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Les territoires ruraux organisent la résistance aux métropoles et la France traditionnelle ne veut pas perdre son autonomie (ni son âme)
©Reuters

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La réforme territoriale de 2014 ayant profondément modifié les équilibres territoriaux hexagonaux, les territoires non métropolitains cherchent à s'unir en opposition aux métropoles et à la métropolisation du pays. C'est le cas de 29 communes du Pays d'Arles face à la métropole d'Aix-Marseille Provence.

Atlantico : Dans une logique d'organisation face à la métropole d'Aix-Marseille Provence, 29  communes du pays D'Arles font cause commune en lançant une étude sur la création d'une intercommunalité pouvant revendiquer les compétences du département. Dans quelle mesure la réforme territoriale serait-elle en train de modifier les équilibres du territoire ?

Laurent Chalard : La réforme territoriale de 2014, fortement inspirée par les préconisations de l’Union Européenne, a eu pour visée de changer en profondeur l’organisation administrative hexagonale, puisqu’il s’agissait de basculer du schéma issu de la Révolution française, reposant sur le triptyque Etat-Département-Commune, perçu comme obsolète, à un schéma Etat-Région-Intercommunalité, cette dernière prenant la forme de Métropoles dans les territoires les plus urbanisés du pays. Nous sommes donc passés d’un modèle homogénéisant, le département, mélangeant des espaces urbains et ruraux (les Bouches-du-Rhône en constitue un exemple-type), à un modèle hétérogénéisant, l’Intercommunalité, séparant l’urbain du rural. En effet, la création des Métropoles répond à la métropolisation du territoire, correspondant à une simple adaptation de l’organisation administrative française à la nouvelle donne économique, consécutive de la construction européenne et de la mondialisation. Cette réforme, portée par les élites urbaines, s’apparente à une sorte d’OPA des grandes villes sur l’administration territoriale, à travers la captation de compétences plus larges que les départements préexistants et la  volonté de disposer des périmètres les plus étendus possibles. Il s’en suit mécaniquement une modification des rapports ville-campagne et donc des équilibres territoriaux hexagonaux.

Comment expliquer que ces territoires -non métropolitains- cherchent à s'unir en opposition à ces métropoles plutôt que de tenter de les rejoindre ? 

Au premier abord, on pourrait effectivement penser que les territoires ruraux limitrophes des grandes métropoles, tels que le Pays d’Arles, seraient tentés de s'y rattacher pour bénéficier de leur importante manne économique. Or, dans les faits, si l’on évacue les traditionnelles arrière-pensées politiques, ce n’est guère le cas pour plusieurs raisons évidentes. 

La première tient à la question de « l’espace vécu », concept inventé par le géographe Armand Frémont. En effet, ces territoires ruraux ont leur mode de fonctionnement propre, organisé autour de petites et moyennes villes, dans lesquelles les habitants effectuent la quasi-totalité de leur vie quotidienne. Le recours à la grande ville y est exceptionnel. Il s’en suit que leurs besoins comme leurs problèmes ne correspondent nullement à ceux des grandes métropoles, leurs élites comme leurs habitants ne voyant donc aucun intérêt à les intégrer. Si l’on reprend l’exemple du Pays d’Arles, aucune des communes ne faisant partie de l’aire urbaine d’Aix-Marseille définie par l’Insee, il paraît assez compréhensible que personne ne voit l’intérêt de coopérer avec.

La deuxième raison concerne le mode de fonctionnement des Métropoles, très différent de celui des départements. Dans ces derniers, les intérêts ruraux étaient surreprésentés politiquement, assurant un processus de redistribution financière des territoires urbains productifs vers les territoires ruraux moins productifs, alors que ses compétences étaient limitées dans les domaines stratégiques tels que l’aménagement du territoire ou le développement économique, laissant une marge de manœuvre certaine aux territoires ruraux. Les campagnes n’avaient pas l’impression d’être dominées par la ville. Or, avec les Métropoles, la situation change du tout au tout, les territoires ruraux devenant minoritaires politiquement et la métropole ayant des compétences stratégiques, devenant potentiellement en capacité de leur imposer des choix qu’ils ne souhaitent pas. Pour résumer, les territoires ruraux veulent rester maître chez eux et ne pas devenir la « poubelle » de la métropole. Par exemple, le Pays d’Arles garde en tête le long feuilleton de l’incinérateur de Fos-sur-Mer, imposé par la communauté urbaine de Marseille à la commune de Fos alors que ses habitants n’en voulaient pas.

La troisième raison a trait à la volonté de conserver une identité locale forte. En effet, lorsque des territoires ruraux bénéficient d’une image de marque valorisée, associée à des traditions vivantes, qui se démarquent largement de la métropole voisine, ils ont peur de perdre leur âme en s’alliant avec des territoires perçus comme déracinés et hors-sol. Le cas du pays d'Arles en constitue un bon exemple, son identité reposant sur des entités paysagères exceptionnelles de renommée nationale (la Camargue, les Alpilles, la Crau), sur des traditions ancrées (le costume, la littérature, les courses camarguaises), symbolisées par l’élection tous les trois ans d’une reine d’Arles, et sur un caractère rhodanien affirmé.

Quelles pourraient être les conséquences, à terme, de telles logiques ? Comment en revenir à une forme de rationalité ? 

Le choix du législateur de constituer une intercommunalité à deux vitesses, opposant les grandes agglomérations, gérées par des Métropoles se substituant aux départements, au reste du territoire, couvert par des intercommunalités moins puissantes, s’il repose sur des arguments solides, risque cependant d’avoir comme effet pervers de renforcer encore plus le fossé économique et culturel, qui se creuse, entre les grandes villes et le reste du pays. La solidarité financière entre les territoires, qui était incarnée par les départements, est mise à mal, d’autant qu’il n’est pas prévu, pour l’instant, d’instaurer un processus de redistribution financière entre les métropoles, qui concentrent la richesse, et les autres intercommunalités.

La réforme territoriale, réalisée dans la précipitation et suivant des découpages, bien souvent, maladroits, vient briser une organisation administrative pluriséculaire, fonctionnant tant bien que mal mais fonctionnant, remplacée par des structures remettant en cause les équilibres territoriaux préexistants, sans en proposer de nouveaux réellement viables. Il s’en suit un manque de rationalité dans les périmètres administratifs, qui se mettent en place, conduisant, au mieux, à une mise à l’écart des espaces ruraux, au pire, à leur domination totale par des métropoles, dont on sait pertinemment qu’elles ne sont pas suffisamment puissantes économiquement pour irriguer l’ensemble du territoire national, ce qui est d’autant plus vrai pour la métropole Aix-Marseille, au dynamisme limité. 

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