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LR et Marion Maréchal : chronique d’une convergence mécanique mais toujours aussi contrariée
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Union des droites

Les discours des Républicains et de Marion Maréchal montrent une certaine proximité idéologique, notamment sur le sujet du libéralisme. Mais l'idée d'une union est encore lointaine.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Dans les discours que l'on peut entendre entre Les Républicains et Marion Maréchal, on peut mesurer une proximité idéologique. La petite-fille de Jean-Marie Le Pen croit par exemple en un libéralisme "qui s’inscrit dans un héritage national et pose des limites aux excès de la nature humaine à travers des traditions, des valeurs et une morale." En quoi la différence est-elle mince avec les discours des principaux leaders de LR, sur ce point et sur d'autres ? Que ce soit d'ailleurs avec l'aile droite de LR ou même avec les discours d'autres courants (Valérie Pécresse, Bruno Le Maire) ? 

Bruno Cautrès : Cette question est en fait plus complexe qu’il ne parait. Pour en comprendre toute la complexité, il faut partir de l’idée que la politique française est structurée par deux dimensions et que cela ne date pas du tout de l’élection d’Emmanuel Macron. Depuis la fin des années 1980 on constate une « cohabitation » entre la dimensions gauche-droite et la dimension que nous avons appelée, au CEVIPOF, la dimension « ouvert/fermé » (une dimension qui mesure le degré d’acceptation du « libéralisme culturel »). Dans sa récente interview au Figaro, Marion Maréchal, montre qu’elle connait bien cette problématique. En appelant à une « déclaration d’indépendance de la droite vis-à-vis du progressisme, du multiculturalisme et du libre échangisme » et à « redonner ses lettres de noblesse » au terme de droite, un libéralisme inscrit dans « un héritage national », elle propose en fait une synthèse « libérale-conservatrice » : libéralisme économique et conservatisme sociétal. Le problème est qu’une bonne partie des dirigeants de la droite et de ses électeurs ou sympathisants souhaite une autre synthèse : libéralisme économique et tolérance culturelle. Ce n’est qu’avec une partie seulement de ces dirigeants ou électeurs que la synthèse proposée par Marion Maréchal est en phase. On peut d’ailleurs lire entre les lignes de l’interview de Marion Maréchal qu’elle le sait et qu’elle assume une synthèse qui ne regrouperait pas tout le monde à droite.

Paul-François Paoli : Le discours et la sensibilité de Marion Maréchal sont en phase avec une partie de l'électorat de LR que l'on peut qualifier de conservateur, celui qui a participé aux manifestations contre le Mariage pour tous par exemple, et celui qui particulièrement représenté par le discours de quelqu'un comme Bruno Retailleau. Dans l'électorat de LR, on trouve un segment conservateur marqué par la culture catholique, même s'il n'est plus forcément pratiquant. Je pense que le discours de Marion Maréchal est tout à fait dans cette sensibilité-là. D'une certaine manière, son discours est plus en phase avec le parti conservateur LR qu'avec le parti populaire et populiste du Rassemblement national. Toute la droite LR est grosso modo libérale sauf que le mot "libéral" est polysémique. C'est une notion qui aujourd'hui fait débat, y compris parmi les libéraux, parce que le spectre très large dans le monde libéral entre ceux qui considèrent (à l'instar des libertariens américains par exemple) que tout part des individus et ceux qui sont proches d'une sensibilité libérale conservatrice qui existait déjà au 19e siècle.

Le discours de Marion Maréchal explicite une sensibilité endormie en France, parce qu'on croit que les libéraux sont des anarchistes, des individualistes extrêmes alors qu'il y a toute une tradition libérale qui est très modérée et reste respectueuse de l'Etat considérant qu'il existe des valeurs, des notions qui ne sont pas négociables. Elle essaye de faire le lien entre une sensibilité libérale et une sensibilité conservatrice et, dans ce sens, a une marge de manœuvre intéressante.

Quel électorat pourrait potentiellement apporter Marion Maréchal à LR ? 

Bruno Cautrès : Il est certain que tout le nœud du problème pour la droite est de comment reparler aux milieux et catégories populaires, à ceux qui sont les plus touchés par les inégalités socio-économiques. Une partie de la droite souhaiterait pouvoir faire renaître le « gaullisme social ». De son côté l’électorat qui vote pour le RN est fortement composé des catégories populaires. Le vote pour Marine Le Pen à la présidentielle atteignait des niveaux très élevés parmi les jeunes chômeurs ou précaires, les catégories à faible revenus dans le privé et même le public. Mais Marion Maréchal n’est pas Marine Le Pen : elle a une image plus « libérale » au plan économique et il n’est pas certain que son positionnement sur les questions de société suffirait à faire venir vers elle les catégories populaires. Il faudrait voir ce qu’elle proposerait au plan de la justice sociale, notamment, pour mieux comprendre ce qu’elle pourrait amener à une droite qui a du mal à incarner, aux yeux de l’opinion, la justice sociale et la lutte contre les inégalités.

Paul-François Paoli : Elle pourrait peut-être empêcher la macronisation de l'électorat républicain. Elle pourrait réussir là où François-Xavier Bellamy a échoué car il est trop symboliquement enfermé dans son milieu versaillais. Au contraire, l'avantage de Marion Maréchal est qu'elle est libre et peut mordre sur les classes populaires car elle possède le charme de la jeunesse, de la nouveauté et est capable de s'adresser aussi aux classes populaires concernant les gens qui n'ont ni le pouvoir de l'argent, ni celui de la culture. Bellamy a fait une campagne courageuse mais ce n'est pas en faisant des discours sur l'Iliade et l'Odyssée que l'on va toucher les Gilets Jaunes.

Marion Maréchal se situe entre Marine Le Pen et François-Xavier Bellamy. Bellamy est très brillant mais reste inaudible pour les personnes aux cultures modestes. Marine Le Pen, aussi intelligente soit-elle, ne mord pas dans la bourgeoisie cultivée. 

Marion Maréchal a remis en question dans son interview le clivage politique entre les gagnants de la mondialisation et ses perdants, en expliquant qu'une alliance politique fondée sur le principe national pouvait avoir lieu. Est-ce que cela vous semble plausible ? Est-ce vraiment l'électorat populaire du RN qui pourrait la suivre dans une aventure politique ? 

Bruno Cautrès : Le clivage entre les « perdants » et les « gagnants » de la mondialisation est très solidement ancré au plan sociologique ou territorial. Marion Maréchal voit bien que ce clivage tend à « cornériser » son électorat potentiel ou même celui du RN. On l’a vu au second tour de la présidentielle ou Emmanuel Macron a largement bénéficié des reports de voix d’électorats qui n’adhéraient pas à son programme économique (ou n’y adhéraient qu’en partie), par exemple les électorats Mélenchon mais plus encore Hamon ou Fillon. Pour tenter de briser le « plafond de verre », le RN ou Marion Maréchal n’a pas d’autre solution que d’évoluer sur les questions européennes ou de société ou alors, en sens inverse, de faire alliance avec une partie de la droite-nationale-conservatrice. Les classes populaires, déjà fortement acquise au RN, ne pourraient suivre que si cette stratégie répond à leurs attentes de protection et de justice sociale. Le binôme Marine Le Pen-Florian Philippot avait voulu incarner cette solution, dénommée en sociologie politique le « welfare chauvin » et l’on se rappelle que les relations n’était alors pas faciles entre le numéro deux du FN de l’époque et Marion Maréchal. Dans l’interview qu’elle a donnée au Figaro, un point est très important sur ces questions : Marion Maréchal explique que « fleurissent à droite, depuis plusieurs années, tant une critique du néolibéralisme qu’une défense du protectionnisme face aux conséquences désastreuses, en termes écologiques et sociaux, du libre-échange effréné ». Elle explique que pour elle la réalité (des crises économiques ?) s’est chargée de casser la référence trop appuyée de la droite au libéralisme économique. On voit bien que la question des catégories populaires et de leur distance vis-à-vis des thèmes du libéralisme économique est la clef de voûte des problématiques d’une nouvelle alliance entre droite libérale et droite-nationale. Mais au-delà du discours, que propose Marion Maréchal sur cette importante question socio-économique ?

Paul-François Paoli : Le vivre-ensemble n'a de sens que si on a quelque chose à partager. La France est aujourd'hui un pays complètement hétérogène, complètement communautarisé, complètement archipéalisé comme l'explique Jérôme Fourquet. Les fractures sont d'ordre social, religieux, ethnique, idéologique et moral car il n'y a plus rien en commun entre des Français qui défendent une France LGBT et d'autres qui sont partisan d'une islamisation du pays. Marion Maréchal défend une légitimité au sein de la nation que seule une certaine droite peut revendiquer puisque la gauche a choisi le camp de l'Europe et de la mondialisation. C'est uniquement à droite que ce discours sur la nation en tant que légitimité historique peut être revendiqué. Elle peut faire un carton.

Si elle arrive à faire la jonction entre un discours économique libéral qui ne serait pas poujadiste et un discours nationaliste éclairé, c'est-à-dire par exemple que "la France n'est pas un pays interchangeable voué à devenir le cinquantième Etat  de l'Union Africaine", Marion Maréchal peut incarner un courant libéral endormi en France pouvant prendre de l'ampleur. Par exemple, il faut d'ailleurs se rappeler que l'inspiration de leur mouvement était assez libérale.

Les leaders de LR n'auraient-ils pas intérêt à faire les premiers des propositions d'alliance ? Qu'est-ce qui pourrait les en empêcher ? 

Bruno Cautrès : Leur électorat potentiel n’est pas prêt à suivre cela en bloc, mais en partie seulement. Pour les LR, franchir le pas d’une stratégie d’alliance ou de plateforme de propositions communes avec Marion Maréchal ce serait se couper de la partie la plus centriste de leur électorat potentiel et acter qu’elle ne reviendra plus. Certes, cette partie de la droite est passé chez Emmanuel Macron, mais les forces politiques ont en tête des questions de stratégie à plus long terme aussi. Même si Marion Maréchal dispose bien d’une cote de sympathie chez les électeurs de droite nettement plus importante que pour Marine Le Pen, cela ne fait pas tout. Il faudrait notamment qu’elle précise ses propositions au plan économique mais aussi qu’elle donne du contenu à sa synthèse « libérale-conservatrice ». Jusqu’où va ce « conservatisme » sur les questions de société, de tolérance culturelle ? Peut-être aussi qu’une partie de la droite attend que Marion Maréchal créée un mouvement politique pour voir ce que cela donne…

Paul-François Paoli : Leur couardise naturelle tout simplement ! Puis aussi le fait qu'en France, la logomachie ambiante et la logorrhée dominante nient constamment les lois de l'hérédité. La sociologie dominante de gauche conteste l'existence même d'une hérédité sauf pour la famille Le Pen. Comme Marion Maréchal porte le même nom, elle a forcément tous les vices de son grand-père. Par définition, il n'est pas question de s'allier avec elle à cause de son hérédité et c'est complètement absurde. C'est le degré zéro de la politique : "La politique c'est l'ordre et le mouvement" comme disait De Gaulle. Ce n'est pas parce que Marion Maréchal est liée biologiquement à Jean-Marie Le Pen qu'elle a forcément les mêmes idées, notions et principes.

Donc d'une part, c'est la couardise. D'autre part, c'est la paresse intellectuelle de gens à LR qui ne lisent jamais un livre de sciences politiques, qui ne connaissent rien à la philosophie politique ni à l'histoire des idées. D'une certaine manière, Marion Maréchal leur donne depuis des années une leçon de dynamisme et d'intelligence. Je crois que ce sont des questions plus personnelles, de narcissisme et de sensibilité.

Je ne sais même pas s'ils auraient intérêt à faire le premier pas vers Marion Maréchal. Ils sont en train de disparaitre. Ce qui est certain, c'est que Marion Maréchal a des propositions constructives et un discours sensé. Rien dans tous ce qu'elle dit ne relève de la provocation ou de l'aberration donc il n'y a aucune raison qu'elle ne soit pas une interlocutrice pour des gens qui sont des professionnels de la politique.

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