Macron / Milei : le match des discours à Davos pour ceux qui ont (vraiment) envie d’audace et de régénération<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de son discours à Davos au Forum économique mondial, Emmanuel Macron a occupé le rôle du capitaine « optimiste » d’une Europe plus forte, plaidant pour des réformes et une mutualisation des chantiers à mener.
Lors de son discours à Davos au Forum économique mondial, Emmanuel Macron a occupé le rôle du capitaine « optimiste » d’une Europe plus forte, plaidant pour des réformes et une mutualisation des chantiers à mener.
©Fabrice COFFRINI / AFP

Orientations politiques

L’audace et la régénération ne sont-ils pas plutôt à chercher dans le discours du président argentin Javier Milei à Davos avec la défense de l'économie de libre marché que dans les mots d’Emmanuel Macron ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : Lors de son discours à Davos au Forum économique mondial, Emmanuel Macron a occupé le rôle du capitaine « optimiste » d’une Europe plus forte, plaidant pour des réformes et une mutualisation des chantiers à mener. Sa vision et son audace, souvent qualifiées comme étant « libérales », ne sont-elles pas néanmoins extrêmement étatiques et sous l’emprise de carcans budgétaires ou économiques ?

Alexandre Delaigue : L’orientation politique et la stratégie économique d’Emmanuel Macron s’apparentent au néolibéralisme. Il s’agit d’un ensemble d'orientations politiques qui visent à considérer que le rôle de l'Etat est de faire en sorte que le marché puisse opérer. Cela conduit à faire des réformes visant à libéraliser le marché du travail, par exemple. Cela peut inclure une certaine dose d'autoritarisme contre d'éventuels manifestants qui protesteraient contre ce type d'orientation. L’action de l'Etat pour faciliter le fonctionnement du marché contient donc une certaine dose d'intervention. Mais cette stratégie et ce discours adopté par Emmanuel Macron n’est pas très audacieux. Il correspond à la politique qui est menée depuis 30 à 40 ans sur le plan économique avec une orientation néolibérale, avec des variantes et des différences selon les pays ou selon les époques. Le discours d’Emmanuel Macron à Davos s’apparente donc à un consensus. Il ne s’agit pas d’un propos particulièrement iconoclaste ou novateur.

Drieu Godefridi : Macron est un opportuniste talentueux. Je ne doute pas que certaines de ses inclinations fondamentales soient libérales, mais il ne les exprimera jamais que si cette libéralisation ponctuelle et partielle est conciliable avec sa vision pragmatique, notamment des limites de ce que la société française est prête à tolérer. Reconnaissons que, de ce point de vue, sa posture n’est pas simple, car le Français exècre l’État qui le taxe pire que n’importe quel autre État dans le monde, mais en même temps le Français lève constamment un regard suppliant vers ce même État, dont l’inaction lui paraît tout-à-tour incompréhensible ou scandaleuse et l’intervention profondément désirable. Cette conception messianique voire magique de l’État est évidemment inconciliable avec une société libérale, celle d’un État d’abord et avant tout abstentionniste, fort dans ses missions régaliennes, pompidolien par surcroît. La France est une démocratie et en démocratie, dans la durée, on a les dirigeants qu’on mérite. Macon l’étatiste libéral est à l’image de la France.

L’audace et la régénération ne sont-ils pas plutôt à chercher dans le discours de Javier Milei à Davos avec la défense de l'économie de libre marché que dans les mots d’Emmanuel Macron ?

Alexandre Delaigue :Javier Milei est une personnalité qui est scrutée avec beaucoup d’attention sur les réseaux sociaux. Il est perçu comme un libéral sur Internet qui a les mêmes types d'obsession et qui souhaite faire bouger les lignes. Milei est devenu le symbole de l’idéologie libertarienne sur Internet et qui déplorait le fait de ne jamais trouver de traduction concrète dans la réalité. Aux Etats-Unis, à chaque élection, il y a un candidat libertarien qui pèse très peu électoralement au pays du libre-échange et du libre marché. Les libertariens mettent notamment en avant la philosophie de l'intellectuel Murray Rothbard.

Les économistes plutôt libéraux se félicitent donc de certains extraits des discours de Javier Milei et du succès électoral de Milei. Certains économistes ont l’impression de voir le triomphe électoral d’un candidat qui partage des valeurs et des idées qu’ils défendaient depuis des années.   

L’idéologie libertarienne a de plus en plus d’influence à travers le monde, notamment au sein même de la Silicon Valley et sur les réseaux sociaux.

Drieu Godefridi : Milei ne nous paraît révolutionnaire que parce que l’Europe s’enfonce dans l’étatisme et une forme d’autoritarisme soft, qui a notamment pour nom Union européenne. De gardienne du marché commun — progrès de civilisation — l’UE s’est morphée en Cthulhu bureaucratique castrateur guidant les masses tenues pour stupides vers la ‘société zéro carbone’, ce songe totalitaire dément. Le discours de Milei est libéral au sens strict ; même s’il se revendique par ailleurs de la tradition libertarienne, Milei s’inscrit rigoureusement dans la grande tradition libérale qui va d’Aristote à Milton Friedman, en passant par Frédéric Bastiat et Friedrich Hayek. Des auteurs qu’il a non seulement lus, mais analysés et compris, ce qui est exceptionnel. En somme, Milei est tout ce que Macron n’est pas : un libéral dont les actes sont cohérents avec le discours, dans le contexte d’une Argentine pourtant épuisée par quatre-vingts années de collectivisme prédateur. Il y a du Thatcher et du Reagan dans cet énergique lutin joyeux espiègle Milei, mais sur un mode idiosyncratique, car nous avons là une personnalité authentique au sens de Sartre et d’Heidegger : il est manifestement lui-même — cfr. son émouvante conversion au judaïsme ! — et ne singe personne.

Son discours à Davos participe à son succès. Mais s’apparente-il à un véritable renouveau ?

Alexandre Delaigue :Il est vrai que l'idéologie néolibérale a évolué depuis les années 1970. A partir des années 1990, le néolibéralisme est devenu quelque chose de véritablement institutionnalisé à travers les discours prononcés à Davos et au sein des institutions internationales comme le FMI. Il y a alors eu des querelles sur la notion même de libéralisme et sur son authenticité. Le discours de Milei s’apparente à une forme de retour aux sources du néolibéralisme.

Entre les deux discours et les deux visions de Milei et de Macron, qui défend le mieux le modèle libéral ? Les arguments de Milei ne sont-ils pas plus forts que ceux d’Emmanuel Macron ? Javier Milei a notamment défendu le marché libre en démontrant, chiffres à l'appui, qu'il a sorti l'humanité de la misère. Milei a aussi dénoncé le socialisme, "un phénomène appauvrissant qui a échoué dans tous les pays où il a été expérimenté".

Alexandre Delaigue :Le discours de Milei est particulièrement rodé. Il va susciter des débats entre les économistes. Certains vont critiquer le libéralisme et d’autres, des libéraux, vont démontrer, avec des graphiques, comment le taux de pauvreté mondial a fortement diminué sur le long cours grâce au capitalisme.

Entre Macron et Milei, il est difficile de dire lequel des deux représente le vrai libéralisme. Emmanuel Macron ne se présente pas lui-même comme quelqu'un de libéral. Emmanuel Macron a tendance à se présenter comme le représentant du cercle de la raison.

Dans la pratique, depuis son élection, la politique d’Emmanuel Macron n’est pas extraordinairement libérale. Il n’a pas été très à l’écoute de ses opposants. Lorsqu’il y a eu des manifestations, il a eu tendance à rejeter les revendications, notamment sur les retraites. Cela s’apparente à un ajustement structurel. Cette stratégie serait bien utile pour l’Argentine de Javier Milei.  

Les ajustements structurels s’apparentent au programme du FMI des années 1990. Cela consiste à rétablir l'équilibre des finances publiques, à libéraliser certains domaines de l’économie, à supprimer des subventions d'Etat. Cela ne se distingue pas réellement du néolibéralisme le plus traditionnel.

Drieu Godefridi : Ne soyons pas trop sévères avec Macron, dont la vision est meilleure et plus claire que celle de nombre de ses prédécesseurs. Par ailleurs, sur le nucléaire, il a fait amende honorable et réengagé la France dans la voie nucléaire, qui est celle de son autonomie, à la fois économique, sociale et géopolitique. Reste que son opportunisme forcené, et sa peur de froisser l’opinion française, lui interdiront jusqu’à la fin de son mandat de prendre le chemin de réformes authentiquement libérales, c’est-à-dire la réduction massive de la pression fiscale, la réduction massive des dépenses publiques, et sabrer à la tronçonneuse dans les cascades de normes qui étouffent les Français, tout en restaurant l’ordre public (l’anarchie sanglante n’est pas la liberté). Les Français suffoquent, souffrent et subissent, mais ce n’est pas Macron qui viendra les libérer. Comme tant d’autres, Macron a peur du conflit réel, et n’en comprend pas la nécessité ponctuelle.

Quant à Milei, il rappelle une évidence : le libre-échange a hissé des milliards de nos semblables hors de l’atroce misère dans laquelle ils croupissaient, après avoir enrichi l’Europe et l’Amérique. Le collectivisme sous ses mille visages — dont les trois socialismes du XXème siècle : communisme, socialisme, national-socialisme — n’a jamais engendré que la pauvreté, la confiscation, le vol, la misère, et l’abolition de la liberté. Il n’existe aucune expérience socialiste, nulle part, jamais, qui ait enrichi la généralité des citoyens. Comme le rappelait Milei, les socialistes ne sont pas toujours des meurtriers, mais ils sont partout et toujours des voleurs au sens strict, qui se servent du marteau de l’État pour confisquer le bien d’autrui. De ce point de vue, le libéralisme de marché, de préférence combiné à la démocratie libérale, reste non pas l’un des meilleurs mais le seul outil de promotion de l’humanité et de l’individu en tant que tels. J’ai également noté, avec plaisir, des accents authentiquement randiens dans le discours de Mileil, tels la définition de l’entrepreneur comme le héros de notre temps.

Le discours de Javier Milei peut-il tout changer et valoriser le libéralisme économique, notamment en Europe ?

Drieu Godefridi : Tout changer, d’évidence, non ; revaloriser, sans doute. La liberté est l’identité véritable des Européens ; ce qui les distingue en tant que civilisation et dans leurs succès. La civilisation occidentale, que l’Europe a donnée au monde, est la seule qui fasse droit à la liberté de l’individu, contre les mille fantasmes collectivistes de tous les temps (écologisme, islamisme et résidus de socialisme, de nos jours). J’invite nos lecteurs désireux de redécouvrir la tradition libérale à lire The Road to Serfdom ("La route de la servitude"), par Friedrich Hayek.

Alexandre Delaigue :Cela semble difficile. Le libéralisme économique est une idéologie qui a eu un certain poids et de l'importance. Mais est-ce que les discours prononcés à Davos ont quelque chose à apporter face aux problématiques du moment ? Cela n'en donne pas l'impression. Les propos d’Emmanuel Macron ou de Milei ne sont pas réellement novateurs.

Ils souhaitent favoriser la libéralisation de l’économie ou du marché du travail ou bien encore la suppression du contrôle des loyers, mais ces idées datent des années 1970. Cela ressemble à de vieilles solutions face à un monde avec des problèmes qui sont d'une nature différente.

Si vous regardez les préoccupations des Français par exemple, la principale crise qui nous attend concerne le réchauffement climatique. Or, ce sujet n’est pas véritablement abordé dans ce type de discours à Davos. Les dirigeants n’ont pas grand-chose à dire sur les différents conflits, les problèmes géopolitiques actuels qui ont de lourdes conséquences économiques. Qu'est-ce que peut réellement apporter le libéralisme face à une situation où le canal de Suez est bloqué ? Certaines idéologies sont beaucoup plus petites que l'impression qu'elles donnent sur Internet. 

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