Les universités occidentales, cible stratégique pour Pékin<!-- --> | Atlantico.fr
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Un étudiant chinois à l’École Nationale d’Administration de Strasbourg, en 2013
Un étudiant chinois à l’École Nationale d’Administration de Strasbourg, en 2013
©PATRICK HERTZOG / AFP

Ingérence

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Dans un effort de politique internationale visant à renforcer la sympathie occidentale à son égard, la Chine a décidé de prendre les universités de l’ouest pour cible, informe le magazine australien Quillette. Cette fois, il s’agit de s’assurer que la Chine, dès lors qu’elle fait partie d’une conversation, est présentée sous une lumière positive. Comment Pékin peut-elle concrètement parvenir à ce niveau de contrôle ?

Emmanuel Lincot : Ce que l’on peut constater dans un premier temps, c’est que les communautés chinoises de France, pour citer un exemple que nous connaissons et qui nous est familier, sont d’une manière générale, plutôt indifférentes à la politique. Surtout parmi les jeunes et il n’y a pas eu au cours de ces dernières années de soutien de leur part au sujet des citoyens de Hong Kong, et encore moins au sujet des minorités tibétaine et ouïgoure persécutées. Faut-il voir pour autant un contrôle de Pékin direct ? Ceci n’est pas prouvé, et je crois que ce qui prévaut avant tout encore une fois, c’est une indifférence générale à la politique. Maintenant, nous avons pu, en tant que spécialiste de la Chine, participer à des conférences qui étaient soudain interrompues par des activistes pro-Pékin. Mais cela est, en définitive, plutôt rare. Personnellement, je n’ai jamais - en tant qu’universitaire - été amené à m’autocensurer. Mais la France est peut-être une exception à la différence des États-Unis où pour des raisons culturelles diverses (emprise du wokisme, tyrannie des minorités…) il y a désormais une propension forte à l’autocensure, et pas seulement, on le sait, au sujet de la Chine. C’est un totalitarisme d’une autre génération qui, je l’espère, nous restera étranger. Il y a également un autre phénomène qui est celui du ‘China bashing’. Nombre de médias sont prompts à céder à la tentation d’une représentation caricaturale de la Chine. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Je peux l’observer depuis la covid-19 avec une détestation montante de la communauté chinoise et de la Chine tout court.

En quoi consistent, exactement, les tactiques du gouvernement chinois pour s’assurer d’un bon niveau de soutien de son pays ? Quelles en sont, au sein de nos universités, les cibles privilégiées ?  

Il peut y avoir les réseaux des alumnis, par le biais des grandes écoles notamment. Mais je crois sincèrement que cela reste très marginal. En tout cas, dans le domaine des sciences sociales, la Chine à ma connaissance n’exerce en France aucun moyen de contrôle. Non plus que les instituts Confucius. Il y a eu certes un précédent, il y a quelques années, créé par l’un d’entre eux dans ses rapports avec l’université de Lyon 3 où l’on a pu craindre les prémices d’une entrave à la liberté académique. Mais c’est bien le seul exemple, et je crois sincèrement que la paranoïa qui s’est développée autour de ces instituts, parfois considérés comme des nids d’espions me paraît à la fois injustifiée et totalement disproportionnée. En revanche, il me paraît indispensable de renforcer la surveillance au sein de nos laboratoires de recherche dans tout ce qui a trait à des domaines d’activités sensibles. C’est non seulement vrai vis-à-vis des Chinois mais aussi vis-à-vis de n’importe quel chercheur ou ressortissant qui, étant donné son accès à des informations confidentielles, pourrait être instrumentalisé aux dépens de nos intérêts nationaux.

Outre la seule volonté de présenter positivement la Chine, il peut aussi exister une volonté de la préserver d’éventuelles critiques. A quoi doivent s’attendre celles et ceux qui pourraient défendre un point de vue plus… mesuré, à son encontre ?

Le risque d’une absence de critique peut naturellement exister, auprès de gens aux sensibilités d’extrême gauche, voire d’extrême droite - les extrêmes, finissant, par se rapprocher - soit, pour les uns, par sympathie disons internationaliste, voire tiers-mondiste soit, pour les autres, par une fascination pour l’ordre et partant, pour le régime autoritaire chinois. Mais ce risque est a priori encore plus grand dans les pays du Sud où la détestation de l’Occident est grande, où le recours à la Chine comme levier de contestation reste une tentation forte. La France et la communauté de ses chercheurs spécialisés sur la Chine est de ce point de vue solide. Je ne vois de radicalité d’aucune sorte. Lorsque la critique est prononcée à l’encontre de la Chine, celle-ci est argumentée et ne cède en rien à l’idéologie.

Comment protéger nos universités de ces tentatives d’ingérence ?

Ce n’est pas l’université qui est la plus vulnérable mais bien nos laboratoires de recherche dans le domaine des sciences dures.  La Chine n’est certainement pas la seule à être incriminée. Nous devons être vigilants, sans être paranoïaques ou naïfs. La guerre économique a toujours existé et les moyens de nous prémunir d’un espionnage industriel ou de toute forme d’intimidation existent aussi. Cela demande un peu d’imagination et des protocoles auxquels nous devons notamment habituer les plus jeunes de nos chercheurs.

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