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LVMH rachète Tiffany : ce luxe français qui n’a pas besoin de la politique pour briller dans le monde
©JOHANNES EISELE / AFP

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Le secteur du luxe n’échappe décidément pas au mouvement de concentration qui touche tous les grands secteurs. De la technologie à l’automobile en passant par l’industrie, et donc aussi le luxe. Sauf qu’eux n’ont besoin de personne pour s’organiser. La saga du luxe français est un pied de nez aux préjugés de nos politiques.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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LVMH a donc confirmé le rachat de Tiffany & Co, pour 16,2 milliards de dollars ou près de 15 milliards d’euros. Le joaillier américain a fini par céder aux sirènes du leader mondial du luxe, qui a tout de même dû relever par deux fois son prix d’achat. 

Bernard Arnault peut se féliciter de racheter une nouvelle marque à l’aura internationale, celle des diamants et des bijoux en argent Tiffany qu’ont voulu toutes les femmes en regardant Audrey Hepburn en rêver dans Breakfast at Tiffany’s.

Après les rachats de Dior, Bulgari, Guerlain et tant d’autres au cours des vingt dernières années, LVMH va surtout renforcer ses positions dans deux directions : 

Un : sur le marché américain, qui était, toute proportion gardée, son maillon faible. 

Deux : sur le segment de la bijouterie- joaillerie où LVMH était encore relativement faible et notamment derrière son principal concurrent, Richemont. Cette acquisition est donc très complémentaire. 

LVMH était déjà champion des marchés du luxe. Il devient le roi du monde de tout ce qui brille. D’autant que la France renforce sa position. 

Les Américains ont fait pousser les Gafam( Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Les Français ont réussi un exercice au moins aussi puissant en développant les KOHL, c’est à dire l’addition de Kering, Hermès, L’Oréal, LVMH, auxquelles il faudrait raccrocher Chanel et Hermès qui sont largement présents dans le secteur du luxe. 

A elles seules, ces groupes représentent plus d’un quart des ventes mondiales du secteur du luxe. Dans un secteur en pleine croissance, qui croit de 4% par an selon le cabinet Bain & Company, quand les géants affichent encore plus, avec des croissances à deux chiffres de leurs ventes.

Le luxe français, en termes de chiffres d’affaires, d’investissements, d’impôts payés, d‘emplois en France, de profits et de perspectives se révèlent beaucoup plus important que l’agriculture, l’agroalimentaire ou même l’industrie automobile. Le rachat de Tiffany par LVMH sera même plus important que le rachat de Fiat-Chrysler par PSA. La consolidation dans le secteur automobile est importante pour l’avenir de l’industrie française, surtout à l’heure où Renault s’enlise. Mais le développement du luxe l’est encore davantage. 

Avec deux autres caractéristiques, le luxe français est difficilement de localisable à l‘étranger. Il consomme assez peu d’argent public, il émet assez peu de CO2, et il ne fait pas perdre trop de temps aux ministres du gouvernement qui n’ont pas à s’en occuper. Et heureusement.  

Le paradoxe dans cette affaire, c’est que les hommes politiques qui réclament à corps et a cri du made in France, des emplois français, du dynamisme à l’exportation, de l’innovation, n’aiment pas ni le luxe, ni les entreprises du luxe. N’est- ce pas François Ruffin ? N’est-ce pas Arnaud Montebourg ? 

Les entreprises françaises ont grandi toutes seules, sans la politique et souvent contre le pouvoir politique. Comme quoi ! 

Mais contre qui se bat LVMH dans la compétition mondiale du luxe ?

Selon le dernier classement « Global Power of Luxure Good 2019 » réalisé par le cabinet d’audit et de conseil Deloitte, voici le dernier top 5 en matière de géants du luxe ainsi que leur dernier chiffre d’affaires: 

  1. LVMH, Louis Vuitton Moët Hennessy Group, France, 28 milliards $

  2. Estée Lauder Compagnies, USA, 13,7 milliards $

  3. Compagnie Financière Richemont, Suisse, 12,8 milliards $

  4. Kering, France, 12,2 milliards de $

  5. Luxottica Group, Italie, 10,3 milliards de $

LVMH règne en géant incontestable, alors que Kering (Gucci, Balenciaga…) se bagarre avec Estée Lauder (Tom Ford, Michael Kors) et Richemont (Van Cleef & Arpels, Cartier, …).

En 6 et 7ème position d’ailleurs, on retrouve Chanel (mais la holding Chanel Limited est pourtant située à Londres) et L’Oréal.

En rachetant Tiffany & Co, c’est bien par une présence plus importante dans la joaillerie que LVMH tente de confirmer l’écart avec son concurrent direct, Richemont.

Ce mouvement de concentration dans le secteur du luxe est complètement rationnel, à cause de trois raisons.

D’abord, la plupart de ces marques de luxe ont une histoire vieille de plus de 100, 150 ans. Ce sont des marques avec des héritages auxquels le client adhère. De Tiffany, créée par Charles Lewis Tiffany qui, en 1838 à New York,  à l’origine rien d’autre qu’un magasin de souvenirs sur Broadway, à Thierry Hermès qui crée en 1837 une manufacture de harnais, en passant par Louis Vuitton qui fonde la marque de malletier en 1854. Chaque fois, une histoire, des origines et surtout un savoir-faire particulier pour entretenir un mythe.

Pourtant, avant 1950, chacune de ces entreprises reste cantonnée à son marché, qui est parfois un marché de niche. Il faudra attendre l’explosion du pouvoir d’achat pendant les Trente Glorieuses pour que certaines marques explosent. 

Ensuite, les marques ont grossi d’abord par rationalisation, en intégrant au fur et à mesure leurs fournisseurs, pour contrôler directement les matières premières et satisfaire l’exigence de qualité. C’est le cas de LVMH qui a beaucoup fonctionné comme ça, en rachetant des artisans dans chaque domaine, allant du cuir de crocodile au cadran de montre. Cela fait aussi marcher l’artisanat local et préserve la production en France : Hermès a 40 ateliers dans l’Hexagone, soit 4400 personnes ;  Louis Vuitton possède une vingtaine d’ateliers et plus de 3500 employés.

En tout, dans la filière, plus de 600 000 emplois directs et des emplois non-dit localisables.

Acquérir des marques pour « chasser en meute » et réaliser des synergies. Tous les grands groupes de luxe rachètent des marques locales bien implantées. En termes de réseaux de production, de distribution, de communication, la stratégie de la concentration permet de réaliser des synergies. Et permet aussi à ces groupes d’investir dans les technologies de demain, car le luxe n’est pas épargné par l’évolution du commerce et doivent aussi développer des expériences « phiales » pour leurs clients.

Le luxe en France, c’est une filière structurée et organisée pour affronter la mondialisation. Dès 1954, Jean-Jacques Guerlain crée le Comité Colbert. Ces 84 représentants du luxe français se réunissent régulièrement pour assurer la promotion du secteur et du luxe « made in France » à l’international. La filière luxe française est décidément une affaire qui roule.

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