Les touristes français plébiscitent le Maroc, les investisseurs aussi, mais les relations politiques ne se réchauffent pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Les rues de Marrakech, au Maroc
Les rues de Marrakech, au Maroc
©FADEL SENNA / AFP

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Le monde des affaires ne comprend pas pourquoi les relations politiques avec le Maroc restent aussi compliquées alors que les intérêts économiques entre les deux pays sont très étroits et que les potentiels de développement n’ont jamais été aussi évidents

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’histoire commune entre le Maroc et la France est déjà très longue, un demi-siècle ponctué de quelques malentendus et de crises qui n’ont jamais abîmé une relation fondée sur une reconnaissance réciproque des cultures et surtout pas les intérêts mutuels très forts. Or, depuis quelques années, les rapports politiques et diplomatiques sont devenus compliqués, alors que du côté du business, les relations ont rarement été aussi dynamiques.

L’économie marocaine est repartie très vite après la pandémie du Covid, puisqu'en 2021, la croissance de son PIB a enregistré une hausse de 7,9%, soit beaucoup plus que les économies de la zone d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le Royaume marocain a donc retrouvé son niveau de richesse d’avant la crise Covid-19. En 2022, le choc d’offre qui a frappé l'économie mondiale a évidemment touché le Maroc. Les tensions géopolitiques et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement ont entraîné des pressions inflationnistes qui ont hypothéqué le pouvoir d’achat interne et détérioré la balance des échanges compte tenu du poids des importations d’hydrocarbures. L'année 2022 a donc été difficile, mais 2023 a permis de retrouver des couleurs.

La Direction générale du Trésor à Paris reconnaît que malgré la concurrence de la Chine et des États-Unis, la France reste le premier partenaire économique et financier du Maroc. La montée en puissance des industries marocaines a fortement contribué à la hausse des échanges commerciaux avec le Maroc depuis dix ans. Cette tendance s’explique principalement par l’intégration croissante du Maroc dans les chaînes de valeur  avec une spécialisation des écosystèmes industriels (automobile, aéronautique). Une partie des flux du Maroc vers la France provient de réexportations d’entreprises françaises qui possèdent des usines de construction et d’assemblage dans le Royaume (par exemple, l’usine de Renault à Tanger ou de Stellantis à Kenitra).

Parallèlement, la France est le premier investisseur étranger au Maroc, avec un engagement marqué dans les secteurs industriels (Renault et Stellantis notamment) mais aussi des services (immobiliers, digital , commerce, activités financières). 

Enfin, le Maroc reste le premier pays d'origine des transferts financiers de la diaspora marocaine et surtout du contingent de touristes. Tout cela fait de la France le principal pourvoyeur de devises du Maroc.

En cette fin d’année 2023, le Maroc a fait le plein de touristes venus de l’Europe toute entière et notamment des Français qui se bousculent sur la côte Atlantique et à Marrakech. S’ajoute l’arrivée d’une nouvelle vague de résidents (exilés fiscaux ou pas) qui approchent du troisième âge et viennent s’installer au Maroc, attirés par le climat, la modicité des prix du service et la sécurité. Beaucoup d’ailleurs viennent du Portugal à la recherche d'un nouveau paradis fiscal. Quant aux investisseurs, ils se bousculent aussi compte tenu du marché intérieur, de la démographie, et sans doute de la stabilité sociale et politique du royaume qui développe quantité de projets d’infrastructures (routes et rails avec le TGV) et quantité de ressources nouvelles, notamment dans l'énergie. Très pauvre en hydrocarbures, le Maroc s’est engagé dans les énergies renouvelables (solaire), la production d’hydrogène et de batteries au lithium. Le Maroc n’a pas oublié qu’il était encore l'un des plus gros producteurs de phosphates dans le monde et ses ingénieurs ont découvert que le phosphate contenait une forte proportion de lithium, indispensable au fonctionnement des batteries. D’où la présence de plus en plus envahissante des Chinois qui ont compris qu'il y avait là un concurrent sérieux.

Dans un tel écosystème, le monde des affaires européen ne comprend pas que la France ne fasse pas quelques efforts pour réchauffer ses relations avec le Maroc, des efforts d’investissement, d’accompagnement et de protection. C’est même assez incompréhensible quand on sait le goût de la famille royale pour la France. 

La vérité est que les relations diplomatiques entre Paris et Rabat sont très tendues. On sait, par exemple, qu'au lendemain du séisme qui a touché gravement le Maroc, le roi a refusé l’offre d'assistance  formulée par Paris, considérant sans doute que ce n’était pas le sujet principal de mésentente. En fait, les rapports entre les deux capitales se sont dégradés depuis deux ans à propos du dossier épineux du Sahara occidental, cette ancienne colonie espagnole dont le statut fait toujours l'objet d'une médiation à l'ONU. Rabat y revendique sa souveraineté pleine et entière. C'est une priorité absolue pour la diplomatie marocaine depuis que les États-Unis ont reconnu cette souveraineté, le 10 décembre 2020, en échange d’une normalisation des rapports entre le Maroc et Israël. 

La France, elle, n’a pas donné son accord parce que Paris essaie de ménager aussi l'Algérie, qui soutient les indépendantistes sahraouis .la France tente plutôt  de réchauffer les relations avec Alger qu’avec Rabat . 

Pour l’instant, le dossier est gelé à l'ONU, mais il hypothèque la relation d’autant que parallèlement, la présidence française n’a pas manqué une occasion d’envoyer des marques d’attention au gouvernement algérien. Attitude compliquée  parce que la France croit par ce moyen , pouvoir un signal de bienveillance aux résidents algériens en France qui sont très nombreux (plus de 12 millions d’émigrés et résidents d’origine algérienne, contre 1,5 million de résidents d’origine marocaine.) 

De l'avis de certains analystes, la France ne veut prendre aucun risque avec l'Algérie qui a non seulement une partie de sa population dans les banlieues des grandes métropoles françaises, mais en prime à la main sur le robinet du gaz dont on pourrait avoir besoin depuis le conflit en Ukraine. Par ricochet, la nécessité française de ménager l’Algérie interfère donc sur la relation avec le Maroc. 

Ces difficultés-là n’empêchent ni le tourisme ni les investissements, mais font l'affaire de nos partenaires européens qui lorgnent eux aussi sur le Maroc, notamment l’Allemagne. Quant aux Chinois et aux Russes, ils guettent le moment opportun pour entrer dans le jeu concurrentiel. Les richesses du Maroc ont rarement été autant convoitées

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