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Prendre son temps devient synonyme de luxe
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Calme et volupté

L'homme occidental est plongé dans un environnement fondé sur l'alliance de la technologie et de la vitesse. Le luxe, cette capacité à se distinguer des pratiques de la masse, doit se démarquer de cet air du temps.

Cécile  Ducrot-Lochard

Cécile Ducrot-Lochard

Cécile Ducrot-Lochard est Consultante en développement durable, luxe et philanthropie.

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D

ans un processus d’invention de la distinction, l’espace et le temps retrouvés pourrait selon nous jouer le rôle d’un fer de lance, pour le développement d’un luxe responsable. Le mouvement slow est un signe des temps à ne pas négliger, loin de là : au contraire, voilà encore une source d’inspiration prometteuse ; les impacts de cette décélération choisie sont en phase avec le développement durable.

L’espace et le temps retrouvés sont du vrai luxe, qui fait de plus en plus d’adeptes, dans la gastronomie, le tourisme, la mobilité, la vie citadine, ou encore la salle de bains et le dressing-room… Le diagnostic de Jolanta Bak, présidente d’Intuition (société de conseil en innovation) est clair : parallèlement à la montée du luxe expérientiel correspondant à la recherche accrue d’émotions et de sensations mémorables, les offres slow sont l’avenir du luxe. Le luxe, c’est également avoir du temps libre, de l’espace quand on vit dans une grande ville, des services qui rendent la vie plus douce, des accès privilégiés là où les autres font la queue, des aides personnalisées pour évacuer le stress. Pour cette observatrice de l’air du temps, l’explication tient à l’hédonisme qui génère le désir croissant d’avoir sa petite part de luxe au quotidien. « On ne se sent plus coupable d’acheter le meilleur chocolat ou le meilleur thé pour soi-même ou pour des êtres chers. Il ne s’agit plus d’un luxe patrimonial, de démonstration de classe, il s’agit d’un luxe utilisé, porté et consommé, ici et maintenant. »

Le besoin de se recentrer sur des valeurs fondamentales et authentiques s’exprime ainsi à travers le mouvement Slow luxury. « Le développement durable, parce qu’il oblige le luxe à se dévoiler, crée la différence, remet à l’heure les pendules du luxe et creuse un fossé entre ceux qui jouent le jeu du futur et les autres, incapables de se poser ! Grâce à ce type d’engagement, le luxe gagnera une force, un respect qui seront l’oxygène de son avenir », prédit Christian Blanckaert, dans son livre cité plus haut. Se poser, voilà le maître mot des mouvements slow. Ils font l’éloge du long terme, cher au luxe et au développement durable.

Du « Slow food » au « Slow city »

Appliqué aujourd’hui à la mode, aux loisirs, etc., le Slow luxury est né en Italie ans le sillage du Slow food. Lancé par le journaliste italien Carlo Petrini à Rome en 1986, par opposition à l’ouverture d’un McDonald’s, apôtre du fastfood dans la ville éternelle, le mouvement a pris une ampleur internationale, grâce aux réseaux sociaux, et une légitimité très sérieuse avec la création d’une université des sciences gastronomiques à Pollenzo, près de Bra. L’éco-gastronomie prônée tend à faire découvrir ou redécouvrir des produits délaissés, valoriser les dîners entre amis, célébrer les saveurs du passé, authentiques autant qu’originales. La protection de l’environnement est l’un de ses leitmotive, ainsi que la convivialité « vraie ». La création de Slow city s’en est suivie, dans le droit fil du Manifeste de la ville de Bra, en 1999. Les villes signataires s’engagent à devenir « des havres protecteurs contre la frénésie du monde moderne ».

D’où des engagements tels que la réduction du bruit et de la circulation en ville, l’augmentation des espaces verts, l’incitation à la marche à pied, le soutien aux productions locales, la promotion d’un esprit d’hospitalité et de bon voisinage, l’éloge de la lenteur rimant avec respect de l’autre et de la liberté pour soi, grâce au temps et à l’espace retrouvés. Les valeurs sous-jacentes aux mouvements Slow nous ramènent à ce vers de Charles Baudelaire du poème « L’invitation au voyage », tiré des Fleurs du mal, que d’ailleurs les analystes d’Oddo Securities ont paraphrasé dans leur étude citée plus haut pour titrer leur étude RSE consacrée au secteur du luxe : « Là-bas tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

Naturalité et glamour : le « glamping »

À terre ou perché dans les arbres, mais sans conteste sous le sceau du luxe, le « glamping »  gagne du terrain, dans les déserts ou savanes du bout du monde, comme dans les campagnes françaises. C’est une belle piste de développement pour l’hôtellerie de luxe entrée ces dernières années en dissidence, à la recherche de sens et de proximité avec la nature, l’inconfort du bivouac en moins ! Cette tendance s’annonce forte, et prend le contre pied des clichés dont les campeurs sont affublés. Une étude présentée en mai 2010 par la Fédération Nationale de l’Hôtellerie de Plein Air (FNHPA) présente les tendances observées depuis 2007 dans le secteur. Fait étonnant : 36 % des campeurs sont d’origine cadres supérieurs, et le niveau d’étude des campeurs serait supérieur à la moyenne nationale. Ils sont aussi très mobiles (58 % d’entre eux seraient partis à l’étranger depuis 2005) et plébiscitent les hébergements trois et quatre étoiles.

Si l’hébergement luxueux en camps légers est déjà expérimenté par les amateurs de safaris en « tentes-lodges » au Botswana et en Namibie, la France a découvert récemment le phénomène, notamment au travers de la dernière initiative d’Alain-Dominique Perrin, mais aussi celle d’Alain Laurens et ses « cabanes perchées ». Il offre le « luxe des cabanes ». Ces dernières sont intégrées dans les branches de grands arbres, sans avoir à enfoncer un seul clou dans leur tronc majestueux. Elles sont plébiscitées par les plus grands hôtels, qui ajoutent cette expérience à leur offre de nuitées.

Dormir, manger et flâner « slow »

L’éco-hôtel spa Yves Rocher de La Grée des Landes, en Bretagne, dispose d’un restaurant dont le chef, Gilles Le Gallès, est un adepte du mouvement Slow food. Sa carte, à 80 % bio, privilégie les denrées locales et les savoir-faire culinaires du cru. Jacques Rocher, à l’origine de cet établissement explique son intention : « S’immerger dans la nature, faire corps avec elle, c’est réjouissant mais je voulais aussi que ce lieu puisse amener ses hôtes à une prise de conscience positive. Les oeuvres d’art qui agrémentent La Grée des Landes sont d’inspirantes introductions au questionnement sur notre impact sur la planète. » C’est donc dans le tourisme que les offres slow trouvent d’ores et déjà des applications remarquées.

Par exemple, Paul Canarelli a reçu le Prix Villégiature Paris 2010, qui récompense le « meilleur Resort d’Europe », pour son Domaine de Murtoli. Deux mille hectares préservés dans le sud de la Corse, près de Figari, entre mer et montagne, huit kilomètres de bords de mer avec petites criques paradisiaques, le maquis foisonnant de gibier : le décor du Domaine de Murtoli est planté. Dix-sept ans plus tôt, Paul Canarelli a hérité du domaine, à la mort de son grand-père, puis il l’a agrandi avec le souci de le préserver. Petit à petit, il a réhabilité des bergeries traditionnelles alentours pour créer un « hôtel éclaté ». Pour protéger l’avenir du lieu, où le temps semble n’avoir pas eu de prise, il a eu à coeur de rendre inconstructibles ses vastes espaces accueillants en parvenant à geler le plan d’occupation des sols. Le jury du Prix Villégiature Paris 2010 a salué Paul Canarelli pour son défi « d’allier hôtellerie et activités agricoles au sein d’une entreprise familiale ». Le site est conservé comme il y a deux siècles (présence de canards, gros et petit gibiers, etc.). L’authenticité se retrouve également dans l’assiette et la restauration s’approvisionne très localement (une caractéristique très slow) : Paul Canarelli s’attache à pérenniser des savoir-faire corses et à promouvoir une vingtaine d’artisans et producteurs corses d’excellente qualité. « L’authentique et le luxe, pour un enfant, c’est aussi de découvrir un veau qui naît, ou d’apprendre à faire le fromage de brebis, le bruccio.

On a trop eu tendance à s’éloigner des choses simples, à plus forte raison lorsque notre niveau de vie est élitiste », estime Paul Canarelli. Pour lui, le nouveau luxe, c’est l’espace, et c’est d’ailleurs ce que viennent chercher à Murtoli ses riches clients. Du beau tourisme qui n’est pas ostentatoire, mais authentique. Dans la mode aussi, le mouvement slow peut être appliqué. Un groupe comme l’Italien Ermenegildo Zegna se range sous la bannière de la Slow Fashion, par exemple. D’après cette marque de vêtements, cela implique non seulement des magasins où l’on laisse le client flâner, rêver, essayer à sa guise, mais aussi une grande attention accordée à la qualification et aux conditions de vie de la main-d’oeuvre, depuis celle qui récolte la laine à celle qui place le vêtement fini en rayon. Ses actions sociétales, comme la construction de puits, menées auprès des familles de Mongolie ou du Pérou qui l’approvisionnent en cachemire notamment, profi tent à un cercle de « locaux » plus large, à savoir aux agriculteurs voisins. Cette vision globale et respectueuse à la fois, « à visage humain », défi nit le mouvement slow.

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Extraits de Luxe et développement durable La Nouvelle Alliance, de Gilbert Collard, Eyrolles (Aout 2011)

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