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Mais que retiennent les Français de l’avalanche de réformes en cours ?
©Fabrice COFFRINI / AFP

Du mal à suivre

Le choix d’un calendrier de réformes intensif en début de mandat et sur des points qui concernent directement la vie économique et sociale des Français présente un risque pour Emmanuel Macron, et un caractère ambivalent en termes d’opinion publique.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Selon un sondage Ifop pour le JDD publié le 31 mai et un Sondage Kantar Soffres publié le même jour, Emmanuel Macron atteindrait ses niveaux les plus bas depuis le début de son quinquennat,  41% pour l'Ifop (par rapport à un plus bas de 40% pour le mois d'août 2017), et 38% pour Kantar  (par rapport à un plus bas de 38% au mois de novembre 2017). Comment interpréter de tels résultats ? Faut-il voir ici une forme de "fatigue" des Français à mettre en relation avec le cycle des réformes ? Alors que ce dynamisme avait pu être perçu favorablement par les Français, ne peut-on pas voir ici une forme d'usure ?

Bruno Cautrès : Il est, à terme, inéluctable qu’Emmanuel Macron voit sa popularité baisser plus encore. Il en est ainsi pour tous les gouvernants dans presque tous les pays européens, à quelques exceptions près. Dans le cas d’Emmanuel Macron, le choix d’un calendrier de réformes intensif en début de mandat et sur des points qui concernent directement la vie économique et sociale des Français et la conduite successive ou en parallèle de ces réformes présente un caractère ambivalent en termes d’opinion publique : de nombreux Français reconnaissent le dynamisme et la volontarisme présidentiel, mais cela a créé dans plusieurs segments de l’électorat l’image d’un président qui n’écoute pas, qui avance à marche forcée. C’est davantage cela qui se passe qu’une usure de l’image de réformateur. Il ne faut jamais oublier qu’Emmanuel Macron a été élu avec l’apport de voix d’électeurs qui avaient fait des choix de votes très différents au premier tour : cet effet de déception et ce sentiment d’un président qui veut réformer en force est particulièrement présente dans les électorats de Benoit Hamon et de Jean-Luc Mélenchon même lorsqu’ils ont voté pour Emmanuel Macron au second tour, sans compter bien sûr l’électorat de Marine Le Men aux deux tours.

Alors qu'un sondage Ipsos/Cevipof /FJJ/Le Monde montrait, dès le début de ce mois de mai 2018 que 49% des Français jugeaient que les mesures annoncées étaient trop nombreuses, le rythme engagé au cours de ces dernières semaines, ou l'ouverture ce 31 mai de la question de la retraite par points, ne pourraient-ils pas porter durablement un coup à Emmanuel Macron ?

Il est trop tôt pour dire quelle sera « la réforme de trop » pour les Français. Pour le moment, le cœur du projet macronien et la logique de plusieurs des réformes engagées consiste dans des réformes qui, pour Emmanuel Macron, remettent de l’égalité entre les Français. C’est paradoxal car Emmanuel Macron n’est pas vraiment en odeur de sainteté parmi les électeurs de gauche : mais ce qu’il propose est très largement inspiré par l’idée de redéfinir le sens du mot « égalité » et de davantage parler d’équité. Réformer les retraites va être d’abord et avant tout expliqué aux Français comme la mise à plat d’un système qui, d’après Emmanuel Macron, était devenu injuste avec trop de régimes spéciaux et trop d’exceptions. Cette approche peut plaire à de nombreux français qui vivent mal ces exceptions et ont le sentiment que pour tout le monde n’est pas sur un même pied d’égalité en ce qui concerne des points très importants de leur vie, comme le système de retraite. Mais l’accumulation de réforme repose, pour réussir, que le nombre de Français positivement touchés par ces réformes soit plus important que le nombre de Français qui ont à perdre quelque chose. Ou encore, cela repose sur l’idée que si vous perdez sur une réforme vous allez gagner sur une autre. Et là, le pari n’est pas certain d’être gagné par Emmanuel Macron. Par ailleurs, l’enchaînement des réformes et leur nombre peut potentiellement créé un climat d’inquiétudes : on se demande quand cela va être mon tour…

Quel risque y a t il pour Emmanuel Macron que les Français ne perçoivent pas de réel changement dans leur quotidien ? Le paradoxe entre rythme des réformes et une non amélioration de ce quotidien peut il avoir un impact ? A l'inverse, le rythme des réformes pourrait il être "pardonné" en cas de réussite de ses actions ?

C’est tout à fait cela. Le problème, pour Emmanuel Macron comme pour de nombreux dirigeants avant lui, c’est que les réformes de structure ont des effets visibles à moyen ou long terme. A court terme on voit souvent davantage ce que l’on perd. C’est en cela que des réformes opérationnelles et visibles tout de suite (par exemple celles dont Jean-Michel Blanquer  s’occupe, comme le dédoublement des classes de CP) sont indispensables pour la réussite du projet présidentiel. Mais les Français évalueront l’action d’ensemble du gouvernement et du président. Le point qui, à terme, est le plus sensible à cet égard est de savoir si une majorité de français va considérer (ou non) qu’Emmanuel Macron est allé trop loin dans la réforme du « modèle social français ». On l’a dit ci-dessus, son projet est précisément de proposer aux Français une redéfinition de ce que veut dire en France « l’égalité ». Mais si le projet macronien créait de nouvelles inégalités, voire accentuait des inégalités existantes, alors l’impopularité pourrait devenir nettement plus importante et radicale. C’est sur ce point que la bataille politique va porter dans le cours du quinquennat, une fois les principales réformes économiques et sociales passées.

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