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LR : une fondation pour le renouveau de la droite vouée à l’échec ?
©MARTIN BUREAU / AFP

Laboratoire d'idées

Christian Jacob a dévoilé le nouvel organigramme des Républicains mercredi. Le maire d'Antibes Jean Leonetti, qui avait assuré l'intérim à la tête du parti après le départ de Laurent Wauquiez, est chargé d'une "mission de préfiguration" d'une fondation destinée à devenir un laboratoire d'idées.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Le renouvellement de la droite annoncée par Christian Jacob inclut un grand chantier idéologique. Pour cela, le parti a annoncé sa volonté de construire un laboratoire d'idées sous la direction de Jean Leonetti, sur le modèle de la Fondation Jean-Jaurès pour le PS. Ce volontarisme a-t-il des chances d'aboutir ? Quels sont les défis qui se posent à la droite pour établir un corpus doctrinal autonome ? 

Christophe Boutin : Ce n'est pas la première fois que la droite politique française, longtemps supposée être la plus bête du monde, et qui n’a pas toujours donné tort à l’adage, se pose la question de la bataille des idées. Cela a pu prendre par le passé la forme de revues, et l’on peut signaler par exemple la remarquable revue du RPR, Une certaine idée, qui tentait, tandis que le chiraquisme visait à dissoudre l'héritage gaulliste dans un consensus mou, de rappeler les valeurs propres au fondateur de la Ve République et au mouvement qu'il avait initié, ou, plus proche de nous, et dans le cadre cette fois de l'UMP, Le mouvement des idées. Les fondations ne sont pas plus une nouveauté, et l’on peut citer ici l'exemple de la Fondation pour l'innovation politique, ou Fondapol, que Jérôme Monod, le conseiller de Jacques Chirac qui a réuni le tour de table financier pour la mettre en place, ne pensait peut-être pas voir devenir ce « think tank libéral, progressiste et européen » que dirige avec brio Dominique Reynié. Ajoutons enfin, en interne, les tentatives régulières faites au sein des partis de droite pour structurer des « études », c'est-à-dire une doctrine, avec pour diriger ce secteur des têtes généralement bien faites,parfaitement à même de réaliser cet objectif. Quant à l'existence d’un corpus doctrinal autonome à droite, il est une évidence pour tous ceux qui entendent pas limiter la droite à une politique économique : dès la Révolution française et jusqu’à nos jours, les différentes droites françaises ont produit des textes d'une saisissante actualité, d'une remarquable pertinence, parfaitement adaptés à fournir un appui au combat politique, d'une part, mais aussi au combat d'idées.

Le problème que rencontre la droite ne vient donc pas de ses moyens ou de ses capacités. Il vient bien plutôt ce qu’elle se refuse à engager un conflit avec une gauche qui domine la sphère médiatique, distribuant des bons points de « républicanisme » à ceux qui passent sous ses fourches caudines et vouant aux gémonies ceux qui entendent fronder ses diktats. Qu’attendre de la future structure « de réflexion » sur un certain nombre de questions qui inquiètent nos contemporains, et par exemple celles de l'immigration, de l'identité, et de l’insécurité ? Le souvenir du refus chiraquien de traiter la question de l'immigration, ou de la palinodie sarkozyste sur la question de l'identité laisse penser que seule subsistera celle de l’insécurité, à laquelle on ne trouvera très certainement que des causes sociales. Mais attendons de juger sur pièces.

Les autres partis de droite en Europe ont-ils réussi à installer des centres de production d'idées à partir desquels se renouveler ? On prend souvent l'Allemagne comme exemple d'un pays où le fonctionnement politique est irrigué par des think-tanks bien financés à partir de fonds publics. La droite française peut-elle s'inspirer de ce qui se fait ailleurs pour établir ce nouveau laboratoire ? 

La politique française bénéficie déjà de l’apport de think tanks de qualité, généralistes - on pense à la fondation Jean-Jaurès ou à Terra Nova à gauche, à la Fondapol au centre, à la jeune Fondation du Pont-Neuf ou à l'Institut Tomas More plus à droite – ou spécialisés dans les domaines de la défense, de l'environnement, des finances publiques, des relations internationales, et qui, pour beaucoup, produisent des notes de qualité. On peut être ou non d'accord avec ce qui est dit, mais on dispose bien d’éléments de réflexion pleinement à même de nourrir la pensée politique, sans avoir besoin de trouver un exemple ailleurs. Et l’on peut ajouter les remarquables analyses des sondages faites par les instituts spécialisés.

Quant au financement sur fonds publics il convient d'être plus que jamais prudent dans la France de 2019 sur le déséquilibre qu’il pourrait entraîner au profit des centres les moins critiques pour le pouvoir en place. Le système français repose en partie sur la possibilité pour de tels centres de recherche de devenir des fondations d'utilité publique, et de permettre comme telles des avantages fiscaux à ceux qui souhaitent les soutenir. On peut préférer cette solution, et il est vraisemblable que c'est celle qui sera retenue par la nouvelle fondation que les Républicains veulent porter.

Pour organiser ce laboratoire d'idées, comment la droite devrait-elle procéder ? Les universitaires peuvent-ils constituer un personnel capable d'aider le démarrage de cette nouvelle dynamique idéologique ?

Vous connaissez la grande formule de Sacha Guitry comparant les critiques littéraires aux auteurs : « les critiques sont comme les eunuques, ils savent, mais ne peuvent pas ». Entre les intellectuels, qu'ils soient universitaires – et je ne m’omets pas du lot - ou pas, et les politiques, il y a un peu la même relation. Il est très facile à un intellectuel qui connaît un peu son sujet, devenu « politologue » sans que l'on sache parfois très bien ce qui justifie le titre, de donner des leçons à la terre entière, et notamment aux politiques. Le fait est pourtant que lorsque certains d'entre eux tentent de passer de la théorie à la pratique, les résultats sont rarement concluants. Peu habitués aux débats parce qu'ils assènent du haut de leur chaire des vérités à des étudiants qui n’en peuvent mais, volontiers imbus d’eux-mêmes même, et plus encore s'ils ont eu le bonheur de publier quelques pages ou d'être reçus dans les médias, ils feraient bien pourtant de faire preuve d'un peu de modestie.

L’action politique a en effet sa réalité propre, sa dimension, ses buts, ses moyens. Les think tanks ne seront donc jamais que ces bourses de données dans laquelle les politiques puissent en tant que de besoin pour étayer leur discours ou définir des réformes, et même le plus écouté des trop fameux « visiteurs du soir » ne sera jamais celui qui prendra la décision. C’est d’ailleurs toute la noblesse du politique que la difficulté d’être celui qui décide en dernier ressort et en assume les conséquences… et toute la faiblesse de la droite politique française de se refuser à le faire depuis quarante ans, sous la pression médiatique de la gauche. La vraie réponse au progressisme de cette dernière est un conservatisme bien compris. Nous verrons bien s’il est intégré au nouveau corpus doctrinal…

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