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Macron / Mélenchon : la guerre pour conquérir ces jeunes qui croient de moins en moins « au système » sera féroce
©Reuters

Ceux qui feront la différence ?

"Pour l'instant, c'est Macron qui a le point" a déclaré le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon sur France Info. La bataille pour gagner le coeur des jeunes n'est cependant pas terminée pour ce dernier et compte bien faire peser la menace d'un "péril jeune" sur le président.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico :  En revenant sur la contestation relative à la loi travail, Jean Luc Mélenchon a déclaré sur France Info : « Pour l’instant, c’est Macron qui a le point. Faut pas chercher à le cacher, parce que si on raconte des histoires, on n’est pas crédible. Sa réforme libérale, il se vante d’y être arrivé en cinq mois. Bon, il y est arrivé ». « C’est clair que si la jeunesse se met en mouvement, ça y est, c’est parti, mais ce n’est pas le cas ». Que révèle une telle déclaration du leader de La France Insoumise, notamment dans son rôle d’opposition à Emmanuel Macron ?

Vincent Tournier : On peut en conclure que, soit Jean-Luc Mélenchon est beau joueur et a le sens du fair-play, soit il se donne une nouvelle posture en se plaçant au-dessus de la mêlée, en devenant tout à la fois acteur et commentateur, en devenant celui qui distribue les bons et les mauvais points, ce qui est assez habile. En outre, il joue aussi la carte du langage de vérité, ce qui lui permet de transformer une défaite politique en victoire symbolique. Car sur le fond, on ne peut que lui donner raison : Emmanuel Macron a effectivement réussi à sortir indemne d’une passe difficile. La rentrée de septembre-octobre aurait en effet pu mal tourner pour lui, d’abord à cause de la réforme du code du travail, mais aussi à cause des tensions dans les universités. Or, sur ces deux points, les scénarios de crise ne se sont pas réalisés. La mobilisation contre la réforme du travail a été un échec retentissant (220.000 manifestants le 12 septembre, 130.000 le 21 septembre, à la veille de la publication des ordonnances, et finalement moins de 40.000 le 19 octobre) et les étudiants ont repris le chemin des amphis. L’horizon s’est donc dégagé pour le président. On note d’ailleurs qu’Emmanuel Macron a attendu le 15 octobre pour venir discuter avec les journalistes dans le cadre d’une émission organisée par TF1 et LCI. Jusque-là, il est resté relativement discret, renonçant même à la traditionnelle interview du 14-Juillet. Il est donc clair qu’il a préféré laisser le premier ministre et son gouvernement en première ligne. A partir du moment où nul mouvement social ou universitaire n’allait se déclencher, le président a pu reprendre la main. Ceci dit, le péril jeune n’est pas totalement écarté puisque le gouvernement vient d’annoncer des mesures (sur la sécurité sociale des étudiants, sur la réforme a minima de la sélection à l’université) qui sont visiblement destinées à apaiser les tensions dans un contexte universitaire rendu difficile à cause de la hausse des effectifs et du manque de moyens des universités.

Selon un sondage IFOP pour Atlantico du 14 octobre dernier, 48% des 18-24 ans adhèrent à l'idée qu'il "faudrait que la direction du pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s’exerçant sur le gouvernement." Un sentiment qui s'étend également à la question du capitalisme. De plus, en décembre 2016, la sociologue Anne Muxel déclarait, sur la base d'une grande étude, que 62 % des 18-35 ans se déclarent pouvoir « participer demain ou dans les prochains mois à un grand mouvement de révolte ». Ces conditions sont-elles favorables pour Jean-Luc Mélenchon ?  

Il faut rester prudent sur l’idée qu’une révolution est en train de couver. Dans les sondages, les gens se disent volontiers prêts à faire davantage que ce qu’ils font réellement. Cela dit, il est clair que le contexte actuel est tout aussi tendu qu’imprévisible. Mais la question est de savoir ce que veulent les Français : s’ils se disent prêts à descendre la rue, est-ce pour demander moins de libéralisme ou plus de libéralisme ? Veulent-ils plus d’Europe ou moins d’Europe ? Plus de démocratie ou moins de démocratie ? Le sondage IFOP montre que, contrairement à une idée reçue dans les cercles savants, beaucoup de gens, notamment chez les jeunes, sont devenus critiques sur la démocratie. On peut l’expliquer facilement. Beaucoup d’électeurs ont le sentiment que le pouvoir n’est pas efficace, qu’il ne débouche pas sur des résultats tangibles, ce qui peut les inciter à conclure que, finalement, autant transférer le pouvoir à des experts ou à un gouvernement autoritaire. C’est pourquoi les propositions de Jean-Luc Mélenchon concernant la réforme de la Vème République dans un sens plus démocratique ne constituent pas forcément le point fort de son programme. Emmanuel Macron, en assumant une certaine verticalité dans l’exercice du pouvoir, a une longueur d’avance.

De surcroît, il faut tenir compte d’un autre élément qui caractérise le contexte actuel : c’est le fait que les gens ont peur. On en parle peu, c’est quasiment un non-dit, mais c’est un point qui est pourtant évident et majeur : nous vivons une période terriblement anxiogène, non seulement à cause de la violence qui nous a frappé ces dernières années, mais surtout à cause de l’incapacité des dirigeants de bâtir un discours clair et cohérent sur les origines de cette violence et sur les solutions possibles.

Ces deux éléments (le besoin d’efficacité et la peur) créent à la fois un profond désarroi et de fortes attentes. Or, ces attentes ne débouchent sur rien car aucun débat de fond n’a lieu. Le débat public est euthanasié par une chape de plomb morale qui empêche de poser les bonnes questions.  

Dans un tel contexte, peut-on considérer que Jean Luc Mélenchon, pour espérer l'emporter, se doit de proposer une perspective réelle "de renversement de l'ordre établi" ?

Ce n’est pas évident car Jean-Luc Mélenchon doit trouver un équilibre entre la radicalité et la crédibilité : d’un côté, il doit apparaître comme le principal opposant au gouvernement, ce qui l’oblige à développer une posture très critique, mais de l’autre, il ne doit pas passer pour un aventurier ou un fanatique. C’est tout le problème de la gauche aujourd’hui : par quoi peut-on remplacer l’ordre établi. Quelles sont les options possibles ? Y a-t-il même des options ?

Un autre facteur pousse Jean-Luc Mélenchon dans le sens du réalisme, c’est qu’il n’a pas le poids politique suffisant pour prendre le pouvoir. Il doit donc essayer d’élargir son électorat du premier tour de 2017, notamment en direction des milieux populaires. C’est sans doute ce qui explique la posture très souverainiste qu’il a adoptée depuis quelque temps. Or, mettre l’accent sur le souverainisme est risqué car cela peut désarçonner une partie de son électorat, qui n’est pas forcément concerné par les thématiques de la nation et de la souveraineté. Il en va de  même pour son attaque contre le drapeau européen, menée au nom de la laïcité : la critique de l’Europe peut certes toucher l’électorat populaire, mais la critique au nom de la laïcité est plus clivante : s’agit-il de critiquer seulement la religion catholique ou toutes les religions, ce qui n’a pas du tout la même implication en fonction du public visé ?

Quels sont les risques de voir un tel projet échapper à Jean Luc Mélenchon ? De quelle manière ?

Pour l’heure, la position politique de la France Insoumise est loin d’être complément stabilisée. Jean-Luc Mélenchon bénéficie certes d’une conjoncture favorable depuis l’effondrement du PS, mais rien ne dit que cette situation va durer. Non seulement le PS peut se relever d’ici 2022, mais de plus, il existe un fort potentiel de mobilisation du côté de la gauche radicale. Pour peu que celle-ci parvienne à s’entendre sur un leader charismatique, et la situation de Jean-Luc Mélenchon pourrait vite devenir difficile. Bref, ce dernier peut être débordé tout autant sur sa droite que sur sa gauche, ce qui explique les difficultés pour définir une stratégie, dont témoignent les prises de position souvent contradictoires de son entourage.

Un élément joue cependant en faveur de Jean-Luc Mélenchon : c’est que le gouvernement actuel a tout intérêt à le maintenir dans le statut de premier opposant. D’une part, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon permet de contenir les risques de dérives gauchistes, d’autre part il empêche de constituer un pôle de centre-gauche qui pourrait être en mesure d’offrir une alternative au parti d’Emmanuel Macron. Finalement, chacun a besoin de l’autre, ce qui peut expliquer le petit jeu auquel Jean-Luc Mélenchon vient de se livrer en félicitant le président de la République : en se situant dans une sorte de duel chevaleresque, mais sans exclure toutefois l’invective et la condescendance, il cherche aussi à imposer sa propre crédibilité. Il reste à voir si le président lui retourne le compliment.

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