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Lutte contre la pollution atmosphérique : comment Pékin nous enfume
©Reuters

Bonnes feuilles

10 % de croissance valent-ils le sacrifice de 1,2 million de personnes chaque année ? Pour Pékin, la réponse est oui. Et il ne s'agit ici que des morts liés à la pollution atmosphérique. La perspective est d'autant plus effrayante que l'histoire écologique du XXIe siècle s'écrira principalement à Pékin. Extrait de "Pourquoi Pékin nous enfume ?", de Matthieu Timmerman, publié chez Hikari Editions (2/2).

Matthieu  Timmerman

Matthieu Timmerman

Matthieu Timmerman, l'auteur du livre, est un spécialiste de la politique asiatique, et plus particulièrement chinoise. Docteur en sciences politiques, anciennement professeur à l'IEP de Lille et à la Beijing Foreign Studies University, il travaille actuellement pour l'ONG Planète Urgence en Asie du sud-est.

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Le gouvernement a très vite saisi l’enjeu et, passé les premières annonces visant à réduire le rejet de ces particules dans l’atmosphère, il s’est attelé à désamorcer le noeud du problème : la crise de la transparence. Mi-février 2013, un mois après l’airpocalypse pékinois, le ministère de l’Environnement reconnaît l’existence de plus de 400 villages du cancer », en précisant que ces taux anormalement élevés de cancer sont la conséquence de l’utilisation de produits chimiques toxiques ayant causé la pollution de l’air et de l’eau. La déclaration est d’autant plus notable que les chiffres dépassent ceux auparavant publiés par Deng Fei, un journaliste hongkongais, qui en 2009 en avait répertorié une centaine 4. Et ce même ministère de diffuser ou d’admettre, parfois certes difficilement, les réalités de cette catastrophe écologique. Fin mars, c’est le coût de la destruction de l’environnement estimé à 230 milliards de dollars pour l’année 2010, à savoir 3,5 % du PIB chinois, qui est communiqué – un coût qui a été multiplié par trois en six ans. En 2004, le ministère l’évaluait en effet à 62 milliards de dollars. Dans la foulée, The Lancet, revue médicale britannique, présentait au cours d’une conférence à Pékin les résultats de son étude sur les causes de la mortalité dans le monde 5. Selon cette étude, la pollution de l’air en Chine serait à l’origine de la mort prématurée de 1,2 million de personnes en 2010. Une autre étude américaine, menée à partir de sources officielles chinoises sur la santé et la pollution entre 1981 et 2001, estimait quant à elle que les Chinois du Sud avaient une espérance de vie supérieure de cinq ans et demi à ceux du Nord – la raison invoquée étant les effets de l’utilisation massive du charbon et ses rejets dans l’atmosphère. La concentration des particules au nord de la rivière Huai (la frontière naturelle délimitant traditionnellement le nord du sud de la Chine) est 55 % plus élevée qu’au sud. Dans une projection effrayante, l’impact provoqué par cette dépendance au charbon sur 500 millions d’habitants du Nord serait, selon cette étude, la perte de 2,5 milliards d’années d’espérance de vie.

Il est inutile de multiplier les chiffres, on l’aura compris, la situation est tout simplement apocalyptique. Les enjeux sont à l’échelle du pays et les conséquences bien au-delà. S’y ajoute, comme toujours lorsqu’on évoque la Chine populaire, le caractère ultrasensible de la politique. L’airpocalypse a soulevé la question du besoin de transparence de la population à l’égard des problèmes environnementaux à un niveau jamais rencontré jusqu’alors. La seule comparaison possible serait peut-être les épisodes de scandales alimentaires, notamment celui du lait contaminé à la mélamine en 2008… Cette comparaison reste néanmoins limitée car la crise environnementale est une question de fond (et non un scandale, conjoncturel par nature) qui égratigne ou complexifie à l’extrême le contrat tacite passé entre le Parti communiste chinois et la population. Le ridicule des chiffres diffusés par l’API eu égard à ceux de l’AQI a forcé Pékin à opérer un réajustement. Aujourd’hui, les autorités chinoises font face à un dilemme : savoir où placer le curseur. D’un côté, la crise a montré que l’environnement, plus que tout autre point d’achoppement de l’équation chinoise, nécessitait de la transparence et une certaine dose de confiance vis-à-vis de l’action et de la parole du gouvernement – attributs qui ne caractérisent que fort peu le système politique actuel ; de l’autre côté, Pékin sait parfaitement qu’ouvrir la boîte de Pandore, ne serait-ce que sur le seul pan écologique, est lourd de dangers. Outre le caractére anxiogène de la situation, elle ne porte pas à considérer les fondements de la croissance actuelle comme durables.

>>>>>>> A lire également : Pékin nous enfume : pourquoi le drame écologique du XXIe siècle se nouera en Chine

Symptôme de cette ambiguïté, après avoir été longtemps dans le déni en qualifiant le smog pékinois de brouillard, avoir demandé à l’ambassade américaine de ne pas diffuser l’index AQI, Pékin s’est finalement résolu à admettre la réalité et à divulguer les taux de PM2,5 dans la capitale ; il s’est également pressé de les requalifier, les PM2,5 devenant xikeliwu (细颗粒物, matière de particules fines), manière comme l’écrit un commentaire sur Weibo, la plateforme chinoise de microblogging, de les « désintoxiquer ».

4 « Chine : un inventaire des villages du cancer », Courrier International, juin 2009.

5 « A comparative risk assessment of burden of disease and injury attributable to 67 risk factors and risk factor clusters in 21 regions, 1990–2010: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2010 », The Lancet, Volume 380, No. 9859, p.2224–2260, 15 December 2012.

Extrait de "Pourquoi Pékin nous enfume ?", de Matthieu Timmerman, publié chez Hikari Editions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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