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LREM a 5 ans : mais qui sait dire ce que le mouvement souhaite vraiment pour la France ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

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5 ans après sa création le parti fondé par Emmanuel Macron est en pleine crise existentielle. Il peine à définir son rôle aux côtés du gouvernement et personne ne sait vraiment dire sa réelle identité. Réponses.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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Atlantico : La République en Marche fête ses cinq ans. En un mandat, le parti présidentiel monté de toutes pièces par Emmanuel Macron est-il parvenu à se trouver une identité ? 

Christophe Bouillaud : A cette question, on peut répondre de deux façons. 

La première la plus simple et la plus évidente est simplement de rappeler que l’identité du parti LREM, qui s’appela d’abord En marche (EM), est exclusivement d’être l’instrument de la carrière politique d’Emmanuel Macron. C’est l’un des outils qui l’a porté à la Présidence de la République et qui lui a permis de disposer d’une solide majorité à l’Assemblée nationale depuis 2017. Et ce n’est que cela. Tout ce qu’on peut en dire de plus n’est que détails. Emmanuel Macron meurt demain, LREM n’est plus rien, même pas le comité du souvenir du grand homme trop tôt enlevé à l’affection des membres du parti, qui s’empresseraient en pareil cas d’aller chercher fortune auprès de quelque autre leader. 

La seconde, qui constitue l’envers de cette évidence, est que LREM a rassemblé des gens qui ont vu dans la création de ce nouveau parti prometteur une extraordinaire opportunité de carrière. Les premiers suiveurs d’Emmanuel Macron ne sont en effet qu’un groupe de jeunes loups du Parti socialiste qui ne se voient pas assumer les conséquences de la probable défaite de ce dernier en 2017 et qui veulent malgré tout continuer à faire une belle carrière en politique. En appuyant la candidature d’Emmanuel Macron et en participant à la création d’EM/LREM, ils ont pu accéder à de bien meilleurs postes que ceux auxquels ils étaient destinés dans leur ancien parti, surtout si ce dernier était relégué à l’opposition. Ils ont donc usé de cette aventure macronienne comme d’un extraordinaire coupe-file. A ce groupe des futurs dirigeants de LREM (les Guérini, Castaner, et Cie), il faut ajouter tous les ambitieux, parfois sans aucune expérience politique, qui se sont joints à l’aventure une fois Emmanuel Macron élu Président et qui ont réussi à se faire désigner par le nouveau parti pour devenir député. Dans la mesure où ce groupe, soit des dirigeants LREM, soit des députés LREM, bénéficie actuellement de tous les avantages du pouvoir, il n’a guère besoin d’une autre identité que celle-là. Ils ont réussi leur plan de carrière. 

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Bref, l’identité fondamentale du parti LREM, c’est de représenter la plus magnifique coalition de Rastignacs que la France ait connu depuis… Je ne sais pas en fait. Il n’y a guère eu auparavant dans l’histoire de France depuis 1789 de telle force politique dont le liant soit aussi visiblement l’ambition pure, l’arrivisme, l’opportunisme. D’une certaine façon, cela ressemble fort aux débuts du Second Empire, à cette différence près que le ‘souvenir napoléonien’ constituait alors au moins un semblant d’idéologie parmi les partisans de Napoléon III.  Cette nouveauté correspond en effet aussi à la disponibilité idéologique de toute une partie des personnes éduquées de ce pays. Les députés macronistes sont en effet en moyenne bien plus diplômés que le reste de la population française, mais l’expérience montre depuis 2017 et encore après 2020 que le pouvoir pourrait leur faire voter à peu près n’importe quoi. Leurs limites semblent inexistantes.  Ils ont une étonnante capacité à obéir. Elus sur un centrisme de bon aloi, ils finiront ainsi par voter sans rechigner des lois liberticides, qui inquiéteront les quelques vrais libéraux qui siègent encore dans l’une ou l’autre des deux Assemblées, ou qui seront censurées par le Conseil constitutionnel.  Et le quinquennat n’est pas encore fini… 

Atlantico : Si les positions de LREM ont fluctué au cours du mandat, son électorat aussi. Comment a-t-il évolué pendant les cinq ans de présidence d’Emmanuel Macron ?

Jean-Daniel Levy : C'est un électorat qui était plutôt situé à gauche en début de mandat. Depuis les élections législatives et de manière approfondie après les élections européennes, cet électorat s'est déplacé sur la droite en récupérant un électorat qui avait voté pour François Fillon et qui globalement se retrouvait derrière une politique qui n'avait pas forcément été mise en place par Nicolas Sarkozy. Plusieurs sujets ont fait basculer l'électorat LREM vers la droite notamment la loi Travail, Notre-Dame-des-Landes, la réforme du statut des cheminots... Pour 2022, les orientations que prend Macron en ce moment l'amènent également à récupérer un électorat plus de droite que de gauche.  

L'électorat favorable à Emmanuel Macron pense qu'il est un candidat capable d'être président de la République et qu'il arrive à incarner la fonction présidentielle. Il estime aussi, qu'on soit d'accord ou pas avec, qu'il mène des réformes et développe une action qui est en cohérence avec sa position de candidat à la présidentielle. Ces électeurs n'ont pas le sentiment qu'il navigue à vue, ils ont l'impression qu'il sait où il va.   

Il y a du reste peu d'attachement au parti LREM. Les personnes qui se déclarent proches de LREM sont celles qui apprécient Emmanuel Macron et vice-versa. Il n'y a pas cette différence d'attachement qu'on pouvait avoir à un moment entre le PS et François Hollande par exemple, ou l'UMP et Nicolas Sarkozy. LREM aujourd'hui n'existe pas en tant que tel. Il est toujours difficile pour une formation politique majoritaire d'exister mais ça l'est encore plus quand elle n'a pas encore produit de cadres qui sont identifiés.

Atlantico : Au niveau de sa vision de la société (identité, laïcité, séparatisme entre autres sujets), LREM a-t-il trouvé un créneau idéologique ? 

Christophe Bouillaud : Sur ce point, au niveau de l’idéologie officielle porté par Emmanuel Macron, il faut noter une nette évolution. Au départ, en 2016-17, le candidat prétend dépasser à la fois la droite et la gauche, en prenant à chaque camp le meilleur de chacun. Il s’allie logiquement avec un parti centriste, le Modem. Il entend aussi se situer essentiellement sur des questions économiques et sociales et laisser les « guerres culturelles » de côté. Il est donc libéral en économie, européen, prétend vouloir défendre le « modèle social français »,  il est ouvert à l’écologie. Du point de vue d’une comparaison européenne, LREM peut être classé alors comme un parti « libéral-libertaire » - c’est-à-dire libéral en économie et ouvert aux évolutions sur les mœurs, européiste bien sûr, et avec une touche d’écologie.

De fait,  dans l’exercice du pouvoir, le positionnement très à droite sur les questions économiques et sociales devient très rapidement évident, tout comme sur les questions écologiques (avec le départ de Nicolas Hulot à l’automne 2018). Surtout les électeurs, qui jugent sur pièces, ne s’y trompent pas. Les électeurs de gauche et écologistes désertent en masse, et les électeurs de droite se rallient. C’est donc évident à compter des élections européennes de 2019 et encore plus après les municipales de 2020, que LREM est clairement identifié par l’électorat comme un parti de droite, ce qui ne plait guère bien sûr aux « Républicains » qui se sentent étouffés par cette proximité. 

Les choses changent encore à l’automne 2020 : avant et surtout après l’attentat contre Samuel Paty, Emmanuel Macron engage résolument la France dans une « guerre culturelle » contre l’islamisme sur son sol. C’est le moment où les ministres d’Emmanuel Macron semblent tous se rallier à la vision de la laïcité telle que portée par le « Printemps Républicain ». On fait du Manuel Valls sans Manuel Valls, ce qui est sans doute rageant pour ce dernier. Les thèmes de l’extrême-droite, ainsi ripolinés d’une mention « républicaine » pour ne pas inquiéter outre mesure l’électeur modéré, sont dès lors repris et plagiés sans aucune honte, en essayant de maintenir la fiction d’une équidistance entre les extrêmes en dissolvant au passage « Génération identitaire ». 

Du coup, le positionnement, cherchant résolument une majorité à droite, se veut clairement libéral en économie, indifférent ou même désormais très hostile à l’écologie (qualifiée de « punitive », voire bientôt d’« islamo-gauchiste »), et « républicain » - pour ne pas dire « national-laïcard ».  Emmanuel Macron semble désormais penser que l’électorat, tout au moins celui qui ira voter en 2022, se retrouve majoritairement sous ces trois aspects typiques plutôt de la droite et de l’extrême-droite, et que l’électorat de gauche ou écologiste ne le concerne plus. 

On notera que ces évolutions à droite toute, d’abord sur l’économie, le social, puis sur les aspects culturels et écologiques, n’ont pas correspondu à une redéfinition du parti LREM lui-même. Il se contente de suivre la stratégie choisie par Emmanuel Macron. Les rares députés « marcheurs », un peu à gauche, de sensibilité écologiste, ou simplement au centre, qui n’arrivent pas à avaler les couleuvres n’ont qu’à dégager, et les plus dépités d’entre eux finissent en général par aller cracher le morceau chez Médiapart. 

Atlantico : Sur l’économie, comment peut-on définir la doctrine de LREM ? 

Christophe Bouillaud : D’une part, c’est la reprise des thèmes classiques du néo-libéralisme des années 1970-1980, repris sous le terme plus moderne tout de même de « Startup-Nation ». Malheureusement, en pratique, cela revient à favoriser les revenus du capital, quel que soit la manière dont ces revenus du capital sont acquis, en particulier avec une tendance à ne pas distinguer l’actionnaire et le rentier de l’entrepreneur, et l’on retombe aussi de fait dans les errements de la « théorie du ruissellement ». Sous couvert de préserver le « modèle social français », c’est surtout à une adaptation à la baisse des prétentions du salariat français que le macronisme organise depuis 2017, et cela au nom de la compétitivité de la France. La réforme de l’assurance-chômage que le pouvoir veut absolument acter cette année est une ultime illustration de cet ancrage dans une vision très datée de l’économie, très années 1980, où la flexibilité du marché du travail semble le remède universel. 

D’autre part, avec la pandémie de Covid-19, LREM semble avoir redécouvert les vertus du keynésianisme. Cependant, pour l’instant du moins, il n’y a aucune réflexion sur un usage plus offensif de ce dernier. On se contente d’indemniser, plus ou moins bien, les perdants évidents de la pandémie, mais on n’est pas capable de saisir l’occasion pour faire de l’investissement social ou de l’investissement physique. Le refus obstiné de créer un « RSA jeune » est typique de cet état d’esprit, où, par crainte de l’ « assistanat », on se refuse à penser en termes de sécurisation des parcours de vie de tous les jeunes. Pourtant, l’exemple des Etats-Unis avec leur capacité à aider directement tous les ménages devrait inspirer un parti soit- disant favorable à l’émancipation individuelle. 

Enfin, et c’est là l’aspect le plus troublant, au-delà de la doctrine, le macronisme au pouvoir ressemble souvent à une simple capture de l’Etat et de l’économie française par des intérêts particuliers. La liste des grands donateurs d’En Marche en 2016-2017 sera sans doute scrutée de près par les historiens de ces années. 

Atlantico : Sans ancrage local et avec des députés très acquis au président de la République, LREM a-t-il échoué à devenir un parti à part entière ?

Christophe Bouillaud : Pour répondre à votre question, il faut s’entendre sur ce qu’on appelle un parti. LREM a un financement public généreux, des militants, des élus.  Du point de vue légal et pratique, LREM est bel et bien un parti politique. Il a aussi des électeurs à la sociologie assez affirmée. Il représente bel et bien une tendance dans l’opinion publique, qui s’identifie à la personne d’Emmanuel Macron.

Par contre, il lui manque deux choses pour être un parti au sens ancien, ou ordinaire du terme. 

D’une part, à ce stade, son existence même dépend entièrement d’Emmanuel Macron. Ce dernier disparait de la scène politique, LREM disparait. Bien sûr, les hommes et femmes politiques qui sont actuellement des « marcheurs » essaieraient sans doute de continuer à faire carrière sans lui, mais sans doute sans l’étiquette LREM qui ne vaut absolument rien sans Macron. Et d’ailleurs, Macron lui-même compte bien se faire réélire sans trop dire qu’il est le candidat de LREM pour ne pas apparaître comme prisonnier de la sociologie (riche, diplômée, âgée, métropolitaine)  de ses plus chauds partisans. 

D’autre part, la vie démocratique interne de LREM n’est qu’un pur faux-semblant. Toutes les décisions d’importance y découlent d’Emmanuel Macron, et les dirigeants de LREM mettent en œuvre. Il y a bien sûr bien d’autres partis où le sommet décide de tout et où la base exécute les ordres dans la joie et la bonne humeur, mais LREM est pour l’instant comme une grande entreprise sous les ordres d’un PDG visionnaire, rien de plus, rien de moins.  On se trouve donc très loin de l’idée du parti comme étant lui-même une « petite démocratie ». 

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