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Les secrets des scénaristes pour nous rendre accros aux séries télé
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Dépendance

Game of Thrones, Dexter, How i Met your mother : les scénaristes de nos séries préférées ont-ils une recette secrète pour nous rendre accros ?

Vincent   Colonna

Vincent Colonna

Vincent Colonna est consultant en séries télé. Il est l'auteur de deux volumes sur la technique narrative de la série télé : L'art des séries télé, tome 1 et 2, Payot éditeur.

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Atlantico : Le dernier épisode de la saison 3 de la série Game of Thrones a été diffusé hier soir aux USA, et l'engouement pour cette série est de plus en plus grand. De façon plus générale, les Français sont fana des séries. Quelles sont les recettes et les astuces qu'utilisent les scénaristes pour nous rendre accro ?

Vincent Colonna : La série feuilletonnante, à suivre, cumule et entrelace deux mécanismes émotionnels bien connus de tout le monde : la curiosité et la surprise. La curiosité, c’est le désir de suivre un comportement finalisé, une conduite intentionnelle, qu’elle soit réelle ou représentée. Vous voyez une araignée remonter le long de sa toile et vous la suivez du regard, pour voir où elle se dirige et comment elle va y arriver. Ou alors on commence à raconter un potin sur quelqu’un et vous ouvrez tout grand vos deux oreilles pour connaitre la suite. C’est un réflexe dont l’origine lointaine est animale, peut-être lié à notre espèce prédatrice.

Quand cette conduite intentionnelle est celle d’un personnage humain, c’est encore plus intéressant, car ce personnage a un caractère, une manière d’être, un style, etc ; élaborés pour le rendre attrayant. De plus, en général, il est dans une situation délicate ou lancé dans un projet difficile, dans un univers complexe et riche, ce qui aiguise encore plus votre curiosité. C'est le premier moteur, à la base de toutes les histoires ; d’où la proximité du mot intriguer et du mot histoire (intrigue). Mais suivre le destin d’un personnage peut lasser ; il faut donc un second moteur, pour donner à cette attention, un relief particulier, pour l’exciter quand elle risque de retomber ; pour la maintenir en éveil. Ce second moteur, c’est la surprise. Dans Game of Throne, dans Lost ou même dans une comédie, la surprise est permanente : chaque péripétie est source de surprise, chaque retournement de situation, de coup de théâtre. Quand un protagoniste dit une phrase inattendue, amusante ou étrange, c’est aussi surprenant, un élément de surprise ; mais bien sûr à une échelle moindre. L’art du récit à suivre consiste ainsi à éveiller la curiosité, puis à l’entretenir, à coups de rebonds qui sont autant de surprises.

Je vous donne les grands principes, car après les recettes (Cliff hanger, pay off/pay back, etc) ne sont que des modulations, des déclinaisons de ces principes très généraux, dont la valeur est universelle..

Quelles sont les séries les plus concernées ? Existent-ils des thématiques ou des modes de traitement qui fonctionnent mieux que d'autres et pourquoi ?

Tous les genres sont concernés par ces deux grands principes, la seule différence c’est que chaque genre va les acclimater, les adapter à sa façon. Dans Game of throne, on est dans l’héroïc fantasy, qui a ses codes particuliers ; dans Lost, c’est le genre aventure mêlé de sciences fiction, avec cette invention étonnante (et source de surprise permanente) qu’est le flash back récurrent, qui déstabilise ce que nous croyions savoir des protagonistes ; dans Dead Walking, c’est le genre gore et zombie, avec une emphase sur la vie en groupe qui fait tout l’intérêt de cette série ;  dans Camping, ce sont des enjeux plus légers et le comique.

Aucune série n’échappe à ces deux grands principes, car ils sont à la base du récit, de l’art de raconter ; or la série est avant tout un spectacle narratif, qui relate une histoire. Impossible de l’imaginer purement visuelle, purement contemplative ou plastique ; alors qu’un film peut être purement plastique, dédié à un plaisir uniquement sensoriel.

Pourquoi les séries américaines exercent-elles un attrait plus fort que les séries françaises ? 

Les séries américaines sont mieux faites, plus professionnelles ; c’est évident. Les raisons en sont nombreuses, entre autres parce qu’elles ont récupéré un art de raconter que l’Europe a inventé ; qu’elles ont marché plus vaste ; et une histoire plus longue. Mais notez bien que les séries françaises connaissent elles aussi une amélioration ; elles sont désormais dans une dynamique ascendante. En moins de 5 ans, elles ont fait un progrès considérable.

Regardez Candice Renoir sur F2. C’est une série populaire et familiale, il faut donc la comparer avec des séries équivalentes. Rien à voir avec Game of Throne. Mais elle est parfaite sur le plan formel et sur le plan des personnages. C’est l’histoire d’un commissaire femme, accorte comme un Renoir ou un Rubens, qui élève seule quatre enfants ; a quitté depuis dix ans la police et la réintègre ; en butte à l’hostilité de son groupe d’officiers qui la juge incapable de commander une enquête, alors qu’elle a un flair d’enfer et trouve tous les coupables. Ce n’est pas le même public que Game of Throne, mais je pense qu’il lui est bien supérieur en nombre. Il faut faire attention à l’effet-loupe des médias, qui parlent beaucoup de certaines séries sophistiquées, qui sont regardées en réalité par peu de monde (même en comptant l’achat des coffrets DVD). Je n’ai pas parlé des séries TF1, mais même cette chaine a progressé, en particulier dans les séries populaires d’action. Et même dans le genre sophistiqué, regardez les Revenants sur Canal + ou Ainsi soi-il sur Arte ; ce sont des séries ambitieuses, artistiques, qui ont trouvé une voie bien française, sans copier les Américains.

L'engouement des séries répond-il à un vide, un "moins-bien" du format cinématographique ?

Le public tend à rester chez lui, ce qui favorise grandement la série. Le cinéma est devenu cher et on a pas toujours la certitude d’en avoir pour son argent. Reste que le film de Kechiche, qui a eu la palme d’or, semble montrer que le cinéma résiste bien et a encore de beaux jours devant lui.

Mais il est normal que chaque époque ait sa forme d’expression privilégiée, spécifique. La série télé est la forme culturelle et artistique du XXI° siècle, comme le roman est devenu le genre dominant de la littérature à partir de 1820 (alors qu’avant c’était la poésie et le théâtre). Elle correspond mieux à notre époque individualiste, rivée à des petits écrans et permet de vivre une expérience esthétique complète, à la fois sensorielle, émotive et cognitive, quand la série est de qualité.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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