Mais comment l'agriculture française a-t-elle pu perdre pied à ce point face à ses concurrents de l'Union européenne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agriculteurs mobilisés lors d'une manifestation à la frontière franco-allemande à Ottmarsheim, dans l'est de la France, le 1er février 2024.
Des agriculteurs mobilisés lors d'une manifestation à la frontière franco-allemande à Ottmarsheim, dans l'est de la France, le 1er février 2024.
©PATRICK HERTZOG / AFP

Marché commun

La France est distancée vis-à-vis du reste de l'Union européenne et présente un important déficit. Le coût du travail est-il la clé ?

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau est professeur d'économie à AgroParisTech et travaille sur les questions de commerce international dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement. Il est chercheur associé au CEPII.

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Atlantico : Comment expliquer la dégradation du commerce extérieur de biens alimentaires entre la France et les autres pays de l’UE et l’impressionnant déficit actuel ? Quels sont les principaux secteurs concernés ? Pourquoi la balance commerciale est-elle en nette chute en France ? Y-a-t-il des disparités entre certains secteurs ? Quels sont les secteurs en baisse ? Quelle est la réalité des chiffres ? 

Jean-Christophe Bureau : Le commerce agro-alimentaire extérieur français reste excédentaire, il a même battu un record d'excédent en 2022, pas vu depuis 10 ans. Et sur moyenne période, alors que le déficit s’aggrave fortement en biens manufacturés cet excédent reste globalement stable. Néanmoins, ce chiffre cache des évolutions inquiétantes. La première est l'accroissement rapide d'un déficit vis-à-vis du reste de l'Union européenne, qui n'est comblé que par des exportations plus fortes vers les pays hors UE. De plus sur la période 2022 des exportations gonflées par un prix des céréales inhabituellement élevé, qui est redescendu fortement à la fin 2023. Enfin, si l'on regarde la structure de ce commerce c'est surtout les vins et spiritueux (cognac) qui réalisent la plus grande partie des excédents commerciaux, suivis de loin des céréales (pour lesquelles le solde excédentaire baisse) et des produits laitiers transformés.
La France a toujours importé beaucoup d'oléagineux, en particulier du soja pour l'alimentation animale. Elle importe aujourd'hui des huiles pour les agro-carburants. Le déficit s'accroit  en fruits, en légumes et la France est désormais déficitaire en viandes avec un solde commercial négatif en volailles et en viande bovine, ce qui est assez récent. 

Quelles sont les principales raisons de l’échec de notre balance commerciale ?  La concurrence extra-européenne et les problèmes de coût de main d’œuvre sont-ils les principaux responsables ?
Le fait que le déficit s'accroisse vis-à-vis des autres pays de l'UE est particulièrement inquiétant car on ne peut pas mettre en cause des normes très différentes. Pour les secteurs des fruits et légumes, le coût du travail est un facteur important. Le coût employeur, y compris les charges sociales (mais aussi les charges comptables pour élaborer les fiches de paie qui est élevé pour le travail occasionnel et saisonnier) est très supérieur à ce que doivent dépenser les producteurs siciliens, espagnols ou polonais. Néanmoins le coût du travail est élevé aux Pays Bas, qui nous taille des croupières y compris sur des productions comme des fruits et légumes. Il y a là une différence de productivité qui renvoie à l'organisation de la filière, à la formation et à l'innovation, domaines dans lesquels les Pays Bas ont beaucoup investi.
Pour la concurrence extra européenne, les conditions de production, comme le recours au génie génétique, au clonage des animaux, à l'utilisation de facteurs de croissance jouent un rôle cumulatif dans le handicap français. Et les droits de douanes, qui protégeaient les producteurs européens tendent à devenir moins efficaces car les accords commerciaux rendent la protection de plus en plus poreuse.
La France a-t-elle les moyens de sortir de cette crise ? Faut-il se tourner vers une agriculture plus qualitative et réduire mieux les coûts ?
La dégradation du solde avec les autres pays de l'UE est révélatrice de handicaps qui ne sont pas que agricoles, mais qui sont les mêmes que ce que l'on observe dans le secteur manufacturier. Le coût du travail joue pour certaines filières intensives en main d'oeuvre (fruits et légumes, secteur de l'abattage et de la découpe de viande) mais est moins important qu'un déficit de compétitivité plus structurel lié à l'innovation. Hors de nos frontières, l'Italie a davantage su "marketer" la qualité de ses produits, la France se reposant beaucoup sur des signes de qualité liés à l'origine, pas nécessairement biens compris sur tous les marchés. Le manque de structuration de nombreuses filières, le manque de coordination entre l'agriculture, l'industrie et la distribution pour mettre en place des relations de long terme permettant de planifier des investissements est une caractéristique française que l'on retrouve aussi dans l'industrie.
Cette réalité et ces difficultés sur le plan économique risquent-elles de tuer l’agriculture en France ?
L'évolution économique du secteur se traduit par une forte diminution du nombre d'agriculteurs au fil du temps. Mais il ne faut pas y voir uniquement un manque d'attrait pour la filière. La "déprise" agricole (abandon de terres) est d'ailleurs assez modérée une fois que l'on enlève la conversion de terres en zones artificielles (pavillons d'habitation, infrastructures commerciales, routes) et elle est surtout due à l'abandon de l'élevage dans des régions où les sols ne pouvaient pas être valorisés autrement que par des herbivores. La baisse du nombre d'exploitations agricoles est aussi à mettre en parallèle avec la très forte hausse de la taille moyenne des exploitations: il y a plutôt concentration qu'abandon des terres. Or paradoxalement cet agrandissement de la taille des exploitations peut permettre de regagner en compétitivité à défaut d'employer plus de main d'oeuvre.

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