Lyon, capitale de la France qui résiste au wokisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Vue de Lyon et sa basilique, en février 2022
Vue de Lyon et sa basilique, en février 2022
©MAUD DUPUY / HANS LUCAS VIA AFP

Capitale des Gaules

Autrefois site de l'une des révoltes les plus importantes contre la Révolution française, Lyon est aujourd'hui devenue le centre de la réaction de droite contre le wokisme.

Alexander Riley

Alexander Riley

Alexander Riley est professeur de sociologie à l'Université Bucknell, chercheur principal à l'Institut Alexander Hamilton pour l'étude de la civilisation occidentale et membre du conseil d'administration de la National Association of Scholars. Sa newsletter Substack est disponible sur : https://alexanderriley.substack.com.

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« C’était l’époque de la croyance, c’était l’époque de l’incrédulité… c’était le printemps de l’espoir, c’était l’hiver du désespoir, nous avions tout devant nous, nous n’avions rien devant nous… »   

Charles Dickens

Dans son dernier livre, une étude malheureusement inachevée sur l’identité française, le célèbre historien Fernand Braudel parlait de la « bipolarité entre Paris et Lyon, qui est une structure constante du développement français », insuffisamment comprise. Cette distinction remonte très loin dans l'histoire du pays, selon l'argumentation de Braudel, jusqu'au moins au XIIIe siècle. Mais il n’est pas nécessaire de remonter si loin pour trouver un noyau important de la relation polaire entre les deux villes, représentatives globalement de deux manières de définir la France.

Paris est le berceau de la Révolution de 1789, ainsi que des autres bouleversements sociaux majeurs survenus plus tard en 1848, 1871 et 1968. Le Club des Jacobins de la première Révolution était à l'origine composé de Bretons, mais il s'est transformé en un corps de légende révolutionnaire. À Paris, les sans-culottes, qui étaient le lumpenprolétariat de Marx qui existait en marge des classes ouvrières décentes avant l'invention du terme, et qui apportaient la terreur et la violence de masse au soulèvement, venaient des banlieues parisiennes les plus dépravées. Paris est également le site de la Commune, cet exercice d'anarchisme radical de 1871 qui cherchait à entraîner toute la France dans le communisme. Marx considérait la Commune comme une première incarnation de la dictature du prolétariat et Lénine la voyait comme l'étalon de mesure de la première révolution bolchevique, espérant au départ seulement que sa révolution pourrait survivre aux deux maigres mois de folie collectiviste de son prédécesseur.

En revanche, Lyon a été le théâtre de l'une des révoltes les plus importantes contre la Révolution française dans sa phase la plus radicale. La ville a été présentée comme un terrible exemple par les dirigeants parisiens de la révolution après la répression de la révolte lyonnaise. L’histoire devrait être plus connue, en dehors de la France. La faction radicale montagnarde jacobine de Lyon était dirigée par le fanatique Joseph Chalier, qui s'était lié d'amitié avec Robespierre et d'autres, alors qu'il était à Paris au début de la révolution. Chalier a exacerbé les difficultés économiques de Lyon avec de nombreuses mesures communistes incompétentes et a annoncé son intention de suivre les radicaux parisiens en créant un tribunal révolutionnaire qui remplirait le Rhône d'ennemis de la révolution. Les citoyens lyonnais affamés se sont révoltés et lorsque Chalier a décidé de faire venir des unités de l'armée révolutionnaire, les insurgés ont pris le contrôle du gouvernement de Lyon.

Chalier fut guillotiné en juillet 1793, alors que la Terreur commençait à se propager à Paris. Quand les insurgés lyonnais comprirent que Paris installerait un autre Chalier, ils levèrent une armée de 10 000 hommes et déclarèrent Lyon indépendante de l'autorité révolutionnaire parisienne. Bien que ce mouvement lyonnais soit toujours favorable à la république, il était dirigé par un opposant royaliste à la révolution, Louis François Perrin, comte de Précy. Paris envoya des éléments de l'Armée des Alpes et, début octobre, ils bombardèrent Lyon pour qu'ils se rendent.

Alors que Marie-Antoinette est guillotinée à Paris, Robespierre fait dire aux Jacobins rétablis à Lyon qu'il faut « venger Chalier ». La ville entière, à l'exception des maisons des plus pauvres, devait être incendiée et le reste rebaptisé « Ville-Affranchie ». En novlangue révolutionnaire, Lyon serait transformée en « Ville Libérée ». Deux des révolutionnaires les plus radicaux parmi les Jacobins parisiens, Collot d'Herbois et Fouché, furent envoyés à Lyon pour se venger des habitants de la ville en plus de leurs maisons. Les restes de Chalier furent déifiés et, dans une fête perverse, transportés dans les rues de Lyon. Puis les exécutions ont commencé. Fin 1793, 2 000 Lyonnais seront guillotinés, fusillés en masse par des canons chargés de mitraille, et les survivants ensuite expédiés à coups d'épées et de pioches. Le souvenir de ces atrocités perdurera longtemps à Lyon.

A la naissance de l'ère moderne, « l'opposition Lyon-Paris » – la France de la foi et de la tradition contre la France de l'incrédulité et du changement révolutionnaire – était manifeste. Et il reste une différence entre Paris et Lyon dans la façon dont les personnalités politiques qui leur sont associées parlent de la politique culturelle française contemporaine. Même ce qui pourrait sembler un exemple trivial souligne cette distinction. En décembre dernier, il y a eu un match de demi-finale de la Coupe du monde de football entre l'équipe nationale française et celle du Maroc et les autorités ont annoncé que des forces de police étaient mises en œuvre en prévision d'éventuels troubles publics. La crainte était que les supporters de l'équipe marocaine originaires de ce pays et vivant actuellement en France en tant qu'immigrés ou descendants d'immigrés récents ne posent un problème important à l'ordre civil. 

Lorsque l'ancienne députée conservatrice à l'Assemblée nationale, Marion Maréchal, est interrogée sur les membres de l'équipe marocaine se qualifiant de « fierté du monde musulman » et exhortant les téléspectateurs à « se mettre du bon côté » en se convertissant à l'islam, elle a demandé sans ambages quelle aurait été la réaction du public si l'équipe espagnole s'était proclamée « la fierté du monde chrétien » et avait appelé à l'expansion de sa foi. Elle a souligné le problème de l'allégeance à la France chez les « binationaux » et a plaidé pour la nécessité de créer l'amour de leur pays chez toutes les populations immigrées. Malheureusement, a-t-elle noté, les institutions françaises ont abandonné ce projet, se livrant plutôt à parler sans cesse des horreurs du colonialisme, rendant ainsi pratiquement impossible le processus d’intégration déjà difficile.

Le traditionalisme français à Lyon

Maréchal est une personnalité politique connue dans son pays et à l'échelle internationale. Mais en 2018, après avoir quitté ses fonctions politiques, elle a étendu son intervention à la lutte culturelle plus large de la France. Elle est devenue co-fondatrice d'un nouvel établissement privé d'enseignement supérieur nommé l'Institut des Sciences Sociales, Économiques et Politiques, ou ISSEP. Le site choisi pour la nouvelle école était à Lyon. La devise de l'ISSEP est « Choisir de diriger », et sa mission est tout à fait cohérente avec cette devise : préparer une jeune génération dotée du sens des affaires et de la gestion nécessaire pour occuper des postes économiques et politiques de premier plan dans la société française, tout en l'enracinant culturellement dans une vision nationaliste française. De cette manière, ils seront prêts à défier l’élite mondialiste qui dirige actuellement le pays.

L’idée est d’utiliser les moyens des institutions éducatives pour créer une nouvelle élite patriotique capable de combattre une classe dirigeante considérée par les conservateurs comme insuffisamment ancrée dans la culture française. Un tel effort est profondément ancré sur le plan sociologique. Il s’agit d’un effort visant à retourner contre elle-même une composante réussie de la philosophie du marxisme culturel.

Le travail long, déterminé et finalement réussi de la gauche radicale à travers les institutions occidentales a été théorisé dans le premier tiers du XXe siècle par des penseurs révolutionnaires qui avaient tiré les leçons des échecs de la révolution marxiste en Europe occidentale. La figure centrale de ce mouvement, Antonio Gramsci, a produit une pensée abordant le problème de la conscience dans les classes populaires. Tant que l’idéologie capitaliste serait la seule vision enseignée dans les écoles et ailleurs dans la culture, aucune percée contre elle ne serait possible. Gramsci a proposé un effort des marxistes révolutionnaires pour infiltrer les institutions culturelles existantes afin de produire et de maintenir des institutions anticapitalistes, y compris des écoles. C’est la seule façon, affirmait-il, de permettre à la classe ouvrière de prendre conscience.

L’idée de la base culturelle de la domination bourgeoise était déjà présente chez Marx. L’idéologie allemande affirme clairement que les idées dominantes dans une société donnée sont les idées de la classe sociale dominante et le marxisme culturel a développé cette théorie, même s’il n’a pas réalisé les révolutions marxistes souhaitées par ses partisans. En France, comme dans une grande partie du reste de l’Europe occidentale, les idées fermement ancrées dans les principes marxistes d’organisation sociale – comme celle selon laquelle le capitalisme est fondamentalement une question de classes dominantes sur d’autres classes – constituent le pain quotidien de l’éducation publique. Cette orientation culturelle a été renforcée au cours des dernières décennies par l'idéologie de la culpabilité française pour la situation de ses anciennes colonies, impliquant à son tour la responsabilité du pays d'accueillir ouvertement autant d'immigrants que possible en provenance de ces anciennes colonies. Le féminisme aussi, et l'hostilité de la gauche contemporaine à l'égard de la famille « hétéronormative », occupent désormais une place solide dans le projet pédagogique de l'école française.

L’hégémonie culturelle d’extrême gauche au sein de l’élite culturelle française est implacable dans son hostilité au nationalisme français. Une récente série de podcasts de France Culture sur Jean-Marie Le Pen et son parti politique, le Front National (aujourd'hui le Rassemblement National), en est un bon exemple. Apparemment un effort pour détailler l'histoire du fondateur du Front National, la série profite en fait de chaque occasion pour attaquer le sentiment nationaliste français et le caricaturer comme étant dangereux et violent. En même temps, il défend sans vergogne l’extrême gauche, même sous la forme du communisme soviétique. Un segment de la série traitait de l'apparition de Le Pen en 1984 dans l'émission de débat télévisée grand public L'Heure de Vérité. Il a commencé son intervention en demandant une minute de silence pour « la mémoire des dizaines de millions de personnes mortes dans le monde sous la dictature communiste, et pour avoir une pensée fraternelle pour les millions qui se trouvent dans les camps et les goulags ». Le commentateur du podcast a qualifié cela de « virulentement anticommuniste ».

La crise de l’éducation française provoquée par la victoire culturelle d’un antinationalisme extrême est de plus en plus remarquée même au sein de la gauche française. Jacques Juilliard, un célèbre historien de la politique de gauche, a récemment lancé un appel passionné à un « nouveau patriotisme » dans Le Figaro . Son langage anti-élite est de ceux si souvent dédaignés par la gauche, tout comme le dangereux populisme de « l’extrême droite » : « La bêtise la plus difficile à combattre est celle des gens intelligents. »

En France, les promesses de la révolution culturelle de mai 1968 ont dégénéré en causes de mal-être et de déclin. Le sexe s’est effondré en genre, la libération des femmes est devenue un féminisme sécessionniste, l’antiracisme est désormais un racisme ouvertement identitaire et l’universalisme s’est transformé en division sans fin de la société via l’appétit pour une différence infinie. De plus, les effets délétères de la révolution culturelle s'étendent même aux domaines académiques STEM : Julliard a noté, avec exaspération, qu'au pays des géants mathématiques tels que Pascal, Galois et Poincaré, la France n'est désormais que 23ème dans le domaine STEM dans le monde, derrière une grande partie de l’Asie ainsi que le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Allemagne et la Pologne. La présence intellectuelle de longue date de la France dans le domaine des mathématiques est tout simplement en train de s'évaporer.

Aujourd’hui, au point culminant de la révolution culturelle, il semble qu’il y ait un pas au-delà de l’affirmation de Julliard sur la difficulté de combattre la stupidité des gens intelligents : si on donne suffisamment de place et suffisamment d’encouragement à ces idées, alors un moment viendra où il ne restera même plus aucune personne intelligente pour les formuler.

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