Maillon faible : la BCE devrait sérieusement songer à venir au secours de l’Italie <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre italien, Mario Draghi, donne une conférence de presse lors du Sommet social européen à Porto le 8 mai 2021.
Le Premier ministre italien, Mario Draghi, donne une conférence de presse lors du Sommet social européen à Porto le 8 mai 2021.
©PAULO NOVAIS / POOL / AFP

L'heure des comptes

Alors que les signes de l'impact économique de la crise sanitaire sont de plus en plus perceptibles à l'échelle internationale ou en France, l'un de nos voisins apparaît comme le maillon faible de l'Europe. L'Italie fait face à des difficultés sur le plan économique.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Alors que les effets économiques de la crise sanitaire commencent à se faire sentir, l’Italie est-elle le maillon faible de l’Europe ? Pour quelles raisons ?

Jean-Paul Betbeze : En fait, ce qui se passe est plus dangereux encore, car plus instable, atteignant notamment l’Italie, mais à partir des États-Unis ! Nous sentons ici, ou plutôt les marchés financiers sentent, les effets de l’atténuation anticipée de la crise sanitaire aux États-Unis surtout, plus les effets liés aux programmes massifs de relance, mis en œuvre aux États-Unis ! Les marchés financiers américains vibrent ainsi, depuis des mois, sur les effets inflationnistes des trois plans Biden, 6 trillions de dollars. Le premier plan, 1,9 trillion est en cours, accepté car il s’agissait d’éviter le pire, en pleine crise du COVID-19. Les deux qui suivent concernent les infrastructures et la formation, avec l’idée de forcer la reprise américaine, donc l’emploi, avec peut-être un risque de surchauffe. La Fed, par la bouche de Jay Powell son Président, a nettement prévenu qu’elle voulait 2% d’inflation en moyenne sur plusieurs années, sans plus de précision, et un plein-emploi bien répandu, sans plus de précision non plus. Dans cette période trouble, sans oublier la politique et la volonté américaine de rattraper l’écart de reprise avec la Chine, tout dépend donc du financement du déficit américain et des anticipations.

Donc les taux des emprunts publics en zone euro sont en réalité portés par ceux des États-Unis qui passent à 1,6% (contre 0,9% en janvier). Ils vont à -0,1 en Allemagne (contre -0,6% en janvier), +0,3% en France (contre -0,3%) et à 1,1% en Italie (contre 0,5%).

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Mais le pire n’est pas là : la Fed et le Trésor américains accrochent les taux longs américains et freinent leur montée, ce n’est pas le cas en zone euro. Il y a, ici, un problème de crédibilité. La Fed promet de continuer ses achats de bons du trésor, elle et le Trésor assurent que cette hausse de l’inflation est temporaire, donc que les taux n’ont aucune raison de sur-réagir au dernier chiffre d’inflation : 4,2% ! Alors, les taux réels (taux nominaux moins inflation) américains sont à -2,6% (1,6% - 4,2%), allemands à -2,2% (-0,2 – 2), français à -0,9% (0,3 – 1,2) et italiens à 0% (1 – 1) ! Toute la politique de la BCE visant à immuniser les taux de la zone euro et à réduire les spreads en son sein, en fonction des croissances et donc des risques de ses membres, est donc en question. Les plus fragiles sont les plus atteints.

Face à ce constat, la Banque centrale européenne ne devrait-elle pas faire en sorte de sauver l’Italie avant que la situation ne devienne trop critique pour limiter le coût du sauvetage ?    

Jean-Paul Betbeze : Sauver l’Italie, c’est sauver la zone euro : les deux sont liés. Quand, en juin 2012, Mario Draghi a dit qu’il ferait « whatever it takes » pour sauver l’Espagne, il savait que c’était la dernière digue à même de protéger l’Italie. Aujourd’hui, l’Italie est la plus exposée, mais l’Espagne n’est pas hors d’eau et la France rêve, en parlant politique.

Depuis des années, la BCE a travaillé à réduire l’écart de taux entre Italie et Allemagne, attirant des investisseurs, si et seulement si ce mouvement de réduction continue. Aujourd’hui il est inversé et ceci doit être combattu, pour revenir dans la stratégie d’intégration de la zone euro. En effet, depuis un an, les pays de l’Union ont décidé de mener une action conjointe de réformes et d’écologisation, avec un ensemble de programmes nationaux combinant crédits et dons, avec l’Italie comme première bénéficiaire. Mario Draghi, aujourd’hui Président du Conseil des ministres italien poursuit son « whatever it takes » chez lui. Aujourd’hui, la BCE n’a d’autre choix que de continuer son action et les pays européens d’accélérer leurs ratifications des accords. Ralentir pour obtenir plus (Pologne ou Hongrie par exemple) et vouloir payer moins (comme la Finlande) sont suicidaires.

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Quels sont les moyens d’action que la BCE pourrait et devrait mettre en place ?

Jean-Paul Betbeze : La BCE sait que la banque centrale allemande est réticente ou vent debout contre ce qu’elle fait. Vent debout contre un élargissement de ses missions, changement climatique et réduction des inégalités, plus bien sûr ses réticences aux achats de bons du trésor à des pays ainsi aidés, et qui ne font pas d’efforts de réformes (selon elle).

La BCE sait aussi qu’elle tutoie les règles qui la forcent à acheter des bons du trésor des pays au prorata de leurs parts dans son capital : 21,4% pour l’Allemagne, 16,6% pour la France et 13,8% pour l’Italie. Elle ne peut pourtant que continuer ses achats, continuer ainsi (indirectement) à assainir le système bancaire italien, à pousser à sa concentration et à soutenir les entreprises locales. Le rapport de forces.

En théorie, mais la politique est une autre chose, elle doit acheter plus, pour ancrer plus bas les taux longs et montrer aux marchés qu’ils font fausse route, comme fait la Fed aux Etats-Unis, où ça marche. Une banque centrale réussit par sa crédibilité et sa ténacité : « whatever it takes » ou, en français : le rapport de forces.

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