Lutte contre la pauvreté, mode d’emploi : ce que nous ont appris les 15 dernières années<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
La lutte contre la pauvreté est l'objet de multiples études et de programmes de développement.
La lutte contre la pauvreté est l'objet de multiples études et de programmes de développement.
©Reuters

Études de développement

La lutte contre la pauvreté est l'objet de multiples études et de programmes de développement. Si ces dispositifs se concentrent d'abord sur les pays en voie de développement, les pays plus riches pourraient aussi s'en inspirer.

Pascaline Dupas

Pascaline Dupas

Pascaline Dupas est professeure assistante à l’Université de Stanford. Ses domaines de recherche sont la microéconomie appliquée et l’économie de développement.

Voir la bio »

Atlantico : Pour le plus grand nombre, la lutte contre la pauvreté reste une notion baignée de beaucoup d'idéologie, entre une approche "libérale" et une plus "progressiste". Or, Selon une récente étude « Graduation », la mise en place d’une politique multidimensionnelle serait la plus efficace. En quoi les mécanismes de la lutte anti-pauvreté ont-ils évolué au cours des dernières années ?

Pascaline Dupas : Vous dites "la plus efficace", ca n’est pas tout à fait correct. L’étude que vous citez suggère qu’une politique multidimensionnelle est efficace, mais on ne peut nullement conclure de l’étude qu’une telle approche est la plus efficace, ni même qu’elle soit nécessaire. En effet, l’étude ne compare pas plusieurs approches les unes avec les autres. Elle se contente d’évaluer un type de programme particulier, un programme lourd, relativement couteux et mis en place à petite échelle par une ONG (seulement 4 ménages bénéficiaires par villages, alors que les villages entiers sont pauvres). Ce que l’étude peut conclure c’est que le programme peut marcher (il ne marche pas toujours – c’est seulement dans 5 des 10 pays inclus dans l’étude au départ (voir note de bas de page numéro 10 dans l’article publie dans Science) que le programme a été un succès). Mais on ne sait pas s’il pourrait être mis en place de façon efficace par un gouvernement, et à grande échelle. On ne sait également pas si les effets perdurent à long terme – un an de suivi après la fin du programme, c’est bien, mais ca n’est pas suffisant. Dans les pays pauvres, beaucoup de ménages sont extrêmement pauvres une année, moins pauvre la suivante, puis retombe dans l’extrême pauvreté si la récolte est mauvaise ou si un membre du ménage tombe gravement malade. Il va être important de continuer à suivre les ménages de l’étude pour savoir si le programme les a aidé a sortir de ce cycle pour toujours.

Cela ne veut pas dire que les résultats de l’étude ne  sont pas encourageants. Au cours des 15 dernières années on a identifié des programmes simples et implémentables à grande échelle qui permettent d’améliorer considérablement la santé des pauvres, d’améliorer l’apprentissage scolaire de leurs enfants, d’améliorer la qualité de leur logement, de s’assurer qu’ils aient toujours de quoi manger. Mais ce qui est plus difficile c’est d’augmenter leurs revenus. Les programmes de microfinance se sont avérés dans l’ensemble beaucoup moins efficaces qu’espérés en termes d’amélioration des revenus, et donc ce qui est particulièrement encourageant dans cette étude c’est qu’enfin on découvre un programme qui a l’air d’améliorer les revenus. Mais le plus gros du travail de recherche reste à faire : quelles parties du programme sont-elles déterminantes ? Faut-il vraiment mettre tout le paquet, ou bien y-a-t-il un sous-ensemble clé qui suffit et qui peut être mis en place à grande échelle ?

Quels sont les apports les plus importants de votre de méthode de "l'évaluation aléatoire", basée sur une approche concrète, dans la lutte contre la pauvreté ? En quoi peuvent-ils contredire, ou affiner les résultats antérieurs d’une recherche plus théorique ?

La théorie est importante car elle fournit un cadre, elle limite le nombre d’hypothèses possibles sur ce qui pourrait être efficace. Mais il y a plusieurs théories possibles – autrement dit, il y a tout un tas de mécanismes qui peuvent être a l’œuvre, et la théorie seule ne permet pas de savoir l’importance empirique de chacun. Il est nécessaire de confronter la théorie aux faits, aux données, pour pouvoir faire le tri parmi les théories possibles et être en mesure de mieux comprendre les types de politique publique ou de programmes de lutte contre la pauvreté qui sont efficaces. Souvent la façon la plus transparente et rigoureuse de confronter la théorie aux données est de faire l’équivalent d’essais cliniques – mettre en place un programme pilote dans un groupe sélectionné aléatoirement et comparer les trajectoires des individus dans ce group « traité »  à un groupe témoin. Cette méthode revient en fait a « tester » une théorie.  Les deux approches (théorie et études de terrain) sont donc complémentaires : sans théorie, on risquerait d’inventer des programmes  qui n’ont aucune chance d’être efficace. Sans données, on est incapable de faire un choix informé entre les programmes possibles.

Quelles sont aujourd’hui les politiques publiques les plus efficaces en matière de lutte contre la grande pauvreté ?

La grande pauvreté est multidimensionnelle. Ce que l’on a appris au cours des 15 dernières années, notamment avec les travaux des chercheurs affiliés comme moi au Laboratoire d‘Action contre la Pauvreté (JPAL), c’est qu’essayer de tout régler d’un coup est sans doute trop ambitieux. Il est beaucoup plus facile de mettre en place des programmes ciblés qui règlent les problèmes un par un. Donc par exemple s’assurer que les enfants ne soient pas anémiques est une des premières choses à faire pour qu’ils puissent apprendre à l’école et ainsi devenir des adultes éduqués et productifs. Cela veut dire former les enseignants pour qu’ils puissent distribuer des traitements antipaludéens, des vermifuges, des suppléments vitaminés, si nécessaire, une fois tous les 6 mois.  Ce genre de programme de santé au sein des écoles est très peu couteux et très efficace pour améliorer la capacité des enfants à progresser. Un autre exemple c’est tout simplement donner de l’argent aux ménages pauvres. Plusieurs études ont montré que les ménages mettent les allocations ainsi reçues à bon escient – et que leur bien-être augmente dans le court et long-terme. Enfin, subventionner l’école….dans la plupart des pays pauvres, au-delà du primaire l’école est payante, ce qui veut dire que la majorité des enfants pauvres ne sont pas scolarisés après l’âge de 12-13 ans. Dans une étude en cours au Ghana, mes collègues et moi estiment que des bourses scolaires permettant aux jeunes (filles et garçons) d’aller dans le secondaire ont un effet considérable, six ans plus tard, sur leurs perspectives d’emploi, ainsi que sur l’âge au mariage et au premier enfant, leur santé, etc.


Les résultats de vos recherches ont-ils été politiquement suivis d'effets ?

Il est toujours un peu difficile de savoir si les changements de cap dans les politiques publiques peuvent être directement attribués à telle ou telle étude, mais dans l’ensemble oui je pense que mes travaux, ainsi que ceux de beaucoup de mes collègues au JPAL, permettent aux preneurs de décision de faire des choix plus informés. Nous faisons un effort particulier pour impliquer les gouvernements dans le choix des études à faire, ainsi que pour leur communiquer nos résultats.

La pauvreté est une notion relative, d'un Etat, ou d'un continent à un autre. Si le terme reste inchangé, l'intensité de la pauvreté diffère largement. Les divers enseignements tirés de vos études, notamment sur le continent africain, restent-ils applicables à la lutte contre la pauvreté dans les pays les plus avancés ?

Les circonstances sont différentes d’un Etat à l’autre donc le type de politiques publiques que mes études peuvent préconiser ne sont pas directement applicables dans les pays développés. Mais certains enseignements sont applicables. Par exemple, une de mes études sur l’efficacité des programmes de prévention SIDA chez les jeunes suggère que les messages qui préconisent uniquement l’abstinence ne marchent pas. C’est quelque chose que l’Europe a compris depuis longtemps mais c’est encore un débat aux Etats-Unis…. Un autre exemple concerne les classes de niveau. Les débats sur les classes de niveau ont tendance a se concentrer sur le fait qu’avoir des camarades de classe plus avancés peut tirer tout le monde « par le haut » et les classes de niveau empêcheraient ce mécanisme de jouer. Mais un enseignement de ma recherche sur cette question est que la motivation des enseignants est un paramètre très important à prendre en compte, et les classes de niveau, dans les contextes où elles rendent la tâche des enseignants moins impossible,  peuvent augmenter la motivation des enseignants. Ce que je veux dire par là : il est dans certains contextes plus facile de gérer une class de 35 enfants qui ont a peu près le même niveau qu’une classe de 35 enfants avec des niveaux très différents. Si l’enseignant n’a pas besoin de diviser son temps entre les niveaux, chaque enfant bénéficie de plus de temps adapté à ses besoins et les classes de niveau peuvent améliorer le niveau de tous. Evidemment cela requiert que les enseignants ne considèrent pas enseigner les niveaux « faibles » comme une punition et que le but du système soit d’améliorer le niveau de tous, et non pas de former juste une élite – une tendance, malheureusement, très française. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !