Lundi noir dans les transports : SOS sortie par le haut de la crise des retraites <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Social
Lundi noir dans les transports : SOS sortie par le haut de la crise des retraites
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Mobilisation contre la réforme

Les syndicats continuent de se mobiliser contre la réforme des retraites. Laurent Berger, le secrétaire de la CFDT, a évoqué ses inquiétudes vendredi sur cette réforme qui pourrait "être plantée par le gouvernement". Une sortie, par le haut, de cette crise de la réforme des retraites est -elle possible ?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

Voir la bio »

Atlantico.fr : Vendredi, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger a témoigné de ses craintes de voir le gouvernement "planter la réforme des retraites" en ignorant les recommandations des syndicats. Une sortie comme un  ultimatum lancé au gouvernement. Mais face à un mouvement qui s'essouffle sans s'étendre, une sortie par le haut à cette crise de la réforme des retraites est-elle possible?

Chloé Morin : Laurent Berger se voit contraint de gérer les contradictions inhérentes à la posture du réformisme syndical qu’il incarne, et donc se maintenir sur la frontière parfois étroite entre compromis et compromission. Nous savons que dans le système Français du dialogue social, il n’y a pas ou presque jamais de négociation sans rapport de force; mais la CGT incarne mieux que La CFDT le “bras de fer” dans sa pureté. Laurent Berger doit donc sans cesse trouver les moyens de maintenir la pression sur le gouvernement sans pour autant se voir taxer de blocage constant comme l’est la CGT, et construire du compromis sans pour autant donner le sentiment à ses troupes d’avoir trahi leurs combats. C’est d’autant plus difficile pour lui que cet ultimatum n’est pas son premier - il a déjà menacé de claquer la porte de la négociation sur la question de l’âge pivot -, et que la force de ce genre de “chantage” s’épuise avec son utilisation répétée. 

La grande difficulté pour Laurent Berger n’est pas tant, à mon sens, qu’il aurait obtenu des concessions insuffisantes de la part du gouvernement; il est en effet difficile de jauger, lorsqu’on n’est pas spécialiste et compte tenu de la complexité du projet, si les concessions sont importantes ou non. Sa réelle difficulté est que dans l’opinion, tout se passe comme s’il n’avait rien obtenu du tout... En effet, les corrections consenties par le Premier ministre au syndicat réformiste n’ont en rien modifié la perception par l’opinion du projet de loi : les Français restent dans leur majorité fermement opposés à ce projet. En termes d’opinion, Berger n’a donc pas rempli sa fonction, il a aidé à fragmenter la base syndicale mais pas la base sociale de contestation. 

Dès lors, tout dépend ce que vous appelez “sortie par le haut” :
- s’il s’agit de rallier l’opinion à la réforme, je crains que plus aucune concession ne puisse réussir ce tour de force, tant l’opinion est figée. L’histoire permettra de juger si les Français considèrent cette réforme salutaire dans 2,5,10 ans,
- s’il s’agit d’aller au bout de la réforme, alors on sait bien que les institutions de la Ve République permettront au gouvernement de la mener à bon port, en dépit des 22000 amendements déposés par l’opposition. Bien que la majorité semble vivre une forme de lente hémorragie depuis quelques temps, avec quelques départs de députés LREM encore tout récemment, elle domine encore très largement l’Assemblee Nationale.
- s’il s’agit de trouver un accord avec les syndicats dits réformistes et d’éviter que la CFDT ne quitte les discussions, notamment dans la perspective des Négociations à venir sur le financement, il me semble que tout reste ouvert à ce stade et dépendra de la capacité des différents acteurs à faire un pas vers le compromis. Nous n’y sommes pas, et les positions à l’entrée de cette discussion sont très divergentes, mais cela relève en partie du théâtre traditionnel de la vie syndicale, qui veut que l’on force le trait et que l’on montre les muscles avant d’entrer dans l’arène, pour espérer obtenir le plus possible. 

De plus, l’équation budgétaire telle que proposée par le Premier ministre semble assez difficile à résoudre. Cela reste donc un point d’incertitude important.

Les syndicats ont appelé à une nouvelle mobilisation avec un "lundi noir" dans les transports. Jusqu'à quand les syndicats peuvent-ils tenir?

Malgré une persistance des grèves dans certains secteurs, et des cortèges de manifestants qui, bien que moins fournis, sont loin d’être ridicules, les médias donnent le sentiment d’un essoufflement. En effet on constate une disjonction croissante du récit politico-médiatique par rapport à celui, porté par les grévistes et les manifestants, mais aussi par une grande part de l’opinion, du conflit social. Or, on sait que le récit médiatique a pris une importance sinon écrasante, du moins majeure. De ce fait, si l’opinion continue peu ou prou à soutenir l’opposition à la réforme dans les mêmes proportions qu’au plus fort des manifestations et grèves, on peut avoir l’impression que le mouvement à quasiment disparu lorsque la loi est entrée à l’Assemblee nationale.

C’est normal, car notre système médiatique fonctionne par effets loupe et par angles morts. La difficulté est que si la contestation en venait à basculer totalement dans un angle mort médiatique - ce qui n’est pas le cas actuellement, mais nous pourrions en prendre le chemin, ne serait-ce que par lassitude des journalistes et commentateurs au bout de plus de 2 mois de conflit dur -, cela pourrait être vécu comme une négation, un mépris et une relégation insupportables par tous ceux qui, légitimement inquiets, se sont considérablement investis dans le mouvement. Et semer les graines d’un ressentiment qui continuera à couver, et pourra ressurgir à une autre occasion, pour peu qu’une nouvelle réforme vienne souffler sur les braises du sentiment d’injustice et de manque de reconnaissance. 

A mon sens, indépendamment des discussions avec les syndicats, le pouvoir aurait donc tout intérêt à finir de purger le débat, de la même manière qu’il avait commencé à le faire début 2018 avec le “Grand débat” (avant que ce dernier ne finisse par désespérer ses participants, faute de leur avoir laissé l’espace pour co-construire, co-mettre en œuvre puis co-contrôler les applications concrètes du débat en termes de politiques publiques). 

Malgré une défaite annoncée, la rue, menée par les syndicats, maintient une pression constante  sur le gouvernement. Une victoire à la Pyrrhus se dessine-t-elle pour l'exécutif ? Qu'est que le gouvernement peut désormais espérer gagner de cette bataille ?

La persistante même de ce mouvement, en dépit de chances très faibles d’aboutir au retrait de la réforme, dit beaucoup du climat social. Pour les jusqu’au boutistes (ou les persistants, selon l’opinion que l’on portera sur la réforme) ne s’agit plus de retraites, mais de quelque chose de plus profond : l’idée qu’ils se font de notre identité, de leur place individuelle dans la société et de la manière dont nous pouvons vivre et nous projeter ensemble dans l’avenir. 

Finalement, si tant de gens perdent des semaines de salaire et usent leurs souliers sur les pavés en chantant “À cause de Macron...” sur un air bien connu, ce n’est pas ou ce n’est plus pour défendre, comme on pourrait le croire, leurs petits intérêts égoïstes. C’est au contraire parce qu’à travers leur cas personnel ou celui de leurs proches, ils ont le sentiment - instinctif, plus ou moins théorisé Et intellectualisé - que cette loi vient toucher à ce qu’ils sont et la manière dont ils veulent vivre demain en société. C’est pour cette raison même que le gouvernement à tant de mal à reprendre pied dans le débat, et à trouver prise sur les arguments des opposants à la loi - une fois que l’on sort d’un sujet étroit et spécifique pour entrer dans le champs plus vaste du débat de société, il est d’autant plus difficile de convaincre que notre société est, comme on le sait, très fragmentée, et que par ailleurs la parole du gouvernement est frappée d’une défiance très large.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !