Lutte contre l’inflation : si vous cherchiez encore une preuve de la catastrophique erreur de diagnostic de la BCE, la voilà <!-- --> | Atlantico.fr
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La Banque centrale européenne demeure persuadée que l’inflation serait alimentée par une demande en surchauffe
La Banque centrale européenne demeure persuadée que l’inflation serait alimentée par une demande en surchauffe
©DANIEL ROLAND / AFP

Réalité économique

La Banque centrale européenne demeure persuadée que l’inflation serait alimentée par une demande en surchauffe. La comparaison des données entre États de la zone euro démontre pourtant une tout autre réalité.

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann est chef économiste dans un fonds d'investissement brésilien.

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Atlantico : Est-ce que l’inflation sous-jacente et d’autres indicateurs témoignent que l’analyse de la Banque centrale européenne d’une inflation portée par une demande en surchauffe est inexacte ?

Alexandre Lohmann : Finalement, la situation est complexe. Ce que j'ai principalement examiné, c'est ce qu'on appelle l'écart de production, c'est-à-dire l'hypothèse où l'économie fonctionne à son plein potentiel, équivalent à zéro. Ainsi, si nous sommes en dessous de ce chiffre, cela signifie que l'économie fonctionne en deçà de son potentiel, et si nous sommes en positif, cela indique un excès de capacité. En réalité, c'est ainsi que nous tentons de mesurer s'il y a une inflation de la demande ou non. En général, il existe plusieurs calculs selon les modèles. Mais quels que soient les modèles utilisés par la Banque centrale européenne ou la Commission, nous nous situons légèrement en haut de l'écart de production. Cela signifie que le PIB actuel est supérieur au PIB potentiel. Dans ce scénario, nous observons une inflation de la demande, c'est-à-dire que même si la demande n'est pas très forte, nous devons toujours l'évaluer par rapport à l'offre. Par exemple, en France, même si nous ne constatons pas une forte croissance de la demande, il y a des problèmes de recrutement dans certains secteurs, ce qui affecte les salaires. Dans le secteur de la restauration, dans certaines industries, il y a une pénurie et en fin de compte, c'est ainsi que nous devons essayer d'évaluer une éventuelle inflation dans l'économie. Il faut toujours prendre en compte les deux aspects. Parfois, nous nous concentrons uniquement sur la demande sans nous demander comment est l'offre. La situation de l'offre n'est pas nécessairement favorable, avec une baisse de la productivité. De nombreux articles ont été publiés à ce sujet dans la presse. Ainsi, effectivement, nous observons une légère inflation de la demande, mais selon les deux estimations, cette contribution peut être forte ou modérée. La grande question est de savoir si la hausse des taux doit simplement répondre à une inflation de la demande. Je ne suis pas sûr qu'il faille nécessairement établir un lien entre l'inflation de la demande et les hausses de taux. Par exemple, imaginons un scénario où l'offre est restreinte subitement en raison d'un embargo russe sur le pétrole ou le gaz. Dans ce cas, c'est une inflation de l'offre, mais pour faire face à cette situation, il faudrait réduire la demande, car il est difficile d'agir sur l'offre à court terme. 

Par le passé, lors d'une inflation et d'une crise énergétique, l'une des réponses était d'augmenter les taux pour réduire la demande. De même, les chocs d'offre, souvent liés aux matières premières, peuvent jouer un rôle important, bien que ce soit un sujet légèrement différent. L'un des moyens de réduire l'impact des chocs des matières premières est de valoriser la monnaie en augmentant les taux. Depuis que la Banque centrale européenne est plus active, le taux de change a augmenté, par exemple, nous sommes passés de 0,98 dollar pour 1 euro à près de 1,8 lors de la dernière observation, soit une hausse de 10 %. Cela signifie que malgré une inflation de l'offre qui pousse les prix à la hausse, la réaction de la Banque centrale européenne permet également de réduire certains aspects de l'offre grâce à une appréciation de la monnaie. Pour moi, la question n'est pas vraiment de savoir s'il s'agit d'une inflation de l'offre ou de la demande. Le véritable problème de la Banque centrale européenne est de savoir si elle réagit à temps. Une fois que l'inflation est déclenchée, il est extrêmement difficile de la maîtriser et de la ramener à un état normal. Par conséquent, elle a tendance à surréagir pour compenser sa réaction tardive précédente. Il s'agit donc moins d'une question d'inflation de l'offre ou de la demande, mais plutôt de savoir si la Banque centrale européenne est réactive ou non. 

En réalité, si l'on examine de près l'inflation, il semble que les chocs d'offre, en particulier dans le domaine de l'énergie et les contraintes post-COVID, aient largement contribué à l’inflation, n'est-ce pas ?

Cela donne une idée de la raison pour laquelle c'est ainsi. La distinction entre l'inflation de la demande et l'inflation de l'offre n'est pas forcément évidente, et nous constatons une inflation d'environ 0,75 point, ce n'est pas énorme. Comment les classer ? Et oui, si nous n'avions pas de choc d'offre, nous aurions une inflation beaucoup plus faible. En effet, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de choc de la demande, et si nous avions un choc de la demande, nous aurions une forte inflation. Enfin, s'il n'y avait aucun choc d'offre et seulement une forte inflation de la demande, nous aurions une forte inflation nationale, mais pas aussi élevée que celle que nous observons actuellement. Ce que nous constatons est vraiment une conjonction de facteurs qui ont permis à l'inflation de sortir de son cours habituel. Par exemple, il y a aussi un problème au-delà des données agrégées du PIB. Les observateurs scrutent l'IPC pour savoir s'il y a de l'inflation ou non. Le problème, c'est qu'en réalité, nous avons été confinés, donc nous avons beaucoup consommé de biens par rapport à d'habitude, et beaucoup moins de services. Ensuite, pourquoi vous mentionnez la valeur ? Donc, une partie de la demande de biens s'est dirigée vers les services. En fait, il y a eu beaucoup de fluctuations de la demande, même en tant que consommateur, le profil de la demande a beaucoup changé. Par exemple, pendant la pandémie, nous avons observé une forte augmentation des achats de nourriture en supermarché, car les gens dépensaient plus pour ces produits. Nous avons également observé une augmentation de la demande pour certains produits liés à la rénovation et à l'aménagement intérieur, car il y avait une forte demande dans ce domaine. Au-delà de la demande agrégée, il est également important de prendre en compte les fluctuations sectorielles. Cela a créé des pressions sur la demande, malgré le fait que l'ensemble de la demande agrégée ne se modifiait pas. Nous avons connu une croissance, nous n'étions pas au même niveau de demande lors de la reprise post-COVID, mais en raison des altérations dans la composition de cette demande, cela a pu créer des pressions sur la demande plus fortes que ce que les chiffres ne suggèrent. En ce qui concerne l'accord sur l'inflation en Europe, nous constatons que finalement, elle évolue de la même manière, c'est-à-dire que les courbes sont très similaires pour les pays au cœur de l'Europe et les pays en périphérie, même s'ils partaient de situations assez différentes auparavant. 

Est-ce que cela ne prouve pas justement que ce n'est pas seulement une question de demande ?

Après cela, il est évident que l'inflation est fortement influencée par l'évolution des prix de l'énergie et de l'alimentation, malgré le fait que l'on parle d'inflation hors énergie et alimentation. En réalité, il faut éviter d'avoir une vision trop simpliste. C'est un mélange à la fois de l'inflation de la demande et de l'inflation de l'offre qui ont provoqué cette crise inflationniste. Et maintenant ? Maintenant que l'inflation est bien ancrée, elle s'auto-entretient, ce qui signifie qu'il faudra une baisse de la demande et des prix des matières premières pour la faire diminuer. Ce n'est pas immédiat, c'est un phénomène qui s'auto-entretient et qui prend du temps pour se résorber.

À quel point est-ce que le diagnostic de la BCE en la matière est-il exact ?

En fait, selon les modèles que nous utilisons, cet outil de simulation peut donner des résultats plus ou moins forts. Ainsi, selon le modèle bleu, l'inflation de l'Allemagne est relativement faible, tandis que le modèle rouge la présente comme plus importante. Le problème, c'est que la Banque centrale est en retard. Par conséquent, elle sera probablement en retard à la fois au début et à la fin, ce qui signifie qu'elle pourrait augmenter trop rapidement les taux. Parce qu'elle ne peut rien faire. Si elle ne fait rien, il y aura une baisse de la monnaie qui accentuera l'inflation, donc elle est obligée d'agir. Le problème, c'est que l'impact sur la demande met du temps à se matérialiser, et l'impact sur l'inflation de la hausse des taux n'intervient que dans l'intervalle où elle est obligée d'augmenter ses taux. Il est fort probable qu'à un moment donné, nous réalisions que nous avons augmenté les taux trop rapidement, ce qui pourrait entraîner une récession. En fait, pour moi, c'est vraiment compliqué pour la Banque centrale. Son diagnostic, selon moi, est effectivement difficile, mais elle n'a pas le choix. Elle s'est mise dans une situation où, quelle que soit la solution, elle n'a pas de bonne option. Elle n'a pas voulu agir et a fermé les yeux sur une inflation qui était temporaire et qui a duré quelques mois, ce qui était un peu grotesque. Une fois que vous êtes dans cette situation, si elle arrête d'augmenter les taux, il y aura probablement une baisse de la monnaie et une reprise de l'inflation avec une augmentation des matières premières. Et si elle agit trop, elle prend le risque de provoquer une récession avec un impact relativement modéré sur l'inflation étant donné que la part de l'inflation due à la demande est faible. C'est un choix cornélien qui offre en fait deux solutions mauvaises.

Et est-ce que ça n’aiderait pas d'avoir un diagnostic qui soit un peu plus proche de la réalité pour faire des décisions plus éclairées ?

L'erreur du diagnostic était avant, c'est là que les dommages ont été causés. Maintenant, même si l'inflation de la demande est faible, nous sommes obligés d'augmenter les taux. Pourquoi cette obligation ? Pensez-vous qu'un retour à une monnaie à 1 $ serait une bonne chose ? Parce qu'au final, nous assisterons à une reprise de l'inflation et une hausse des prix du carburant. Je ne suis pas sûr que cela soit bénéfique pour l'économie, car les marchés s'attendent à ce que l'inflation régresse progressivement vers les niveaux souhaités par la BCE, ce qui maintiendrait les taux d'intérêt sous contrôle. Imaginons que la Banque centrale ne fasse rien et que la monnaie revienne à ces niveaux, peut-être pas aussi bas, mais qu'elle se situe autour de 0,80 ou 0,95 $. Dans ce cas, nous aurions une reprise de l'inflation qui serait plus durable et la perception des marchés sur la situation de l'inflation en Europe pourrait changer complètement. Les marchés pourraient dire "en fait, c'est vraiment plus durable que ce que nous pensions. Peut-être que cela va durer quelques années de plus." Il y a donc un réel risque de hausse des taux d'intérêt à long terme. En fait, il faut vraiment faire la distinction entre les taux d'intérêt à court terme décidés par la BCE et les taux à partir de demain, par exemple. Ce sont les marchés qui décident de les augmenter davantage que nécessaire à court terme, afin d'éviter que la partie longue de la courbe des taux ne s'envole. Le niveau de déficit est beaucoup plus élevé qu'en 2008, et c'est là le gros problème. Par exemple, la France emprunte à un taux de 2,887% cette année, alors que les taux de la BCE sont plutôt de 3,15%. Le taux d'emprunt de la France est donc inférieur, car le marché anticipe une baisse future. Si jamais le marché commence à croire que l'inflation va s'installer durablement, les taux pourraient baisser. Imaginez que le marché dise : "En fait, les taux d'intérêt vont rester stables sur 10 ans." À ce moment-là, le taux d'emprunt de la France passerait de 3,75% + 1 point de pourcentage, par exemple, à environ 4%. Ce serait une sanction directe.

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