Louis XIV 300 ans après : comment la culture de l’État absolu façonne encore la France d’aujourd’hui<!-- --> | Atlantico.fr
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Louis XIV n'était pas un grand adepte du compromis.
Louis XIV n'était pas un grand adepte du compromis.
©DR

Roi soleil

Il y a 300 ans ce mardi 1er septembre, le célébrissime monarque rendait l'âme. La phrase attribuée à Louis XIV, "L'Etat, c'est moi", incarne un mode de gouvernance qui a défini et délimité les prérogatives dont la République française est encore aujourd'hui l'héritière.

Laurent Avezou

Laurent Avezou

Laurent Avezou est historien, professeur en classes préparatoires, auteur de Raconter la France : histoire d’une histoire, Paris, Armand Colin, 2e éd. 2013, et de 100 questions sur les mythes de l’histoire de France, Paris, La Boétie, 2013.

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Atlantico: Louis XIV a laissé l'image d'un roi absolu et centralisateur : quels sont les héritages politiques réels de ce souverain sur notre système politique actuel?

Laurent Avezou : Trois cents ans après sa mort, il est de bon ton de présenter Louis XIV comme un despote rétrograde aveuglé par une soif de pouvoir sans limite. C’est à la fois lui faire trop d’honneur et ne pas lui rendre justice.

C’est lui faire trop d’honneur que de rapporter à ce seul roi une conception de l’Etat qui a été défendue avant lui par Richelieu, Henri IV, François Ier, Louis XI, Charles V, Philippe le Bel, et dont on peut faire remonter les prémices au moins jusqu’à Saint Louis, au XIIIe siècle, c’est-à-dire à la redécouverte de l’aristotélisme politique, du droit romain et de la notion de res publica, c’est-à-dire de bien public, combinée avec le christianisme. Cette intellectualisation du champ politique consiste à considérer que le roi est absolu, délié des lois, car il est la quintessence de toutes les lois, en vertu d’une délégation qui lui vient de Dieu. Mais absolu ne veut pas dire tyrannique : comme le disait un magistrat du temps de François Ier, "le roi peut tout ce qu’il veut, mais il ne doit pas vouloir tout ce qu’il peut". Il est limité par des garde-fous, les lois fondamentales du royaume, et, plus généralement, par une prescription morale que sont censés partager tous les chrétiens.

En quoi cet héritage nous concerne-t-il ? C’est que, malgré la coupure formelle de la révolution de 1789, qui a mis fin à l’Ancien Régime, la France républicaine reste tributaire de cette notion de bien public, qui revient à considérer que l’intérêt général est non seulement la somme des intérêts particuliers, mais aussi transcende ces derniers, que les décideurs ont, dans les limites du raisonnable, un cran d’avance sur les aspirations de ceux qui les ont délégués à cette tâche. Cette abstraction de la chose publique va de pair avec sa bureaucratisation, avec la mise en exergue d’une catégorie d’experts (intendants de province du XVIIe siècle, préfets actuels) voués par leur formation au service de l’Etat, et dont la formation standardisée est censée garantir contre le clientélisme et les passe-droits.

Pas d’angélisme pour autant : nous avons tous le soupçon, justifié, que ce n’est pas seulement le souci de l’intérêt public qui guide les gouvernants, mais différents groupes de pression (appareils des partis, patrons d’industrie, médias, lobbies divers et variés), dont l’influence, réelle pour une part, mais pour une part fantasmée, entretient la rengaine un peu facile du "Tous pourris, tous vendus". Mais, en cela non plus, le pouvoir de Louis XIV n’était pas foncièrement différent du pouvoir républicain.

En supprimant le pouvoir de la noblesse locale et en instaurant un dialogue permanent avec les gouvernements provinciaux, peut-on dire aussi qu'il est à l'origine de la structure administrative et territoriale française ?

Le Roi-Soleil, qu’on présente souvent comme incontesté et tout-puissant, devait, dans les faits, constamment négocier avec divers interlocuteurs : le haut-clergé, la haute noblesse, les villes, les provinces, autant d’entités fermement attachées à leurs privilèges, et qui attendaient du roi qu’il les garantisse, non qu’il les abolisse. Et, alors qu’il est ordinairement présenté comme centralisateur et niveleur, il est allé beaucoup moins loin dans ce registre que le régime de Vichy ou la Ve République gaullienne. En revanche, il est bien plus proche qu’il n’y paraît de la République décentralisée dans laquelle nous vivons depuis les lois de régionalisation de 1982. Ce qui a changé depuis 1789, c’est que l’Etat n’est plus censé s’entendre avec des groupes de privilégiés (peu importe le sort des humbles : les masses populaires ont rarement été aussi malheureuses que sous Louis XIV), mais avec des individus en théorie interchangeables, les citoyens. L'organisation territoriale, elle, est un héritage de la politique napoléonienne qui a défini de façon structurée des entités géographiques similaire en taille pour en faciliter la gestion. Sous l'Ancien Régime, les régions étaient géographiquement encore définis par les comtés et n'avaient pas d'existence administrative propre.

Louis XIV n'était pas un grand adepte du compromis. Ce qui sépare l’absolutisme du totalitarisme est moins une question de principes qu’une question de moyens. Pour un roi absolu, les corps intermédiaire doivent être tolérés tant qu’il ne peut faire autrement. Le sort qu’il a infligé aux protestants l’atteste bien. Maintenant qu’ils avaient cessé d’être une menace pour l’ordre public, et parce qu’il avait besoin de redorer son blason de souverain très-chrétien tout en mettant sa politique en accord avec ses convictions profondes, Louis XIV n’hésite pas en 1685 à révoquer l’édit de Nantes, c’est-à-dire à imposer unilatéralement la conversion au catholicisme à des centaines de milliers de calvinistes qui vont être ainsi jetés sur les chemins de l’exil. S’il ne tenait qu’à lui, le roi ne voudrait qu’une catégorie de sujets. Mais il ne tient pas qu’à lui.

La position du roi aux pouvoirs absolus ressemble-t-elle à la conception de la présidence républicaine?

Du roi au président de la République, il y a un véritable parallèle à établir dans la forme personnalisée du pouvoir, son incarnation en un homme. Certains éléments, héritages directs de l'Ancien Régime en attestent, comme le droit de grâce ou d'amnistie, qui témoignent d'un pouvoir dépassant l'exécutif. De Gaulle, royaliste de formation, est en cela très représentatif de cette personnalisation et de la centralisation des pouvoirs régaliens. En refondant la Constitution, et en définissant les principes de la Vème République, il a, comme Louis XIV, redéfini et renforcé le rôle du chef aux pouvoirs quasi absolus. Cependant cette similitude est plus pratique que de principe: lorsque de Gaulle est arrivé à la tête de l'Etat, il a naturellement réorganisé la Constitution pour éviter les écueils et les divisions de la IVème République, qui ne permettaient pas la mise en place d'une politique stable et efficace.

La mise en scène de la fonction royale et la vie de cour a aussi été fondamentale dans la conception politique de Louis XIV : quelles traces du monde courtisan sont-elles encore visibles aujourd'hui? 

Le principal héritage du Roi-Soleil, c’est sans doute la politique-spectacle, qu’il n’a pas non plus inventée (on en trouve les prémices notamment sous François Ier), mais qu’il a portée à un point de perfection remarquable. L’art de la danse dans sa jeunesse, la machinerie versaillaise de l’âge mûr, avec leur symbolique solaire élémentaire, le relais des académies qui célèbrent sa gloire donnent le sentiment, complètement illusoire, de l’omniprésence royale. C’est une opération de com’ dont on ne peut contester l’efficacité, avec le recul du temps, puisque, trois cents après, nous continuons à voir en Louis XIV un personnage aux pouvoirs illimités.

La pratique politique aujourd'hui n'est pas dénuée de cette culture de la publicité, et on peut voir dans le jeu de certains politiques des attitudes qui rappellent celles des courtisans du XVIIème siècle. La "peopolisation", la mise en scène de la vie privée de certains dirigeants sont aussi des traces de la volonté de se rendre visible auprès du peuple, d'être un personnage publique et incarné, à la fois proche et distant.

Qu'est ce qui a permis à ce modèle politique de s'imposer, sous les formes monarchistes et républicaines, et de s'étendre bien au-delà des frontières françaises ?

La politique de compromis, menée par les agents administratifs, a réellement permis à l'administration royale et la bureaucratie de s'imposer naturellement auprès de la population: bien que les agents territoriaux aient représenté la main mise et le contrôle absolu de l'Etat sur le territoire, ils ont aussi cherché à faire participer les citoyens à la gestion et l'organisation de leur cadre de vie. En affaiblissant le pouvoir des seigneurs au profit de l'administration royale, Louis XIV a en fait rendu accessible la pratique du pouvoir, qui est devenue du même coup plus lisible.

Sur la forme, les guerres révolutionnaires, puis les conquêtes napoléoniennes ont permis d'imposer ce modèle en Europe, ce qui permet aujourd'hui d'avoir une bureaucratie commune et des similitudes fortes dans l'organisation étatique des pays européens. Enfin, la conception du régime politique des Etats-Unis ayant pour origine les penseurs français, il est naturel d'y retrouver également une organisation étatique autour d'un homme, figure centrale du pouvoir.

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