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Madame de Merteuil nous explique comment quitter Macron
©LUDOVIC MARIN / AFP

Lettres

Et elle nous dit que nous avons le droit d’être inconstants

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

Voir la bio »

C’est finalement l’épître qu’a choisie Emmanuel Macron pour son annonce faite aux Français. Optant pour la sobriété formelle qu’impose l’actualité tragique, c’est par le truchement de la plume qu’il s’adresse à la Direction des Ressources humaines pour obtenir la prolongation de son CDD.

Après avoir rappelé le contexte apocalyptique dans lequel il lui fut donné d’officier : « Terrorisme, pandémie, retour de la violence, guerre en Europe (…) », c’est en toute modestie, que le candidat peut déployer son bilan.

Face à la sécheresse des caractères d’imprimerie, l’image fait cruellement défaut, le son aussi. Heureusement, l’imagination permet de suppléer à l’affaire : on voit et on entend alors le postulant défendre son mandat avec l’application d’un premier de la classe. Il déclame, la voix grave et saturée d’une émotion de circonstance ; en toge et la main posée sur le cœur : « Grâce au travail de tous, nous avons pu investir dans nos hôpitaux et notre recherche, renforcer nos armées, recruter policiers et gendarmes, magistrats et enseignants, réduire notre dépendance aux énergies fossiles, continuer à moderniser notre agriculture. »    

Sentant tout de même qu’il y va un peu fort en affichant ainsi dans sa missive un contentement de soi de nature à le desservir auprès du Responsable des Ressources humaines et qu’un peu de modestie ne nuirait pas à l’affaire, il se reprend alors : « Nous n’avons pas tout réussi. Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » Bon…

Mais, le contexte, est têtu mes amis. Aussi se sent-t-il tenu de l’évoquer une nouvelle fois : « Nous connaissons des bouleversements d’une rapidité inouïe : menace sur nos démocraties, montées des inégalités, changement climatique, transition démographique, transformations technologiques. » Mais … c’est pour mieux postuler, mon enfant : « Voilà pourquoi je sollicite votre confiance pour un nouveau mandat de Président de la République. » Mince, il s’accroche, le bougre.

Viennent alors les grandes, très grandes lignes directrices de son programme. Emmanuel Macron se garde bien sortir des banalités qu’il affectionne pour décliner des propositions concrètes : lutte contre les inégalités avec priorité donnée à l’école et aux enseignants, plus d’inclusion y compris pour le grand âge, retour au « travailler plus » soutenu par « une baisse des impôts pesant sur le travail et la production », enjeux pointés du développement des énergies renouvelables à combiner au nucléaire. Il s’agit aussi, et là on ne peut que louer l’adaptabilité du candidat qui flaire la demande, de « défendre notre singularité française (…) Une histoire, une langue, une culture, que lorsque l’on est français, on se doit de connaître, d’aimer, de partager. » Et le postulant d’ajouter, à toutes fins utiles : « Parce que le respect des lois n’est pas négociable nous poursuivrons l’investissement dans nos forces de sécurité et notre justice. » 

Vient la précision ultime de notre bateleur : « Bien sûr, je ne pourrai pas mener campagne comme je l’aurais souhaité en raison du contexte. » 

Passez, muscade ! Emballez, c’est pesé.

Et notre homoncule providentiel de conclure :

« Avec vous. Pour vous.  Pour nous tous. Vive la République ! Vive la France ! »

Il convient de répondre à la missive de notre prétendant et peut-être de lui signifier que nous ne sommes ni intéressés, ni convaincus par son offre, et là, nous séchons un peu. C’est pourquoi nous convoquons, pour plier l’affaire avec davantage de panache, Choderlos de Laclos et ses « Les liaisons dangereuses ».

Donnons donc la parole à Madame de Merteuil qui en son temps conseilla utilement le Vicomte de Valmont alors que pour lui l’heure de se défaire de la Présidente de Tourvel avait sonnée. Elle sut en effet lui proposer une lettre sobre et efficace qu’il n’eut qu’à envoyer à celle qui lui était devenue importune.

Voici un extrait de cette Lettre 141. Cette missive recèle, enchâssée en son cœur, une lettre- missile, d’une efficacité redoutable pour évincer un prétendant collant ou un postulant à un emploi qu’on aimerait recaler. Nous en donnons ici lecture, à toutes fins utiles : « Un homme de ma connaissance s’était empêtré, comme vous, d’une femme qui lui faisait peu d’honneur. Il avait bien, par intervalles, le bon esprit de sentir que, tôt ou tard, cette aventure lui ferait tort : mais quoiqu’il en rougît, il n’avait pas le courage de rompre. » 

C’est peu ou prou la situation dans laquelle nous nous trouvons avec Emmanuel Macron. « Son embarras, poursuit-elle, était d’autant plus grand qu’il s’était vanté à ses amis d’être entièrement libre (…) » Nous pouvons malheureusement nous reconnaître encore…

Suit alors l’annonce de la lettre de rupture proposée : « Elle lui fit parvenir sans aucun autre avis la Lettre qui suit, comme un remède dont l’usage pourrait être utile à son mal. » 

La France - Valmont serait donc bien avisée d’utiliser le patron proposé par ladite lettre pour répondre à Emmanuel - Tourvel. Il suffirait de la modifier à peine :

« On s’ennuie de tout, Mon Ange, c’est une Loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute.

Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.

Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un se soit fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.

Il suit de là que depuis quelques temps je t’ai trompée : mais aussi ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelques sortes ! Ce n’est pas ma faute.

Aujourd’hui une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.

Je sens que voilà une belle occasion de crier au parjure (…) » 

Si la teneur de la lettre de Macron-Valmont nous oblige à être, nous aussi, inconstants, ça ne sera pas de notre faute.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes

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