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Les "vrais gens" contre l'establishment : le pari risqué mais sensé de François Hollande et du PS pour tenter de redresser la barre avant la présidentielle de 2017
©Reuters

Tenter le tout pour le tout

François Hollande subirait, à en croire Jean-Christophe Cambadélis, un "consensus médiatico-sondagier", responsable de sa faible popularité. Le Président et le PS, en critiquant les médias (tant les journalistes que les sondeurs), tentent d'endosser le statut de victimes du système médiatique. Si cela avait réussi à Nicolas Sarkozy en 2012, il est peu probable (mais pas inespérable) que le scénario se répète.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Ce lundi 18 avril, Jean-Christophe Cambadélis s'attaquait vertement aux médias et aux instituts de sondage, jugeant que le Président était aujourd'hui victime d'un "consensus médiatico-sondagier", lequel serait responsable de sa faible popularité dans l'opinion. Les résultats de sondages appellent-ils à d'autres résultats similaires ; le bashing médiatique à toujours plus de bashing ?

Jérôme Fourquet : Soulignons un fait : on entend souvent parler de "bashing médiatique". Et nous, institut de sondage, sommes assimilés aux médias. C'est toutefois un peu différent, dans la mesure où nous produisons des données et des chiffres (tant ceux de l'Ifop que ceux de nos confrères) qui témoignent de la situation critique de François Hollande en termes d'intention de vote autant que de popularité. Il peut y avoir un commentaire sur le sondage. Mais la première étape est de délivrer des données objectives. Cela n'est donc pas un "bashing" au sens où les commentaires seraient orientés. Néanmoins, il peut effectivement exister un effet cumulatif susceptible de donner cette impression de tir de barrage. Cet effet répétitif  du sondage s'explique par une grande diversité, une multiplicité des acteurs sur le marché des sondages. Il y a beaucoup d'instituts et chacun publie. Et quand nous publions, nous le faisons notamment sur les cotes de popularité. 

S'ajoute à cela un effet calendaire dans la mesure où nous sommes à un an de la présidentielle. Cet effet anniversaire légitime la publication ce matin des intentions de vote par l'Ifop. Nos confrères de la Sofres en avaient publié hier, et Odoxa en avait publié ce week-end. Il n'y a pas une manœuvre mais un effet de calendrier qui ne rend pas illégitime le fait de se poser des questions sur les intentions de vote.

Soyons clair : dans l'opinion, une partie de la population ne lit pas les sondages. Cela fait partie du bruit médiatique où chacun se forme son opinion. Sauf à être journaliste, une majorité de gens ne sont pas rivés en permanence sur Twitter, Atlantico ou sur BFMTV, etc. Les sondages sont publiés à chaque fois sur des supports différents et un même individu ne va pas être exposé à l'intégralité de ces productions sondagières. Il va en voir un ou deux, pas plus.

De plus, la posture, de Jean- Christophe Cambadélis est assez classique chez les responsables politiques. Elle illustre clairement cette relation tantot ambivalente, tantôt schizophrénique qu'ils peuvent avoir avec les sondages. Ainsi, quand les sondages montrent que des mesures qu'ils ont proposées sont soutenues par l'opinion, ou quand les sondages montrent que leur cote de popularité ou celle du champion de leur camp est au beau fixe, alors ils s'appuient dessus pour témoigner de leur succès. A l'inverse, quand le sondage montre qu'une personnalité politique n'est pas appréciée par les Français, soit on assiste a une prise de distance, soit il nous est expliqué que ce ne sont pas les sondages qui font les élections. La posture très critique, utilisée par Jean-Christophe Cambadélis, qui accuse le thermomètre en parlant d'acharnement est connue. Rappelons-nous les déclarations de la part des soutiens politiques de l'ancien Président à un an de l'échéance électorale de 2012 : à droite, on répétait que Nicolas Sarkozy et son camp essuyaient un acharnement de la part des médias comme des instituts de sondage.

En tentant de jouer la carte de la victime des sondages et des élites traditionnelles, le Président ne cherche-t-il pas à se poser en candidat des vrais gens contre "l'esthablishment" ?

Les journalistes et les sondeurs n'ont pas forcément bonne presse dans le pays. Donc leur taper dessus, n'est pas forcément quelque chose d'impopulaire. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon s'y sont essayés avec d'importants succès. Cela étant, pour espérer faire mouche, il faut bien calibrer son attaque. Celle-ci peut être comprise comme un aveu de faiblesse ou un manque de fair-play (ce qui pourrait probablement arriver dans le cadre de la déclaration de Jean-Christophe Cambadélis).

Cette tentative de jouer la carte du Président des vrais gens contre l'establishment incarné par des élites traditionnelles et médiatiques ne fonctionne donc que pour certains candidats, dans certains registres et dans des contextes tout aussi spécifiques. Pour un candidat appartenant à un parti de gouvernement, comme c'est le cas du Parti socialiste ou des Républicains, laisser entendre qu'il y a une cabale ou un acharnement de la part des médias est le plus souvent perçu comme un manque de fair-play. Généralement, cela rate la cible visée.

Quel est le potentiel de cette stratégie ? En repensant à l'exemple Nicolas Sarkozy de 2012, jusqu'où François Hollande peut-il espérer grimper grâce à cette façon de faire ?

Le parallèle avec Nicolas Sarkozy est très intéressant. Rappelons toutefois que l'ancien Président ne remettait pas tant en cause les sondages, lesquels n'étaient pas aussi catastrophiques pour lui que ce n'est aujourd'hui le cas pour François Hollande. Il ciblait davantage les commentaires journalistiques qui pouvaient émaner de certains hommes de presse. C'est une première différence avec François Hollande. La seconde est liée au fait que jusqu'au bout, Nicolas Sarkozy a bénéficié du soutien de son propre électorat, ce qui est nettement moins vrai pour François Hollande. Comparons deux chiffres : à un an de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy pouvait se vanter de satisfaire 74% des électeurs sympathisants à l'UMP. A l'inverse, les sympathisants PS ne sont que 43% à s'estimer satisfait de l'action menée par François Hollande.

C'est capital : dans la stratégie de riposte et de réaction au Sarko-bashing médiatique, Nicolas Sarkozy cherchait à susciter un réflexe à la fois patriotique et partisan de la part de l'électorat de droite. Il s'agissait de faire réagir un électorat qui se sentait attaqué par les assauts visant son champion, pointé du doigt pour ses valeurs, par la presse et les journalistes de gauche. C'est quelque chose qui a marché et qui a produit des effets sur sa campagne présidentielle. Cela n'a fonctionné que parce qu'il conservait le soutien de son électorat. 

Pour ce qui est de François Hollande aujourd'hui, il est primordial de constater que cette distance qui existe entre le Président et son électorat ne vient pas des médias. Le divorce entre les déçus de sa politique et lui même n'incombe pas aux journalistes ou aux sondeurs, il est issu de sa personne, de sa façon de faire, de gouverner. Dans ce cadre-là, le tableau dressé à charge, de manière très subjective ou très objective aura moins d'impact. L'électorat socialiste est moins sensible parce qu'en grande partie déçu, voire en colère. Les attaques journalistiques ne soudent pas autant l'électorat d'Hollande a sa candidature que ce n'était le cas pour Nicolas Sarkozy. Ce qui a contribué à bétonner le score de l'ancien Président, victime de critiques jugées injustifiées et infondées par son électorat et qui glissaient comme la plume sur le canard, n'est pas vrai pour François Hollande. Son noyau dur électoral est divisé, fissuré. Après la déchéance de la nationalité, le projet de loi El-Khomri, l'électorat de gauche mécontent ne réagit plus à l'image négative donnée par les sondeurs et les journalistes. Les résultats ne sont de toute façon pas là, le gouvernement a fait preuve d'amateurisme a plus d'une reprise dans le quinquennat et un certain nombre de promesses n'ont pas été tenues. Pire encore : des mesures qui vont à l'encontre des valeurs profondes de la gauche ont été prises. Cela reste de bonne guerre de la part de Jean-Christophe Cambadélis que d'aller sur ce terrain-là, mais je doute que la stratégie puisse être payante.

Finalement, quel est le pouvoir des médias dans la création d'un candidat ; et jusqu'où ce candidat tient-il vraiment la route en élection ? Que dire de François Hollande au regard de cette analyse ?

Le poids des sondages n'est évidemment pas neutre dans la formation d'un candidat. Les processus et les phénomènes sont désormais renseignés et décrits : quand un candidat bénéficie de sondages assez flatteurs, il jouit du statut privilégié de favori. Or, ce statut lui permet d'obtenir un certain nombre de soutiens électoraux qui ne seraient peut-être pas spontanément allés vers lui. Il y a clairement un effet boule de neige et le succès attire le succès. C'est clairement le cas dans le cadre des primaires de la droite et du centre ! La très bonne santé sondagière d'Alain Juppé s'explique, pour partie et hormis ses qualités ou son image personnelle, par les sondages eux-mêmes. Il est annoncé comme vainqueur haut-la-main contre Marine Le Pen au deuxième tour, capable de la qualifier pour l'élection présidentielle. Pour des électeurs de droite qui hésitent sur le choix à faire aux primaires, il n'est pas illogique de pencher pour celui qui représente une garantie de réussite. Ce même phénomène avait bénéficié à Ségolène Royale lors de la primaire de la gauche en 2006.

Ne nous trompons pas cependant : les sondages (et les sondeurs moins encore) ne créent pas de candidats. Alain Juppé est testé depuis le début, comme l'ensemble des autres candidats. Il y a nécessairement une situation préexistante qui permet, à un moment ou à un autre, à une majorité de se fixer sur un candidat. L'offre qu'il incarne correspond à ce qu'une majorité relative attend, le sondage ne viendra que consolider et amplifier la position dominante. Il ne la produit pas.

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