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LREM, cette coalition qui s’ignore
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

élections municipales 2020

Emmanuel Macron s'est exprimé hier soir devant 200 députés et sénateurs de la majorité, dans un contexte marqué par les conflits internes. Il a affirmé que "ce qui est mortel en politique, c'est la division."

Olivier Gracia

Olivier Gracia

Essayiste, diplômé de Sciences Po, il a débuté sa carrière au cœur du pouvoir législatif et administratif avant de se tourner vers l'univers des start-up. Il a coécrit avec Dimitri Casali L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017).

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Un sondage IFOP/ Fiducial pour le JDD et SudRadio publié dimanche donne Benjamin Griveaux et Cédric Villani au coude-à-coude (respectivement à 17 et à 15%) pour les municipales à Paris. Cette division du parti du Président de la République révèle-t-elle que LREM est une forme de coalition qui ne dit pas son nom ? Ou est-ce plus complexe ?

Christophe Boutin : La première chose à noter est je crois et la constante du vote en faveur d’Emmanuel Macron et de son parti dans la capitale. Rappelons en effet que Macron, au premier tour de la présidentielle de 2017, avait obtenu dans le département de Paris 35 % des suffrages exprimés – il était monté à 889,68% lors du second tour -, et que la liste emmenée par Madame Loiseau aux élections européennes, dépassant certes la seule République en marche, puisque le MoDEM y était associé, avait obtenu près de 33 % des suffrages exprimés (32,92%). Or, si l’on prend le sondage que vous évoquez, on constate que les scores conjugués de Benjamin Griveaux et de Cédric Villani montent à 32 %. La capitale confirme l'ancrage du parti présidentiel.

Peut-on pour autant parler comme vous le faites de « division du parti du Président de la République », et aller jusqu’à se poser la question de savoir si LaREM ne serait pas une coalition ? Certes, les deux personnages, Griveaux et Villani, symbolisent bien deux ralliements différents à Emmanuel Macron en 2017, ceux de l'apparatchik et du représentant de la société civile. Griveaux, collaborateur de DSK, a fait au PS une carrière d’élu local à Chalon-sur-Saône et, proche du directeur de Terra Nova, Olivier Ferrand, a su se rapprocher ensuite d’Emmanuel Macron pour obtenir un siège de député puis un poste de secrétaire d’État, d’abord auprès du ministre de l’Économie puis comme porte-parole du Gouvernement. On se souvient de son mépris pour les « gens qui fument des clopes et roulent au diésel » de la France périphérique, qui lui a peut-être valu de devoir être exfiltré de son ministère par ses services de sécurité le 5 janvier 2019, quand quelques Gilets jaunes en ont forcé la porte. Quant à Cédric Villani, le médaille Fields surfe sur son image de mathématicien médiatique qui, après avoir soutenu la candidature d’Anne Hidalgo en 2014, a choisi de s’investir dans le mouvement qui allait porter Emmanuel Macron à la présidence.

Deux origines différentes donc, et deux méthodes différentes : quand Griveaux, en bon apparatchik,  recherche le soutien des élus, dans son parti et au-delà - et a obtenu celui de l’UDI -, Villani contre attaque en recherchant le soutien des militants et des médias soucieux de fronder le candidat désigné pour se donner des airs d’indépendance. Différence de tactique enfin : si Griveaux entend gagner la bataille en élargissant le centre en capitalisant sur cette droite bourgeoise qui a rejoint aux européennes de 2019 un Macron qui avait restauré l’ordre public dans ses quartiers chics, Villani joue le trouble-fête qui bénéficierait de la vague de « dégagisme » et de la volonté encore largement présente chez certains de « renverser les tables », ce qui pourrait attirer des électeurs EELV ou des déçus de mélenchonisme indigéniste.

Mais plus que d’une division entre courants – ni l’un ni l’autre ne disposent de structures derrière eux -, qui traduirait le fait que LaREM soit cette « coalition » que vous évoquez, on peut se demander s’il ne s’agit pas de la tactique du « et en même temps » adaptée au mode de scrutin des municipales. Griveaux et Villani, dans des genres différents, peuvent on l’a vu rabattre des électeurs vers LaREM, et leur concurrence permettrait de voir quel est le réservoir le plus important. On pourrait alors ensuite en sacrifier un, espérant ainsi tourner en tête au premier tour pour surfer sur cet élan et l’emporter au second. Mais est-ce bien utile ? Même s’ils vont jusqu’au bout de leur démarche, c’est-à-dire au premier tour des municipales, le Président pourra toujours obliger à une fusion de leurs listes entre les deux tours. Ce seront alors les électeurs de EELV et LR qui seront les juges de paix des élections dans la capitale.

Olivier Gracia : Jouer sur les divergences dans le parti est une technique très habile pour mener une forme de grand rassemblement avant le 1er tour des municipales dans un second temps.

Benjamin Griveaux a fait un très mauvais début de campagne et Cédric Villani a su gagner le cœur et la sympathie de quelques parisiens. Il serait donc très habile que les deux mènent deux campagnes distinctes, fassent deux fois plus de bruit que n'importe quel candidat, avec à la fin un ralliement de Cédric Villani à Benjamin Griveaux.

D'ailleurs, on connait les liens de Cédric Villani et d'Emmanuel Macron : le premier doit au second toute sa carrière politique en tant que député et on imagine mal Cédric Villani se lancer pleinement dans la course si Macron lui avait formellement interdit de le faire. Quand Jean-Jacques Bourdin lui pose la question, durant sa matinale, Cédric Villani bote en touche, ne veut pas répondre, ne veut pas révéler les échanges avec Emmanuel Macron.

Cela laisse penser qu'il y a deux campagnes distinctes qui un jour vont fusionner et qui avec les voix cumulées vont former un front efficace contre Anne Hidalgo. Ce serait politiquement très habile de la part du Président de la République.

Sur la plupart des sujets politiques de la rentrée (lois de bioéthique, réforme des retraites, PLF 2020), des fractures au sein du parti semblent mises au jour. Comment expliquer que des mouvements distincts ne se structurent pas ?

Christophe Boutin : Dans Les Bronzés font du ski, Thierry Lhermitte répond à un Michel Blanc qui vient de lui dire : « Je ne sais pas ce qui me retient de te casser la gueule », « La trouille peut-être », ce que reconnaît son interlocuteur. Il y a beaucoup de cela dans la stabilité de nos partis politiques, et peut-être plus encore au sein de LaREM. Non que l’ineffable Gilles Le Gendre fasse régner la terreur dans les rangs du groupe parlementaire, ou que Stanislas Guerini – lui aussi, comme Benjamin Griveaux, ancien proche de DSK au PS – soit un délégué général de LaREM à poigne, mais nous arrivons bientôt à la moitié du mandat de parlementaires issus de la société civile et qui ont découvert les joies du pouvoir et de ses pompes. Une divergence d’opinion trop importante d’avec les orientations présidentielles peut se payer, soit cash – comme le prouve l’exclusion d’Agnès Thil pour ses propos sur la PMA -, soit à terme, par un refus d’investiture qui signifie bien souvent de perdre toute chance de retrouver son siège. Pour éviter cela, il faut disposer d’un ancrage local suffisant pour braver les foudres jupitériennes – mais combien d’élus LaREM en disposent-ils ?

C’est pourquoi les « fractures » sont menées par des provocateurs (et provocatrices) qui savent pertinemment jusqu’où ne pas aller trop loin et rester dans le rang, n’osant franchir certaines limites que lorsqu’ils se sentent soutenus par les médias : il est ainsi plus facile de critiquer la politique d’asile ou d’accueil des migrants que la PMA. Par ailleurs, elles sont principalement le fait d’hommes (et de femmes) qui espèrent ensuite être adoubés par ces mêmes médias et donc, grâce à leurs provocations finalement sans risques, bénéficier par cette notoriété acquise d’un poids plus important en interne. Mais le label EM reste encore indispensable et il leur faudra attendre encore un peu avant que leur propre marque ait une reconnaissance électorale.

Olivier Gracia : Quand Emmanuel Macron a créé son parti politique, sans colonne vertébrale idéologique, le seul vecteur de rassemblement de ce mouvement était le Président, qui est lui-même plein de contradictions et de paradoxes. 

Je ne parlerais par ailleurs pas de deux fronts idéologiques mais même de trois, quatre ou cinq. La République En Marche est éclatée mais elle est le reflet de ce modèle originel.

En revanche, pour les municipales, quand on regarde le cas de Paris, on ne peut pas dire qu'il existe de grandes différences entre Villani et Griveaux. On rentre dans un autre mécanisme qui est la guerre d'égos. Guerre d'égo qui a été initiée par le Président lui-même quand il a eu l'audace en 2017 de s'émanciper des partis politiques et de gagner l'élection que personne ne le voyait gagner. C'est exactement l'argument qu'avance Villani durant sa campagne. Il dit : "je suis conforme à l'identité de Macron et d'En Marche car je répète exactement le même schéma de conquête électorale."

Par conséquent, quand vous avez un parti politique avec des divergences idéologiques mais également fondé sur l'émergence de personnalités qui s'affranchissent des conditions de partis et d'appareil, cela donne évidement des fronts rebelles.

Quels sont ces fronts ? Il y a toute une partie libérale progressiste qui constitue la majeure partie d'En Marche et qui a le même ADN politique que le Président.

Après vous avez une sensibilité plus attachée aux vestiges du Parti Socialiste, qui a une conscience sociale qui peut manquer au gouvernement, et qui est évidemment attachée au bilan de François Hollande.

Vous avez aussi une partie libérale plus conservatrice même si elle est plus minoritaire : on peut la voir dans les divergences d'opinion sur les questions sur la PMA ou la GPA.

Il y a aussi, disons-le, une partie qui n'est affiliée à aucun mouvement, aucune idéologie, qui est là par pur pragmatisme. C'est l'enjeu d'En Marche car vous avez une partie pragmatique qui suit aveuglement le Président sans le contrarier et qui est là par vœu de suivisme. Il ne faut pas croire que chez En marche on a des artisans idéologiques : on a aussi des députés, des personnalités qui suivent le mouvement, littéralement.

Dans l'histoire du centrisme, une formation a été de ce point de vue assez différente : il s'agit de l'UDF, qui était une véritable coalition de partis indépendants, dont certains avaient des positions fort différentes (pensons par exemple à la présence en son sein de Philippe de Villiers et par ailleurs de démocrates chrétiens). Quel vous semble être la meilleure formule pour un ensemble idéologiquement hétérogène ? LREM se porterait-elle mieux en assumant d'éventuels courants ?

Christophe Boutin : Allons plus loin : l’UDF a aussi permis à des militants de la droite radicale de retrouver une légitimité, et l’on citera bien sûr les noms de Gérard Longuet ou d’Alain Madelin, siégeant à côté de démocrates-chrétiens ou de radicaux « valoisiens ». Mais l’UDF a toujours été plus un « parti de cadres » qu’un « parti de masse », une alliance d’intérêts électoraux, un parti d’élus plus que de militants – ce qui la différenciait à l’époque de la formation gaulliste. On ne pouvait pas ignorer les divergences idéologiques, mais on se contentait d’un « plus petit dénominateur commun », l’important étant de peser politiquement une fois réunis. Et pour déterminer ce « plus petit dénominateur commun », bien flou sur de nombreux points, on ne s’embarrassait pas des luttes de courants et de motions, comme celles qui agitaient le PS… du moins avant que le pouvoir n’y apporte plus de sérénité parmi les « éléphants » qui se le partageaient.

LaREM est-il idéologiquement divers ? Il ne semble pas. Le plus petit dénominateur commun est clair et s’incarne dans la figure jupitérienne et le roman de sa conquête du pouvoir, une figure derrière laquelle les élus, nous l’avons dit, doivent se rallier. Mais ce ralliement va au-delà du parti du président et s’étend à la majorité présidentielle. Car si l’on considère celle-ci, on trouve, en sus des anciens socialistes et des nouveaux venus fraîchement débarqués mêlés dans LaREM, des centristes, plus ou moins intégrés, plus ou moins ralliés, du MoDEM à l’UDI, comme des politiques qui, à l’instar de leur leader naturel, Édouard Philippe, entendent être encore « de droite ». Des alliés/ralliés qui, tous, demandent à chaque élection, en sièges, le prix de leur participation à cette majorité présidentielle – ou de leur non opposition -, mais qui seraient bien en peine d’exister seuls. C’est donc là qu’est cette coalition, réunie derrière un homme, mais vivant par et de cette réunion, et donc attentive à ne rien briser pour de bêtes considérations idéologiques.

Confiant dans ce qui fait sa force, on ne voit pas Emmanuel Macron demander aux élus de son parti ou de sa majorité – et moins encore aux militants – leur avis sur la mis en place des grands dossiers que vous évoquez - PMA, lois de bioéthique ou retraites -, toutes réformes pilotées par des technos et seulement amendées à la marge lorsque l’opinion s’en émeut (et encore…). On reçoit bien, mais c’est essentiellement pour convaincre du bien fondé de la politique menée et donner des éléments de langage communs. Et d’ailleurs, à bien y regarder, n’y a-t-il pas finalement consensus autour de la plupart de ces axes chez ceux qui disent représenter le « camp de la raison » et d’un Progrès qui peut seul nous sauver du chaos et de la lèpre populisto/nationaliste ?

Olivier Gracia : Il y a toujours cette tentative, que peu ont réussi, de former un bloc majoritaire au centre. L'UDF en est un exemple. Ce rassemblement lui a permis de gagner au début mais ne lui a pas permis d'être réélu par la suite. Le mouvement fédérateur s'est écroulé.

François Bayrou avait aussi à l'époque ce rêve qu'a réalisé Macron. Le problème en réalité, c'est que constituer un centre homogène est une excellente stratégie pour mener une campagne électorale, pour créer une forme d'enfumage mais lorsque le pouvoir vient à être exercé, c'est là qu'apparaissent les véritables divergences : à la fois les divergences politiques mais aussi les divergences de personnalité.

La force qu'a Emmanuel Macron, c'est qu'il est toujours incontestable dans son mouvement car même s'il existe différentes sensibilités politiques, on ne voit pas émerger des têtes pensantes pour ces différents fronts, ces différentes lignes.

Il n'y a pas une personnalité émergente pour la parité progressiste, ni pour la partie de centre-gauche ou de centre-droit.

Tout cela reste donc déstructuré dans le sens où le parti n'a aucun leader autre qu'Emmanuel Macron. Que ce soit parmi ses ministres, ses députes ou dans les instances dirigeantes d'En Marche on ne voit personne aujourd'hui qui aurait l'étoffe du Président de la République. Donc la question d'une confédération ne se pose pas.

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