d'assurer la candidature de l'actuel Président. Il s'agit d'élargir au maximum les alliés de François Hollande. S'il y a victoire de la majorité, cela contraindrait les autres à la rejoindre.

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