LR : l’ombre du candidat fantôme <!-- --> | Atlantico.fr
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Des militants des Républicains au siège du parti. Les candidats à l'investiture LR pour 2022 vont-ils mettre à profit leur participation aux débats pour s’adresser à l'électorat qui se sent orphelin de candidat naturel ?
Des militants des Républicains au siège du parti. Les candidats à l'investiture LR pour 2022 vont-ils mettre à profit leur participation aux débats pour s’adresser à l'électorat qui se sent orphelin de candidat naturel ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Candidat naturel

Beaucoup de militants le disent : pendant cette élection pour désigner le candidat du parti, ils s’ennuient. En cause, les absences de Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou du pôle souverainiste Oser la France. Les autres candidats sauront-ils mettre à profit le 1er de leurs 4 débats pour s’adresser à cet électorat qui se sent orphelin de candidat naturel ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Pour de nombreux militants des Républicains, la sélection du candidat est entachée par l’absence de Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou bien le pôle souverainiste et ils déclarent même s’ennuyer. L’ombre d’un candidat fantôme plane-t-il sur cette élection ? Des personnalités non candidates tenteraient-elles de peser sur l’élection ?

Christophe Boutin : Rappelons d'abord que personne n'empêchait Laurent Wauquiez ou Bruno Retailleau de se porter candidats à la candidature des Républicains. Et que si les deux hommes ont choisi de ne pas le faire, le premier sans doute parce qu’il pense à 2027 en ne se rasant plus, l’autre vraisemblablement parce qu’il peinait à décoller dans les sondages et qu’il ne voulait pas fragiliser sa place au Sénat, on peut trouver à la droite du parti des candidatures assez proches de leurs idées, celles d’Éric Ciotti ou de Philippe Juvin - et, dans une moindre mesure, tenant compte de ses évolutions, de Michel Barnier. En tout cas, les opposants « historiques » à Laurent Wauquiez au temps où celui-ci dirigeait le parti et, selon eux, le « droitisait » de manière excessive, ceux qui, pour cela, avaient quitté LR avant d’y revenir pour se porter candidats, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, ne sont pas seuls candidats.

Rappelons ensuite que la vie dans un parti politique, et moins encore lorsqu'il s'agit de désigner son candidat à l'élection phare française, l'élection présidentielle, n'est pas nécessairement un long fleuve tranquille. En dehors des luttes entre les « écuries présidentielles » qui peuvent exister, celles ici des candidats à la candidature, il y a tout un réseau de rapports de force, de choix stratégiques, où certains se positionnent en tenant compte de l’éventuel vainqueur de cette désignation partisane, d’autres en envisageant ce qu’il leur serait ou non possible de faire avec le potentiel président de 2022 s’il n’était pas issu du parti, d’autres encore en tirant un bord pour être en meilleure position pour 2027. Bref il y a là tout un jeu politique, avec son lot de trahisons mais aussi de fidélités, dans lequel les éventuels clivages politiques sont parfois secondaires. Dans ce cadre, effectivement, des personnalités non candidates comme les deux que vous citez, Laurent Wauquiez ou Bruno Retailleau, vont certainement tenter de jouer un rôle dans le choix du candidat, mais ce sera aussi très certainement le cas de Gérard Larcher, Nicolas Sarkozy, Christian Jacob, de quelques barons locaux, de nouveaux arrivants ayant une assise médiatique et, plus encore, mais c’est leur but, de « courants » qui, intégrés au sein des Républicains, ont une ligne politique clairement définie.

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Or puisque vous évoquez l’absence de candidat souverainiste, nous avons deux structures qui se situent sur cette aile conservatrice de droite : Oser la France de Julien Aubert et le Mouvement conservateur de Laurence Trochu. Ils représentent cette droite qui, quoi qu'en ait l'aile gauche du parti, pèse d'un poids important chez les militants, cette droite qui avait choisi comme candidat François Fillon en 2017 (contre Alain Juppé, le « meilleur de nous tous » adoubé déjà par les médias) et qui, malgré les avanies judiciaires subies par ce dernier, était resté attachée à cette candidature – quand, par exemple lors du meeting du Trocadéro, elle avait réussi à redonner un peu de souffle à la campagne de son champion.

À Oser la France, lors de la réunion de rentrée du 19 septembre, centrée sur la thématique de la souveraineté de la France, Valérie Pécresse, Michel Barnier, Philippe Juvin et Éric Ciotti étaient présents pour expliquer certains de leurs choix. Quant au Mouvement conservateur, il a organisé le 26 septembre une « Journée du conservatisme » à laquelle il a convié tous les candidats à la candidature des républicains – à l’exception de Xavier Bertrand, qui, alors, ne se plaçait pas dans cette logique de primaires -, pour avoir des explications sur leurs programmes. Michel Barnier a évoqué un agenda trop chargé, Valérie Pécresse, qui devait envoyer une vidéo, ne l’a finalement pas fait, mais étaient présents Denis Payre, maintenant exclu de la course, Philippe Juvin et Éric Ciotti. Ils ont pu évoquer leurs axes de travail entre des tables rondes consacrées aux notions d'héritage, de transmission, de souveraineté, de sécurité, autant d'éléments clefs des attentes des Français si l’on en croit les sondages.

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Reste que, dans les deux cas, une ombre planait, plus ou moins présente, celle d’Éric Zemmour. S’il n’avait pas été invité par Oser la France, car il refusait de se plier à « une procédure de rassemblement », quand Julien Aubert défendait l’idée de sa participation à la primaire, son nom a été régulièrement évoqué, comme la manière dont ses thématiques trouvaient une audience au sein de LR – chez les élus, militants ou électeurs. Et le doute sur cette audience n’était par contre plus permis à la Journée du conservatisme, puisque l’écrivain était présent pour évoquer ses « priorités pour la France », et a reçu un accueil chaleureux.

Non seulement donc le pôle conservateur/souverainiste de LR est toujours actif, mais il voit les idées qu’il a toujours défendues revenir au centre de la campagne de ces présidentielles, portées par ce candidat potentiel autour duquel tout tourne, que l’on se positionne pour soutenir ses propositions ou s’y opposer. Et l’on voit mal comment les candidats à la candidature pourraient se couper de ce qui compose une part non négligeable de leur électorat potentiel lors des primaires.

Les candidats sauront-ils mettre à profit le premier de leurs quatre débats pour s’adresser à cet électorat qui se sent orphelin de candidat naturel ? Que doivent-ils faire ?

Que faire ?, comme disait l’autre. La question est délicate, car reprendre purement et simplement les thématiques de ce groupe conservateur/souverainiste est, pour certains d’entre les candidats LR, bien délicat.

Cela suppose en effet d’abord un minimum de légitimité. Or on peut aller à un Canossa conservateur, brûler ses vielles idoles progressistes et renier les dieux médiatiques sans être certain de la crédibilité de cette démarche auprès des électeurs. Dans les domaines clefs de la souveraineté, de la sécurité ou de l’immigration, la légitimité de ces discours sera en tout état de cause bien moindre que s’ils sont tenus par une personne qui a toujours eu une ligne claire sur ces différents sujets.

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Par ailleurs, non seulement reprendre ces thématiques n’est pas forcément « payant » à droite, mais ce peut être aussi handicapant à gauche, et donc gênant pour une victoire à la présidentielle selon certains candidats de droite. On sait en effet que, pour l’emporter au second tour, il faut rassembler. Or nombre de nos candidats se placent alors dans la perspective « classique » selon laquelle  ce rassemblement se fait sur un plus petit dénominateur commun – généralement une « gestion raisonnable du pays » assez typique de la primauté libérale de l’économique sur le politique -, et autour de personnalités réputées « non-clivantes ».

Dans ce cadre, sembler seulement donner un coup de barre à droite pour séduire le courant conservateur revient, d’une part, à fragiliser l’éventuel socle commun programmatique à bâtir avec les centristes, voire avec la gauche modéré, mais aussi, d’autre part, à attirer immédiatement sur soi les critiques des médias, arbitres des élégances morales, et à se voir accusé d’être un diviseur et non plus un rassembleur. Certains candidats seront donc conduits lors des débats qui s’annoncent entre eux à un grand écart entre la nécessité de prononcer certains mots (pour provoquer un réflexe pavlovien chez l’électeur)… et la peur de trop en dire.

Leurs choix visent à créer un rassemblement des « Français raisonnables » s’élargissant vers un centre qui, au fil des ans, bascule entre centre droit et centre gauche, permettant les alternances. La question est alors d’attirer ces électeurs centristes pour bâtir sa majorité électorale. Mais cette analyse semble pourtant datée. D’une part, parce que les Français étaient lassés de ces alternances qui voyaient droite et gauche faire les mêmes politiques ou peu s’en fallait sur les trois « I » qui les inquiètent depuis des années, Immigration, Insécurité et Identité. En ce sens, la victoire d’Emmanuel Macron en 2017 vient au moins autant d’une OPA victorieuse pour s’installer au centre et rejeter à la marge des extrêmes irréconciliables, que de son discours de rupture (Révolution) avec le système existant. Or il n’est pas dit que, dans un pays où l’abstention atteint de tels sommets, et qui a connu la révolte populaire des Gilets jaunes ou celle actuelle des Antivax, ce « dégagisme » ait disparu. Les résultats des élections locales, rassurantes pour les partis en place ne doivent pas faire illusion : le feu couve toujours.

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Il est une tout autre manière de bâtir sa majorité, celle des candidats « de rupture », pour lesquels la radicalité n’est pas un problème, bien au contraire. D’une part, parce qu’il ne s’agit pas en effet pour eux de séduire la frange centriste, mais bien de ramener aux urnes les abstentionnistes, et pour cela de leur offrir un ton nouveau et des mesures claires. D’autre part, parce que s’il s’agit bien toujours de fédérer les électeurs au-delà des clivages politiques, cela ne se fait plus cette fois « pour » un programme commun, mais « contre » un ennemi commun. De surprenantes conciliations peuvent alors naître d’un changement de priorités chez les électeurs, et les scores atteints dans les sondages sur certaines questions (60%, à 80 % autour de certains choix) montrent clairement où sont les priorités actuelles.

Le manque de représentativité de toutes les sensibilités politiques du parti pourrait-il créer un manque de soutien au futur candidat du parti ? Une partie de l'électorat LR serait-elle tentée d'aller voir ailleurs ?

Encore une fois, il paraît difficile d'écrire que les différentes sensibilités ne sont pas représentées parmi les candidats à la candidature LR. Pour savoir ensuite si une partie de l'électorat du parti peut être tentée, comme vous le dites, « d'aller voir ailleurs », encore faudrait-il attendre de savoir qui va sortir du chapeau de la primaire, si le parti aura alors un programme clair, s’il refera son unité, si les perdants viendront soutenir le vainqueur… et quelles seront les autres offres politiques. Pour l’instant, nous parlons de cinq candidats à la candidature, d’un candidat non déclaré, et d’autres candidats déclarés dont on ne sait s’ils obtiendront les signatures nécessaires pour participer à l’élection. On comprend qu’il faille rester prudent.

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Reste que, dans l'hypothèse où Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse représenteraient LR, et où Éric Zemmour serait effectivement candidat, il n'est pas interdit de penser que la frange conservatrice de l'électorat républicain puisse se porter sur celui qui, actuellement, fait bouger les lignes politiques en imposant un discours qui est largement conservateur. On sent d’ailleurs la tension que provoque déjà cette concurrence potentielle : entre les élus LR qui donneraient leur parrainage à l’écrivain et les jeunes qui se sentent séduits par sa dynamique, il y a là un élément de fragilisation d’un parti depuis longtemps fissuré. On ne sait pas ce qu’il en est de ces milliers d’adhérents nouveaux dont Christian Jacob s’est félicité, mais Étienne Blanc ancien président LR de l’opposition municipale à Lyon, a récemment affirmé que, pour « 70 à 80% » des militants LR, Éric Zemmour pose les bonnes questions » - une déclaration qui lui a valu de devoir démissionner à la demande de ses colistiers.

Le risque pour LR ne se limite d’ailleurs pas à la présidentielle. Deux mois après, ce seront en effet les élections législatives, lors desquelles le parti pourrait être pris en étau entre Horizons, le parti d’Édouard Philippe, et un éventuel parti « zemmouriste » intercalé entre LR et le RN. Avec, dans les deux cas, le risque de fuites d’électeurs et d’élus, et leurs conséquences en termes de financement – celui-ci tenant compte du nombre d’élus rattachés à la structure.

Si elle a lieu, la lutte sera donc sans doute âpre entre un candidat LR dont nous avons dit les difficultés à pouvoir reprendre les thèmes privilégiés de Zemmour, plébiscités par les Français, et ce dernier, qui aurait vocation à être leur porte-parole en se déclarant candidat. Mais les causes de cette éventuelle recomposition violente du paysage politique qui pourrait avoir lieu en 2022 peuvent pourtant se résumer en une phrase : « la nature a horreur du vide ». En cédant aux diktats d’une gauche hégémonique dans les médias et sur le plan culturel, en abandonnant la dimension sociale du gaullisme au profit d’un libéralisme mondialisé, LR a laissé en déshérence un électorat qui formait sa base, tolérant à peine l’existence en son sein des courants qui le représentaient encore. Le parti en paye le prix.

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