Lutte contre les violences sexuelles : l’Eglise catholique plus exemplaire qu’on ne le croit<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric de Moulins-Beaufort, évêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France.
Eric de Moulins-Beaufort, évêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France.
©GEORGES GOBET / AFP

Un si long chemin !

La Conférence des évêques de France (CEF) réunie à Lourdes en Assemblée plénière, a opté vendredi pour de nouvelles mesures dans sa lutte contre les abus sexuels au sein de l'Église et notamment pour une compensation financière envers les victimes qui doit marquer sa volonté “d’assumer ses responsabilités”.

Bernard Lecomte

Bernard Lecomte

Ancien grand reporter à La Croix et à L'Express, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Bernard Lecomte est un des meilleurs spécialistes du Vatican. Ses livres sur le sujet font autorité, notamment sa biographie de Jean-Paul II qui fut un succès mondial. Il a publié Tous les secrets du Vatican chez Perrin. 

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Atlantico : La Conférence des évêques de France (CEF) réunie à Lourdes en Assemblée plénière, a opté vendredi pour de nouvelles mesures dans sa lutte contre les abus sexuels au sein de l'Église et notamment pour une compensation financière envers les victimes qui doit marquer sa volonté “d’assumer ses responsabilités”. Est-ce une décision inédite de reconnaissance et de dédommagement des victimes ?

Bernard Lecomte : Inédite ? Méfions-nous, sur un sujet aussi grave, des deux ressorts qui conditionnent les médias d’aujourd’hui : l’immédiateté et l’émotion. Les onze mesures annoncées ce vendredi par les évêques de France marquent une étape dans la lutte contre la pédocriminalité, certes, mais elles ne sauraient faire oublier tout le travail effectué, au début des années 2000, par les évêques américains, allemands… et français. Je renvoie à la brochure éditée par la CEF, tirée à 100.000 exemplaires et intitulée « Lutter contre la pédophilie »… en 2001 !

Les évêques de France, comme leurs collègues américains et allemands, ont suivi de près les efforts de l’ex-cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, pour prendre le problème à bras le corps, souvent contre l’avis de ses collègues de la Curie. « Que de souillures dans l’Eglise, et surtout parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! » lançait le futur pape au printemps 2005. Le prédécesseur du pape François n’a pas ménagé sa peine pour briser la loi du silence qui présidait, jusqu’alors, sur ces sujets.

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L’Eglise était bien seule, à cette époque, sur ce front complexe et, parfois, écœurant. C’est pour cela qu’elle a pris de plein fouet l’apparition d’un acteur majeur, indépassable, évidemment prioritaire, dans ce long travail d’introspection et d’assainissement : les victimes ! Quand le pape François est élu, en 2013, la donne a complètement changé : judiciarisation, victimisation, transparence, on n’en est plus à lutter « en interne » contre le fléau ! On l’a mesuré en France quand les victimes du père Preynat, à Lyon, ont traduit cardinal Barbarin devant les tribunaux.

Cette mesure est-elle l’aboutissement d’un processus visant à restaurer l’image de l’Eglise via le combat contre les abus sexuels et la pédocriminalité ? Quels en ont été les jalons ?

Il faut sans doute distinguer, sur ce point, l’Eglise en tant qu’institution et les catholiques eux-mêmes. La première a péniblement tenté de restaurer son image, comme le pape François lors de la grande rencontre organisée au Vatican en février 2019. Cette préoccupation est légitime, bien sûr. Mais les croyants eux-mêmes, au moins en Europe et aux Etats-Unis, ont opté massivement pour le soutien aux victimes. Les évêques ont bien vu, ces dernières années, que l’opinion publique les tenait responsables de l’omerta qu’ils n’avaient pas réussi à briser. Le pape Français lui-même, rappelez-vous, s’en est pris au « cléricalisme » des évêques, ce qui ne lui a pas valu que des encouragements dans certaines franges de l’Eglise…

Après avoir longtemps cherché à dissimuler à tout prix ces scandales, l'Eglise cherche-t-elle à adopter le comportement exemplaire qui lui a fait défaut ?

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Il est difficile de parler d’un « comportement exemplaire ». Certes, tant bien que mal, l’Eglise a montré la voie aux autres institutions concernées par les « abus sexuels sur mineur » : les écoles, les clubs sportifs, les chorales, les centres de vacances, etc. Un exemple : c’est le pape Benoît XVI qui a réuni, à Rome, en janvier 2012, les plus hautes sommités du monde médical et psychiatrique pour savoir si un pédophile pouvait être soigné ou non ! Or, curieusement, les évêques ont toujours fait preuve d’un « entre soi » réducteur, comme si l’Eglise n’était pas, dans la société française, un foyer de déviances et de scandales parmi d’autres. Même le succès du mouvement MeToo, même les affaires qui ont agité le monde culturel (Gabriel Matzneff) ou le monde du sport (Sarah Abitbol), révélant la dimension vertigineuse de ces phénomènes dans la société civile, n’ont poussé les évêques à élargir leur réflexion à toute la société. De leur côté, les médias ont du mal, eux aussi, à traiter tous ces sujets de façon horizontale, générationnelle ou sociétale. Comme s’il y avait l’Eglise d’un côté, et la société de l’autre !

Parmi les décisions de la semaine dernière, les évêques ont confirmé leur volonté de verser une « contribution financière » aux victimes de crimes pédophiles…

La réflexion est en cours depuis deux ans. Si elle a du mal à déboucher sur des actes précis, c’est pour deux raisons. D’abord, il n’est pas besoin d’être comme l’Eglise, « experte en humanité », pour savoir que ce n’est pas une somme d’argent qui guérira les personnes traumatisées par des agressions sexuelles : les discussions sur le montant des indemnités risquent d’être rugueuses. Ensuite, les évêques français veulent imiter, et c’est compréhensible, leurs collègues américains ou allemands… oubliant que ces Eglises-là n’ont pas été privées de leurs biens par la loi de Séparation de 1905, et qu’elles sont beaucoup plus riches que l’Eglise de France. Aux Etats-Unis, cette affaire a coûté à l’Eglise des milliards de dollars – que nos évêques seraient bien incapables de mobiliser !

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Que faut-il attendre du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), qui sera rendu public à l’automne ?

Ce rapport est attendu avec beaucoup d’impatience, car il sera porteur de révélations inédites. La commission a recueilli 6.500 témoignages, et sa publication fera sans doute très mal. Mais il faudra se garder, là encore, d’une lecture trop simpliste. On sait, par exemple, qu’en un demi-siècle, c’est-à-dire depuis 1950, quelque 10.000 victimes ont été agressées par 3.000 prêtres, ce qui est effrayant. Encore faudra-t-il rappeler qu’en un tel délai, 100.000 prêtres ont œuvré dans l’Eglise, ce qui ramène la proportion de prêtres pédophiles à environ 3 % de leur effectif. Ce sont exactement les chiffres auxquels étaient parvenus, il y a dix ans, les chercheurs du John Jay Collège de New-York, ou le sociologue américain Philip Jenkins. Il ne s’agit pas de minimiser les ravages de ce fléau, bien sûr, mais de le resituer dans une perspective historique : il est probable qu’on constatera une nette raréfaction, depuis les années 2.000, des crimes pédophiles au sein de l’Eglise de France. Ce qui est un des rares motifs d’espoir sur ce terrifiant sujet.

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