LR face au vertige d'un poids politique non préparé<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le leader des Républicains, Christian Jacob, prononce un discours lors d'une réunion après les premiers résultats des élections législatives à Paris, le 19 juin 2022
Le leader des Républicains, Christian Jacob, prononce un discours lors d'une réunion après les premiers résultats des élections législatives à Paris, le 19 juin 2022
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Vers une alliance ?

Alors que la coalition du parti présidentiel Ensemble est arrivé en tête des législatives avec 245 sièges, loin d'une majorité absolue, et qu'un accord avec la NUPES ou le RN apparaît impensable, la seule alliance envisageable semble être avec Les Républicains. Dès lors, un contrat de la coalition à l’allemande ou une forme d’accord véritablement solide est-elle une nécessité ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Le second tour des législatives a placé Ensemble en tête, mais très loin d’une majorité absolue, les forçant à envisager une alliance. Puisqu’une alliance avec la NUPES ou le RN semble impensable, le seul scénario envisageable apparaît être avec Les Républicains. Au vue du manque (au moins 30 députés – peut-être plus d’une cinquantaine) pour la majorité absolue, un contrat de la coalition à l’allemande ou une forme d’accord véritablement solide est-elle une nécessité ?

Jean Petaux : Cette option semble la plus réaliste et la plus applicable à court terme. Avant de revenir sur celle-ci, quelles sont les autres ? Une première option  consistera à chercher à construire des « majorités de circonstance » au cas par cas et au coup par coup, en fonction des projets de loi inscrits à l’ordre du jour du Parlement. Il s’agit d’un travail d’orfèvre qui nécessite une aptitude aiguë au « bargaining » et à la « négociation permanente ». Or si Olivier Véran, actuel ministre des Relations avec le Parlement a été confortablement réélu dans sa 1ère circonscription de l’Isère (Grenoble-Meylan), il faudra bien plus que son talent de « parlementaire déjà capé » pour conduire une telle politique. Guy Carcassonne, éminent constitutionnaliste, conseiller parlementaire de Michel Rocard à Matignon entre 1988 et 1991 a raconté avec précision  l’intensité de son travail de « couloiriste ». Et encore à l’époque pouvait-on utiliser « autant que de besoin » l’article 49-3 de la Constitution (adoption d’un texte de loi sans vote si une motion de censure déposée était rejetée) alors que la réforme constitutionnelle de juillet 2008 en a considérablement limité désormais l’usage. Deuxième option : ne rien faire de réellement « clivant » pendant une année et se retourner vers le peuple, lorsque le délai constitutionnel l’autorisera,  pour rendre les Français arbitres de la situation politique bloquée : dissolution de l’Assemblée par Emmanuel Macron en actionnant l’article 12 de la Constitution. Pari très risqué qui peut fort bien se « retourner » contre celui qui aura appuyé sur le bouton, le président de la République lui-même. 

Reste donc la solution que vous évoquez. L’ennui c’est que la construction d’une coalition de gouvernement, « à l’allemande » comme vous le dites fort bien, n’est absolument pas dans la culture politique ou parlementaire française. La seule alliance possible serait en effet avec Les Républicains mais ceux-ci vont avoir un niveau d’exigences considérables puisqu’ils vont détenir la « clef du coffre » de la majorité parlementaire. Par ailleurs la coalition « Ensemble » est, elle-même, composite et diversifiée. En son sein le parti du Président, « Renaissance » (ex-LREM) est certes majoritaire (c’est même, hors coalition, le premier parti de l’Assemblée disposant sans doute de  145 à 150 sièges), soit entre 60 et 70 de plus que LFI et le RN, séparément, mais il n’est pas dit du tout que les « alliés » de LREM, autrement dit le MODEM (qui a, relativement, beaucoup moins perdu du sièges que LREM) ou le « nouveau parti » d’Edouard Philippe, « Horizon », aient envie, tous les deux, de « partager » la « couche » majoritaire avec « l’ennemi d’hier » (voir « héréditaire » pour le MODEM) que constitue LR.

A quel point LR est-il piégé dans une situation, sans ligne claire et sans leader, où il lui sera difficile de clarifier sa position vis-à-vis de LREM ?

Actuellement le parti qui est le plus « piégé » c’est quand même celui qui a le plus perdu (pratiquement un député sortant sur deux) : La République En Marche. On peut même dire qu’il est presque « décapité ». Si Stanislas Guérini, « numéro 1 » de LREM a sauvé « sa tête » d’extrême justesse dans la 3ème circonscription de Paris (51% des SE), deux de ses fondateurs « historiques », d’ailleurs « ex-socialistes » (ce n’est pas fortuit) : Castaner et Ferrand ont « explosé » dans leurs circonscriptions respectives.  Le président sortant de l’Assemblée nationale battu pour une nouvelle législature, cela ne s’est jamais produit depuis 1958 à ma connaissance. Même après la dissolution catastrophique de l’Assemblée en 1997, Philippe Seguin, président sortant, qui, consulté, comme le stipule l’article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958, et qui avait donné un avis négatif à Jacques Chirac, avait été réélu député des Vosges (1ère circonscription) avant de perdre le « perchoir » le 12 juin 1997 au profit de Laurent Fabius. Non seulement le président Richard Ferrand est battu mais le président du groupe parlementaire LREM, Christophe Castaner, est aussi éliminé des travées de  l’Assemblée nationale. Cela va être compliqué, pour Emmanuel Macron et son équipe, de reconstruire sur de tels décombres. 

En revanche il est vrai qu’une nécessaire clarification s’impose à LR : comment se situer désormais ? Négocier une coalition, y compris en mettant très haut la barre des exigences vis-à-vis de coalition Ensemble est, certes une option possible. Mais pour faire quoi ? Quelle politique ? Est-ce que ce sera pour porter la coresponsabilité de mesures politiques impopulaires synonymes de désaveux à venir de ce qui leur reste comme électorat ? Est-ce pour « co-gouverner » le pays ? Et cela sous l’autorité d’un Président de la République que les « caciques » de LR exècrent. Et cette détestation va bien au-delà de personnalités qui n’ont aucun intérêt à une telle alliance comme Laurent Wauquiez, Eric Ciotti voir Xavier Bertrand. En tous les cas les propos très durs que Jean-François Copé a tenu à l’égard du Président Macron sur les tréteaux des plateaux télés le soir du second tour augurent mal d’un accord prochain et rapide.

Qui a aujourd’hui la légitimité pour parler au nom de LR afin de négocier une potentielle coalition ou un « un pacte de gouvernement » ?

Pas grand monde en dehors de quelques « grands élus », la plupart soit à la tête de « fiefs provinciaux », je les ai cités, soit en charge de responsabilités institutionnelles tels que Gérard Larcher. Le problème principal d’Emmanuel Macron c’est qu’il a tellement « laminé » et « pressuré » la droite gouvernementale qu’il a quasiment « dévitalisé » le parti LR, se privant, ipso facto, d’un potentiel interlocuteur susceptible de devenir un partenaire potentiel. En utilisant le propre vocabulaire des macronistes, inspiré d’ailleurs dit-on d’un propos d’Edouard Philippe, dès 2017 : « La poutre de la maison LR bouge toujours ». Elle a tellement bougé qu’elle a fini par tomber, entrainant avec elle une bonne partie du « bâti LR ». Avec un problème connexe : manifestement en s’écroulant la droite de gouvernement a provoqué quelques « dommages collatéraux » et de « voisinage » du côté des macronistes venus assister au « spectacle » de la démolition. Comme disait l’illustre commentateur de rugby Roger Couderc, avec son merveilleux accent du sud-ouest, quand il fallait commenter (et conclure) une défaite du XV de France : « la cabane est tombée sur le chien »… Comprenne qui voudra…

Le flou qui existe au sein de LR est-il de nature à empêcher la formation d’une majorité avec Ensemble ? Ou LR peut-il trouver une manière de s’allier, en position de force, avec Ensemble ?

J’ai déjà, pour partie, répondu à cette question. Mais puisque vous évoquez vous-même le « flou » de la « pensée politique » ou « programmatique » de LR, il faut citer l’aphorisme bien connu du Cardinal de Retz, qu’affectionnait tout particulièrement, disait-on, François Mitterrand : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens ». L’ambiguïté est la vieille maitresse du flou… « Les Républicains » sont, certes, confrontés à un « flou politique » problématique, mais leur principale difficulté est bien plus grande : ils n’ont ni corps de doctrine, ni projet politique, ni discours le mettant en scène. Et comme ils n’ont pas, non plus de leadership, ils sont plus dans la position de « l’astre mort » que dans celle du « partenaire de circonstance ». Ce qui est particulièrement frappant d’ailleurs c’est que tout ce qui est dit ici au sujet de LR est parfaitement transposable au PS. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si la disparition de fait des deux grandes formations qui ont dirigé le pays depuis près de 65 ans désormais (avec des alliés respectifs bien sûr) survient au moment où, au soir d’une élection législative, pour la première fois là aussi depuis près de 65 ans, l’Assemblée apparaît incontrôlable, éclatée et paralysée. A un point tel qu’une crise institutionnelle, inenvisageable jusqu’alors compte tenu de la force du cadre constitutionnel depuis 1958, de sa force et son adaptabilité, est désormais tout à fait possible voire inévitable.  Jean-Luc Mélenchon réclamait une sixième république, il aura été un de ceux qui a ramené la France au temps parlementaire incertain de la quatrième république. Emmanuel Macron se voulait disruptif, il est en présence d’une « chambre » qu’un Queuille et un Laniel ont bien connu et avec laquelle ils savaient gouverner en ne faisant rien. Olivier Faure pensait sauver le PS, son groupe parlementaire sera moins important qu’en 2017.

Ce n’était pas la peine de demander l’instauration d’un scrutin proportionnel… La nouvelle Assemblée nationale élue le 19 juin 2022 en est le produit. Avec les inconvénients du scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours (les écarts entre le nombre de sièges obtenus et le nombre de voix) et les défauts de la représentation proportionnelle (l’absence de majorité claire et nette). Comme disait le maréchal Joffre : « Je ne sais pas si l’Histoire dira qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais qui ont aurait désigné comme responsable de la défaite si elle avait été perdue ». Aujourd’hui,  ils sont plusieurs à se disputer la paternité de la défaite aux législatives de 2022, y compris ceux qui courent partout en disant qu’ils ont gagné. On sait hélas déjà qui en paiera l’addition : les Français.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !