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Madonna, 56 ans et simulations sexuelles en scène : les icônes pop, bénédiction ou plaie du féminisme ?
©Reuters

Femme fatale

Accompagnée d'une dizaine de danseurs, la chanteuse a interprété pour la première fois "Living for Love" sur la scène des 57e Grammy Awards. Eloignez les enfants.

Elodie Laye Mielczareck

Elodie Laye Mielczareck

Elodie Laye Mielczareck est sémiologue. Elle est spécialisée dans le langage verbal (sémantique) et non verbal (body language). Elle conseille également les dirigeants d’entreprise et accompagne certaines agences de communication et relations publiques internationales, notamment sur la question de la raison d’être. Très régulièrement sollicitée par les médias, Elodie Laye Mielczareck décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est également conférencière et auteure.

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Françoise Picq

Françoise Picq

Françoise Picq est universitaire (science politique, université Paris-Dauphine). Elle a participé au mouvement de libération des femmes depuis 1970 et au développement des études féministes. Ses travaux portent notamment sur l'histoire du féminisme. Ses derniers ouvrages parus sont : Libération des femmes, quarante ans de mouvements (éditions dialogues.fr, 2011) ; Féministe encore et toujours (éditions Indigène, 2012)

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Sophie  Bramly

Sophie Bramly

Sophie Bramly a été photographe et est maintenant productrice de télévision. Elle est aussi créatrice du site secondsexe.com, un portail dédié au plaisir au féminin. Elle a publié avec le Professeur François Olivennes Tout ce que les femmes ont toujours voulu savoir sur le sexe et enfin osé le demander.

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Madonna a lors de la 57e cérémonie des Grammy Awards offert une prestation pour le moins chaude, simulant des actes sexuels avec ses danseurs. Un peu plus tôt, elle avait montré ses fesses sur tapis rouge.

Les icônes de la pop affichent une image hypersexualisée du corps des femmes : sexisme inversé ou intégré ?

Sophie Bramly : L’endroit où la femme a été prisonnière a justement été son corps, dont elle n’a pas disposé pendant des siècles. Arriver aujourd’hui, par l’affichage d’un corps dont elles disposent comme elles veulent et dont elles font ce qu’elles veulent est une revendication de liberté pour ces chanteuses. C’est le corps qui pose problème, on l’a vu lorsqu’une Tunisienne a voulu rejoindre les Femen : elle a immédiatement été menacée de mort par des extrémistes pour avoir montré ses seins. Cela prouve bien que l’enferment des femmes se trouve avant tout dans leur corps.

L’afficher avec une telle puissance sexuelle comme le font certaines chanteuses aujourd’hui, c’est ce qui participe le mieux à ce que les américains appellent "l’empowerment", ce pouvoir qui se prend et qui renforce l’individu. Ces chanteuses ont des corps puissants, massifs, solides, musclés, très loin des corps de brindilles des années 60 et du début de la libération sexuelle. Le corps féminin est un instrument de puissance, qui a, en plus, l'ambiguïté de ses organes génitaux : le corps féminin sert à la fois à la gestation et au plaisir. On peut montrer son sein pour allaiter son enfant mais pas sur scène, ce qui paraît totalement arbitraire.

Françoise Picq : Cette question a été largement débattue au moment de l’apparition des Femen. Ces jeunes femmes, belles, blondes, qui transforment leurs seins en armes, posent une question très complexe. A l’intérieur du mouvement féministe, il y a toujours eu des oppositions très fortes, entre des femmes très féminines et des femmes qui pensaient que, pour se libérer, il fallait se masculiniser. Au début du XXe siècle, déjà, on trouve deux grandes figures du féminisme qui incarnent cette opposition : d’un côté, Marguerite Durand, qui était une actrice blonde, magnifique, très riche, qui avait fondé le quotidien « La fronde » et, de l’autre, Madeleine Pelletier, qui était la première femme médecin, qui portait les cheveux courts et s’habillait en homme. Elle faisait profession de ne pas avoir de relation avec des hommes, mais elle n’était pas homosexuelle, elle était pour l’abstinence.

Etre star, c’est être constitué comme objet, par le regard de l’autre. Delphine Seyrig, qui était une star et une féministe engagée, a fait un film sur le sujet : « Sois belle et tais-toi ». Il y était question des stars et de leur rapport à l’image : elle le comparait à la prostitution. Les stars peuvent prendre part au mouvement, mais ne peuvent pas en créer un à elles toutes seules. Au départ du MLF, il y avait un certain nombre de femmes connues. Parmi la dizaine de femmes qui, le 26 août 1970, réalisent la première action du Mouvement de libération des femmes en déposant une gerbe à la femme du soldat inconnu, il y avait deux écrivains stars : Christiane Rochefort et Monique Wittig. Mais elles n’étaient pas seules.

Elodie Mielczareck : Il est contradictoire que ces artistes se revendiquent d'un quelconque féminisme puisqu'elles n'existent qu'à travers un corps calibré et construit pour répondre à des fantasmes masculins. Qu'elles soient indépendantes financièrement, socialement, etc., n'en fait pas pour autant des féministes. Elles sont juste un marqueur potentiel de l'évolution de la femme dans notre société. Le féminisme, qui ne peut-être un féminisme markété, fait sauter les lignes. Ces artistes suivent les lignes toutes tracées pour tirer leur épingle du jeu.

Pour dépasser cette contradiction, il me semble intéressant de regarder ce qu'il se passe actuellement. De façon sporadique, on assise à une redéfinition des genres : de plus en plus de femmes hyper musclées sont visibles dans les médias et dans la publicité, notamment celle de MAC qui dernièrement met en scène un corps féminin musclé à l'extrême dans une robe en cuir. Ces manifestations rendent visibles l'évolution du genre féminin. De façon ouverte, ce corps revendique la force, l'accessibilité au pouvoir, la capacité d'en découdre. Pour la première fois, le corps féminin empiète sur un domaine jusque-là réservé aux hommes.

Derrière les divas sexys, de redoutables femmes d’affaire : la pop, plus efficace que l’activisme ?

Sophie Bramly : Pendant des millénaires, la femme était tenue éloignée de la vie sociale, étant confinée à l’espace de sa maison. Simone de Beauvoir disait que la première chose indispensable aux femmes était leur indépendance économique, et que la question du désir se poserait après. Tina Turner, bien avant Madonna, a réussi par la force des poignets et par son corps puissant à se libérer de son mari violent et à bâtir un empire musical, et par cette réussite financière elle est donc forcément un exemple. Cependant, la crise économique est une catastrophe pour les femmes. On assiste à une remise en cause des avancées de leurs droits, on remet en cause l’avortement dans certains pays : cela envoie des signaux contradictoires et rétrogrades de la condition féminine.

Toute femme dont la réussite professionnelle est visible et qui est capable d’afficher le bien-être que cela lui procure fait partie d’un processus vertueux. Il est très difficile de définir ce qu’est le féminisme aujourd’hui en France. Dans d’autres pays du monde, les femmes sont incroyablement actives et visibles. Ici, on peut s’étonner du manque de visibilité et du manque de messages. Il est curieux que dans un pays qui se revendique toujours comme celui de la liberté et de l’égalité le mouvement soit si timoré. 

Elodie Mielczareck : Ces femmes ont compris les règles du jeu. Elles ont utilisé leurs corps comme arme de réussite sociale et financière, en suivant les codes imposés par nos sociétés patriarcales, en allant jusqu'à une certaine forme d'extrémisme dans le calibrage et la maîtrise de ce corps qui ne doit pas bouger pour correspondre au mieux aux fantasmes masculins (sport à outrance, régimes, chirurgie esthétique, etc.). Leur réussite est une conséquence, non le résultat, d'un engagement moral. Elles n'ont pas fait bouger les lignes. Elles sont juste des icônes de la société de consommation patriarcale.   

François Picq : La pop, plus efficace que l’activisme, sûrement pas. On peut être féministe de manière individuelle, choisir une façon particulière d’exprimer son engagement, comme le fait par exemple Beyoncé. Mais en tant que mouvement social, le féminisme ne peut pas se fonder sur la culture pop. Du point de vue médiatique, cela peut marcher, mais, politiquement parlant, ça n’a pas de sens. Quant au rapport du féminisme à la théorie, il faut rappeler que le point de départ du féminisme, c’est une rupture avec la théorie. Dans les années 70, la théorie marxiste du changement social était prédominante. Or les féministes ont décidé de parler d’elles, de leur vécu, pas de théorie. Aujourd’hui, une partie du mouvement féministe évolue vers la théorie. Je pense à ces jeunes chercheuses qui se rangent du côté du queer et de Judith Butler, qui se consacrent à la théorie de la différence des sexes. D’un autre côté, il y a des femmes qui travaillent sur le terrain, qui, à partir de leur vécu, mènent des actions contre le viol, le harcèlement sexuel, etc.

Les stars ne sont pas au départ des choses : elles n’interviennent qu’en réaction, a posteriori. Leur place dans la société les oblige à prendre position par rapport à ce qu’elles sentent monter chez les gens. Si, aujourd’hui, les vedettes de la pop mettent en scène le féminisme, c’est qu’elles ont entendu des arguments féministes qui les ont touchées.

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